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Full text of "Almanach des lettres et des arts : calendrier pour 1917 : poésies, contes et nouvelles : essais sur les idées et les moeurs d'aujourd'hui et sur l'état présent des beaux-arts en France"

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in  2011  witii  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/almanaclideslettrOOmary 


ALMANACH 
DES  LETTRES 
ET  DES  ARTS 


VAmanach  des  Lettres  &  des  Arts  est  publié  sous 
la  direction  littéraire  de  M.  ANDRE  MARY  et 
sous  la  direction  artistique  de  M.  RAOUL  DUFY. 


6h 


Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  six  exemplaires  sur 

papier  de  Chine,  hors  commerce,  numérotés  de  i 

à  6,    et  vingt-cinq  exemplaires  sur  papier  vergé 

d'Arches,  numérotés  de  7  à  31. 


ALMANACH 

DES   LETTRES 

ET   DES   ARTS 


Calendrier  pour  1917.  —  Poésies, 
Contes  6  Nouvelles.  —  Essais  sur 
les  Idées  et  les  Mœurs  d'Aujourd'hui 
et  sur  l'état  présent  des  Beaux- Artt 
en  France. 


Enrichi    de    nombreuses    illustrations, 

de    douze    bois    originaux    et    de 

trente-deux  hors-texte. 


ÉDITE  PAR  MARTINE 

Choses  à  la  Mode    ^v>BIBL/^^ 
83.    Faubourg     Saint- Hoj-^  ^ 

PARIS 


■  lA  3 1 
)?/6 


Lo  nui'î~de  Chine  nn    Ze  mouchoir  de  T^oj/ney^ 


h~anhan  /o  Tu/ipe. 


'  hf  oc/oi 


'e  eh hhlonyieunj) 
ih/e    Vi  choir  er^'H^ 

ouhe  /a  j-oréf^ 
TDori^io. 
Chez  T^oire'h 
/.€  /h7inore.f-'. 
/  //*ec7  Cuhpo. 
eT'  caetera.    .. 


0Qp^^y71je.,^/^ccn^fc^^ 


ZCIA.A^. 


UN  DOCUMENT 


Un  collectionneur  a  bien 
voulu  nous  autoriser  à  repro- 
duire ce  curieux  texte  chinois 
poétique  qui  date  d'une 
époque  primitive. 

Nous  le  publions  ici  avec 
sa  traduction  et  les  savantes 
explications  des  caractères 
qui  le  composent  : 

Ce  texte,  dont  la  traduction 
littérale  est  :  «  Nuit  au  Pays 
de  Chine  (pays  de  fleurs) 
parfum  agréable»,  célèbre  la 
douceur  embaumée  des  nuits 
d'Orient. 

Il  nous  a  paru  piquant  de 
le  mettre  sous  les  yeux  de 
nos  lectrices  au  moment  où 
le  parfum  «  Nuit  de  Chine  * , 
créé  par  «  Rosine,  parfu- 
meuse » ,  se  trouve  dans 
tous  les  magasins. 


—  2  — 


NUIT  DE  CHINE 

"^c/sÙLnTc    S  èjèyc   eT  en  éai"^^  Sa.  7a.cy'^e  sV>2- 
•/Idu-y  ou-jZ/ex^^/i.-  cf a.  efè  C/yo/S/' ^occy-  2><is/^r3Qr' 


5c  Ses  Soi'^a.i^.  ef/e  S/^ne  Qlè/sycSenVe   la^t 


ÇUCLnl'^  la  lune.  Se  fe>Ts  .lll  S'^X^/Tfc  S Cl>-J 
la.  yc??c,  "^'oll.  /c  Jens  =  /lu/T.  — 


Cîl7i2^J^?£  li.'anj—  Ce.  ca.ia^'fé.Ze    OdS/^ne.  -ccnc^ 
D'i'Cu.r-  CLç^<ia.hlA.,  C  'e.sf  Cc^t  "^u.  i^/'^<.y ^cxJ  ^<in  - 
'/TjcnTe  .  On.  ^ec^nnaji'  e/7  yOOcL'f  l' c^/'  r^cL^  d^.^ 
/r)/^ef^  Ac*u'i  >es ^«U4jy^<zj!> ,  la.i'ejire.  e:f  l<t5  2cl- 
-CJneh-     -^^-    .    fc/2    à<2-SS<p<jLS    on   ^eeannajf  ^xrz__^ 
■yascrul  ^^  tont/enf  tjLf?aJnc  \^f-  <Ff  /etf  S/"- 
-^nC6   /olaci.S   CUa.  dessus    le/jJèScnïenf  la.  ^(eA/T^c^■ 
■?aTtOn..  ^         p 
Ce  CO-'iOuefc'ai    CL^J/"^  le  Sens  cXji^  foaji;^urn  a^yçcLéùL. . 


FANFAN    LA    TULIPE 


Que  ce  soit  le  chevalier  de  la  légende  s'en  allant 
à  la  guerre  en  tenant  dans  ses  doigts  la  fleur  mer- 
veilleuse, que  ce  soit  le  garde-française  à  perruque 
blanche  et  moustaches  frisées,  ou  le  petit  tambour 
en  bonnet  de  police  battant  la  charge,  ou  enfin  le 
tourlourou  grimpant  à  l'assaut  et  plantant  sur  la 
brèche  le  drapeau  tricolore,  c'est  toujours  Fanfan 
la  Tulipe,  le  soldat  de  la  chanson,  le  héros  familier. 
Et  c'est  toujours  aussi  le  même  parfum  riche, 
ardent,  généreux,  dont  les  bouffées  nous  vont  droit 
au  cœur,  parfum  d'insouciance  aimable,  parfum  de 
bravoure  joyeuse,  parfum  des  fleurs  qu'on  plante 
au  bout  des  fusils.  Victorieux  et  triomphant,  chas- 
sant les  ténèbres  de  la  nuit,  il  monte  avec  le  soleil, 
emplit  toute  l'atmosphère,  court  par  le  monde.  C'est 
comme  le  bouquet  d'un  vieux  vin  de  France,  c'est 
je  ne  sais  quelle  odeur  de  gloire,  c'est  l'arôme  de 
chez  nous. 

R.  B.  DE  M. 


Les  parfuma  de  Rosine. 


Deuin  de  Bernard  Naudtn 


5  — 


TOUTE  LA   FORET 


Parfum  de  Rosine. 


Un  arôme  de  muguet,  un  soupçon  de  fougère 
fauve  et  aussi  l'odeur  des  gazons  mouillés.  On 
songe  à  la  fraîcheur  matinale  des  bois,  à  leurs  pro- 
fondeurs vertes,  aux  mares  silencieuses  qui  dor- 
ment sous  les  branches.  L'air  est  vif,  piquant, 
harmonieux.  Un  délice.  On  songe  aux  réveils  prin- 
taniers,  aux  élans  juvéniles,  à  l'éclat  des  premiers 
beaux  jours.  Surtout  on  songe  à  l'allée  secrète,  au 
banc  rustique,  au  son  d'un  pas  cher  et  familier. 
Oui,  c'est  bien  la  même  senteur  fine  et  vivifiante, 
parfum  de  mousses  humides,  de  bourgeons  prêts 
d'éclore,  d'eaux  glissant  dans  la  menthe  et  le  thym, 
le  même  souffle  pur  et  léger,  accouru  dans  le  fré- 
missement des  feuilles,  apportant  avec  lui  la  joie 
de  vivre,  les  caresses  de  l'aurore,  la  gaieté  d'un 
amour  naissant. 

R.    BOUTET    DE   MONVEL. 


-  7  - 


Parfum  de  Roiine 


—  9  — 


Bois  gravé  par  Dufy 


CHEZ   POIREÏ 


Rêve  somptueux,  décors  légendaires,  c'est  tout 
un  monde  fabuleux  qui  surgit  comme  par  enchan- 
tement. Visions  magnifiques,  songe  des  Mille 
et  une  Nuits  où  défilent  sans  trêve  les  parures 
les  plus  neuves,  les  atours  les  plus  audacieux,  les 
recherches  les  plus  exquises.  Profusion  de  soies 
chinoises  et  de  toiles  de  Perse,  étoffes  des  Indes, 
tissus  fabriqués  sous  un  ciel  inconnu;  richesse  des 
couleurs,  contraste  \'iolent  des  tons,  du  bleu,  du 
vert,  du  noir  et  de  l'argent;  fantaisies  évoquant 
le  souvenir  de  Carthage  ou  Bagdad,  casques  de 
perles  et  tuniques  à  carreaux;  métaux  rares  et 
pierres  fines,  fourrures  impondérables  et  gazes 
lamées;  un  éblouissement,  une  i\Tesse,  le  parfum 
dominateur  et  captivant  que  traînerait  dans  son 
sillage  le    manteau   triomphal  d'une   impératrice 

d'Asie. 

R.  B.  DE  M. 


La  parfumi  de  Rotine. 
—   10  — 


Destin  d'Iribe 


II 


LE    MINARET 


Subtil  et  doux,  il  attire  comme  un  fredonne- 
ment de  guitares  lointaines  ou  comme  le  chant 
monotone  de  quelque  flûte  invisible.  Voilà  qu'il 
monte,  se  répand  alentour  et  peu  à  peu,  vaincu 
par  le  charme,  esclave  de  ce  guide  mystérieux,  il 
semble  que  vous  franchissiez  le  seuil  de  je  ne  sais 
quel  palais  enchanté.  Il  fait  sombre,  un  peu  lourd. 
Dehors,  c'est  le  soleil  de  midi,  les  rues  désertes,  les 
arbres  se  pâmant  de  chaleur.  Mais  fenêtres  et 
portes  restent  closes.  Au  fond  des  galeries  vertes 
et  bleues  on  aperçoit  des  groupes  endormis.  Puis , 
c'est  une  cour,  des  mosaïques,  un  bassin  d'eau 
limpide.  Et  partout  flotte  le  parfum  capiteux  et 
troublant,  parfum  de  myrrhe  et  d'œillet  d'Inde. 
Nulle  voix  humaine,  nul  pas  résonnant  sur  les 
daUes.  On  se  croirait  dans  le  château  de  la  Belle 
au  Bois  dormant,  si  ce  n'était  le  bruit  léger  des 
fontaines  et  la  flûte  invisible  qui  soupire,  mélan- 
colique et  solitaire. 

Roger  Boutet  de  Monvel. 


12  — 


Dessi.1  Je  Fauconnet 


LE    MINARET 
PARFUM  DE  ROSINE 


13  — 


BORGIA 


Autrefois,  sous  le  règne  du  Pape  Alexandre,  les 
cavaliers  en  remplissaient  le  chaton  de  leur  bague 
et  l'on  sait  comment  don  Ottario  séduisit  la  tendre 
Julie.  Lors  des  noces  de  sa  fille,  on  dit  que  le  Car- 
dinal Rodriguez  versa  force  dragées  dans  le  cor- 
sage des  dames  romaines  et  que  ces  innocentes 
friandises  jetèrent  un  trouble  extrême  parmi  les 
nobles  invités.  On  dit  enfin  que,  la  tête  pleine  des 
desseins  les  plus  magnifiques,  César  Borgia  lui- 
même  ne  cessait  de  rouler  entre  ses  doigts  une 
boule  d'or  contenant  un  peu  de  l'élixir  magnifique. 

Philtre  ensorceleur,  parfum  légendaire  !  nul  ne 
dévoilera  donc  tes  origines  mystérieuses  ?  Es-tu 
né  dans  Vérone  ou  Capoue,  chez  une  courtisane 
de  Venise  ou  chez  les  sorcières  de  Sicile  ?  Intacte, 
inestimable,  ta  recette  cependant  est  venue  jusqu'à 
nous,  ton  arôme  a  gardé  son  pouvoir  tout-puissant 
et  l'on  en  connaît  les  effets  redoutables  puisque 
de  toi,  parfum  irrésistible  et  délicieux,  une  seule 
goutte  rend  encore  fou  ! 

R.  B.  DE  M. 


Les  parfums  de  Rosine- 

—   14  — 


zTjl^ 


Bon  grave  par  Laboureur 


BORGIA 
PARFUM  DE  ROSINE 


—  i6 


EXPLICATION    DES    SIGNES 


Dimanche 'f 

Jour  de  Fête Ô 

Jour  de  petite  Fête   .    .    .    .   *i* 
Fêtes  de  Notre-Dame  .    .    .   + 

Jour  ouvrable ^ 

Jour  de  beau  temps.    .    .    .  @ 

Jour  assez  beau Q 

Jour  de  chaleur ^ 

Jour  venteux (j)3 

Eclairs fï» 

Pluie .A 

Tonnerre. ^ 

Froid ÎJ" 

Brouillartl ^ 


Nouvelle  Lune  . 
Premier  quartier 
Pleine  Lune  ,  . 
Dernier  quartier 

Neige 

Bon  semer  et  planter 
Bon  couper  le  bois   . 
Bon  prendre  médecine 
Bon  prendre  pilules. 
Bon  traiter  les  yeux. 
Bon  couper  les  ongles 
Bon  couper  les  cheveu 
Bon  saigner   .... 
Bon  ventouser  .    .    . 


DATES   DES    PRINCIPALES    FETES 


Epiphanie 6  janv. 

Purification 2  févr. 

Septucigésime   ....  4     » 

Mardi  gras 20     » 

Cendres 21      » 

Mi-Carême  .    .        ..15  mars 

Rameaux i  avril 

Vendredi  saint.    ...  6     « 

Pâques 8     » 

Quasimodo 15      » 

Rogations 14  mai 

Ascension 17     » 

Pentecôte 27      » 


Trinité 3  juin 

Fête-Dieu 7     » 

Visitation  de  N.-D.    .  2  juill. 

Fête  nationale.    ...  14     » 

Transfiguration    ...  6   août 

Assomption 15      » 

Nativité  de  N.-D.    .    .  8  sept. 

Toussaint i  nov. 

Trépassés 2     » 

Présentation 21      » 

Avent 2    déc. 

Imm.  Conception   .    .  8     » 

Noël 25      » 


—    18  — 


1 

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LlMjil! 

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JANVIER 

LE  VERSEAU 

Le  nom  de  ce   mois    vient   de 

fin  à  10  h.  53  m.  En  partie  visible 

Janus,  roi  mythique  du  Latium, 

à  Paris. 

dieu  des  portes,  des  départs  et  des 

Le    14    janvier   correspond    au 

retours,  inspirateur  de   la  guerre 

I*'  janvier  du  Calendner  Julien. 

et  protecteur  de  la  paix. 

Le  23  février,  éclipse  partielle 

Le  8  janvier,  éclipse  totale  de 

de  soleil  ;  commencement  à  5  h. 

lune,  commencement  à  4  h.  36  m., 

43  m.,  fin  à  9  b.  1 3  m. Visible  à  Paris. 

PHASES 

SOLEIL 

LUNE 

JOURS 

FÊTES 

SIGÎJES 

delà 

,_„___„^^,,^^ 

^.^ 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

^■^ 

H.    M. 

H.    .M. 

H.    M. 

H.    M. 

I 

Lundi 

Circoncision  .    . 

+ 

m 

746 

16     2 

II  21 

055 

2 

Mardi 

S.  Basile  ,    . 

▲ 

^ 

746 

16    3 

II  45 

2   10 

3 

Mercr. 

S"  Geneviève 

▲ 

746 

16    4 

12  13 

3  23 

4 

Jeudi 

S.  Rigobert . 

▲ 

© 

746 

16    5 

1248 

432 

5 

Vend. 

S*  Amélie .    . 

▲ 

# 

® 

746 

16    6 

13  32 

5  35 

6 

Saunedi 

Epiphanie  . 

& 

e 

746 

16    7 

1425 

6  29 

7 

Dim. 

S.  Lucien .    . 

t 

* 

P.L. 

le  8, 

746 

16    9 

15  25 

7  13 

8 

Lundi 

S.  Frobert.  . 

▲ 

à  7h. 

7  45 

16  10 

16  29 

7  49 

9 

Mardi 

S.  Julien  .    . 

▲ 

\ 

42  m. 

7  45 

16  II 

1736 

817 

10 

Mercr. 

S.  Guillaume 

▲ 

r 

7  44 

16  12 

1842 

839 

II 

Jeudi 

S.  Hygin,  p. 

i 

-^ 

7  44 

16  14 

1948 

8  58 

12 

Vend. 

S«  Lucie   ,    . 

^ 

7  43 

16  15 

20  54 

9  15 

13 

Samedi 

S^  Véronique 

▲ 

:î> 

7  43 

16  16 

22     0 

931 

14 

Dim. 

S.  Nom  de  J 

+ 

D 

7  42 

16  18 

23     8 

946 

15 

Lundi 

S.  Maur    .    . 

A 

% 

7  4-2 

16  19 

10    3 

—    IQ    — 


JOURS 

i6 

Mardi 

17 

Mercr. 

18 

Jeudi 

19 

Vendr. 

20 

Samedi 

21 

Oim. 

-*  -> 

Lundi 

=  ^ 

Mardi 

24 

Mercr. 

25 

Jeudi 

26 

Vendr. 

27 

Samedi 

28 

Dim. 

29 

Lundi 

^o 

Mardi 

31 

Mercr. 

S.  Marcel .  .  .  . 
S.  Antoine  .  .  . 
Ch.  S.  Pierre  .  . 
S.  Parres .  .  .  . 
S.  Sébastien .  .  . 
S*^  Agnès,  vier'^e. 
S.  Vincent  .  .  . 
S.  Raymond  .  . 
S.  Timothéc.  .  . 
Conv.  de  S.  Paul, 
S.  Poly carpe  .  . 
S.  Jean  Chrysost. 
S.  Charlemagne  . 
S.  François  de  S. 
S*  Martine  .  .  . 
S.  Pierre   Nol.    . 


PBiSES 
de  la 
lune 


D.a 

le  16, 

à 
II   h. 
42  m. 


N.L. 

le  23 
à  7  h. 
10  m. 

P.Q. 

le  30 
àih. 
I  m. 


SOLEIL        j         LUNE 
Lever   Coucii.  i  Lever   Couch. 


741 
740 

7  39 
738 
7  37 
7  37 
7  36 
7  35 
7  33 
7  32 
7  3^ 
7  30 
729 
7  28 
726 
725 


H.  M. 
I62I 
1622 
1623 
1625 
1626 
1628 
1629 
I63I 
1633 
1634 
1636 
1637 
1639 
16  41 
16  42 
1644 


H.  M. 

o  17 

1 30 
246 

4  I 

5  II 
611 
658 

7  34 

8  2 
825 
845 

9  5 
9  26 

9  49 
10  16 

1049 


H.  M. 
1023 
1047 

11  18 

12  I 

12  57 

14  9 

15  33 
W  2 
1830 

19  'î^ 
21  18 
2238 

23  56 

1  1 1 

2  23 


FêUs  Patronalts  :  12  Ste  Lucie,  Boulangers.  —  13 
17  St  Antoine,  Bouchers,  Charcutiers. —  22  St  Vincent ,  Vi^; 


Ste  Véronique,  Lingères. 
lerons. —  25  St  Paul,  Cordiers. 


LES  QUATRE  COMPLEXIONS 


Le  sangxiin  a  nature  de  l'air, 
moite  et  chaud  ;  il  est  large,  plan- 
tureux, attrempé,  aimable,  joyeux, 
chantant,  riant,  charnu,  vermeil 
de  visage  et  gracieux,  ;  il  a  vin 
de  singe  ;  tant  plus  il  a  bu,  tant 
plus  il  est  joyeux,  se  tire  près  des 
dames  et  naturellement  aime  les 
habits  de  belle  couleur. 

Le  colérique  est  de  nature  du 
feu,  chaud  et  sec;  naturellement 
est  maigre,  grêle,  convoiteux, 
colère,  hâtif,  escer\'elé,  fol,  large, 
décevant,  malicieux,  subtil  où  il 
applique  son  sens,  a  vin  de  lion, 
c'est-à-dire    quand    il  a   bien  bu, 


veut  tanser,  quereller  et  battre  et 
volontiers  aime  être  vêtu  de  belle 
couleur  comme  de  drap  gris. 

Le  flegmatique  a  nature  d'eau 
froide  et  moite  ;  11  est  triste,  pensif, 
paresseux,  pesant  et  endormi, 
caut,  ingénieux;  abondant  en 
flegmes  ;  volontiers  crache  quand 
il  est  ému,  est  gras  au  visage  et 
a  vin  de  mouton. 

Le  mélancolique  a  nature  de 
terre,  sec  et  froid  ;  il  est  triste, 
pesant,  convoiteux,  médisant, 
Boupçonneux  et  paresseux  ;  il  a 
vin  de  pourceau. 


—    20 


Le  plus  grand  dérèglement  de  l'esprit,  c'est  de  croire  les 
choses  parce  qu'on  veut  qu'elles  soient  et  non  parce  qu'on 
a  vu  qu'elles  sont  en  effet. 

Sous  le  nom  de  nature,  nous  entendons  une  sagesse 
profonde  qui  développe  avec  ordre  et  selon  de  justes  régies 
tous  les  mouvements  que  nous  voyons. 

BOSSUET. 


LE  LION  S'EN  ALLANT  EN  GUERRE 

Le  lion  dans  sa  tête  avoit  une  entreprise  : 
Il  tint  conseil  de  guerre,  envoya  ses  prévôts, 

Fit  avertir  les  animaux. 
Tous  furent  du  dessein,  chacun  selon  sa  guise  : 

L'éléphant  devait  sur  son  dos 

Porter  l'attirail  nécessaire, 

Et  combattre  à  son  ordinaire  ; 

L'ours  s'apprêter  pour  les  assauts  ; 
Le  renard  ménager  de  secrètes  pratiques; 
Et  le  singe,  amuser  l'ennemi  par  ses  tours. 
«  Renvoyez,  dit  quelqu'un,  les  ânes  qui  sont  lourds, 
Et  les  lièvres  sujets  à  des  terreurs  paniques. 
—  Point  du  tout,  dit  le  roi,  je  les  veux  employer  : 
Notre  troupe  sans  eux  ne  serait  pas  complète. 
L'âne  effraiera  les  gens,  nous  servant  de  trompette; 
Et  le  lièvre  pourra  nous  servir  de  courrier,  a 

Le  monarque  prudent  et  sage. 
De  ses  moindres  sujets  sait  tirer  quelque  usage. 

Et  connoit  les  divers  talents. 
Il  n'est  rien  d'inutile  aux  personnes  de  sens. 

La  Fontaine. 


—   21    — 


LE  JARDIN  POTAGER 

Continuer  le  labour.  Mener  les  engrais  et  composts.  Semer 
sur  couches  :  carottes,  chicorée  frisée,  laitues  de  printemps 
et  romaines,  melons,  poireaux,  radis.  Planter  sur  couche  : 
choux-fleurs  tendres  hâtifs,  laitues  de  printemps  et  romaines. 
Forcer  les  asperges  vertes.  Préparer  les  meules  à  champignons. 
On  récolte  en  cave  :  barbe  de  capucin,  pissenlit,  champi- 
gnons. Sous  couverture  :  carottes,  mâches,  raiponce,  scorso- 
nère. Sous  châssis  en  couche  :  asperges,  épinards,  laitue 
crêpe  ou  gotte,  radis. 

LE  JARDIN  D'AGRÉMENT 

Soigner  les  plantes  qui  doivent  former  les  corbeilles  de 
bonne  heure  :  fuchsias,  géraniums,  héliotropes. 

LA  CAVE 

Fermer  les  celliers  par  les  gelées,  aérer  par  les  temps  doux. 
Soutirages  et  ouillages.  Mise  en  bouteilles. 

RECETTE 

Potée  a  l'oie.  —  Mettez  dans  une  marmite  remplie  de 
trois  litres  d'eau  froide  les  restes  d'un  rôti  d'oie  (abatis  et 
carcasse),  un  morceau  de  lard  de  poitrine  salé,  des  carottes, 
un  navet,  un  morceau  de  céleri,  et  laissez  cuire  pendant 
trois  heures.  Ajoutez  un  chou  de  Milan  moyen  en  feuilles  et 
deux  cuillerées  à  bouche  de  graisse  d'oie.  Faites  mijoter  une 
heure.  Une  demi-heure  avant  de  retirer  la  potée  du  feu, 
ajoutez  quelques  pommes  de  terre  coupées  en  quartiers.  Le 
bouillon  sert  à  faire  une  excellente  soupe. 


22    — 


i 


1                                                                                           1 

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P 

FÉVRIER 

LES    POISSONS 

lévrier  était  le  dernier  mois  de 

Comput  eclésiastique  pour  i 

917: 

l'ancienne  année  romaine,  consacré 

Nombre  d'or 

[S 

aux  morts  et  à  Februus,  personni- 

Cycle solaire 

22 

fication  divine  de  la  purification. 

Epacte 

6 

Lettre  dominicale  .    . 

G 

Quatre-Temps  28  février. 

Indiction  romaine   .    . 

5 

1 

PliSlS 

SOLEIL 

LUNE          1  1 

JOURS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 

— -««^— — ~ 

^^ . 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

H,    M. 

H.    .M. 

H.    M. 

H.    M. 

I 

Jeudi 

S.  Ignace .    .    .    /  ^ 

^ 

7  -24 

16  46 

II  30 

328 

2 

Vendr. 

Purification  .    .         .f. 

8 

© 

7  22 

1647 

12  20 

425 

3 

Samedi 

S.  Biaise  ....    A 

© 

721 

1649 

13  17 

5  13 

4 

Dim. 

Sepiitagésime .    .    .     f 

^ 

P.L. 

7  19 

16  51 

14  20 

5  51 

S 

Lundi 

S«  Agathe.    ...    4 

îl 

le  7 

7  18 

16   52 

15  26 

621 

6 

Mardi 

S.  Amand.    ...    4 

X 

à  •?  h. 
28  m. 

7  17 

1654 

1633 

645 

7 

Mercr. 

S.  Romuald.    .        ▲ 

(l> 

7  15 

1656 

1739 

7    5 

8 

Jeudi 

S.  Jean  de  Matha. 

▲ 

\ 

7  13 

1657 

1845 

722 

9 

Vendr. 

S^  Apolline  .    .    . 

▲ 

s 

a 

7  12 

1659 

19  51 

738 

10 

Samedi 

S^  Scholastique    . 

▲ 

7  10 

17       I 

2058 

7  54 

II 

Dim. 

Sexagésime    .    .    . 

t 

^ 

D.a 

7    8 

17     2 

22     6 

8  II 

12 

Lundi 

S«  Eulalie.    .    .    . 

▲ 

a 

le  15 

7    7 

17    4 

23   17 

8  29 

13 
14 

Mardi 
Mercr. 

S.  Lézin    .... 
S.  Valentin  .    .    . 

▲ 

A 

t 

à  I  h. 
53  11 

7    5 
7    3 

17    6 
17    7 

0  29 

8sr 
9  19 

15 

Jeudi 

S.  Faustin    .    .    . 

▲ 

t 

7    2 

17    9 

I  42 

955 

1 1 

23 


i 

PHiSlS 

SOLEIL 

LUNE 

JOURS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 

'-^^— _^— - 

— ,_     _„ 

lune 

Lever 

Coudi, 

Lever 

Couch. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

i6 

Vendr. 

S.  Onésime  .    .    . 

▲ 

® 

7    0 

17 II 

2  53 

1043 

17 

Samedi 

S.  Théodule. 

▲ 

S 

# 

6  --,8 

17   12 

3  55 

II   45 

18 

Dim. 

Quinqua^sime 

t 

656 

17 14 

4  47 

13       I 

19 

Lundi 

S.  Gabin  .    . 

▲ 

<^ 

N.L. 

655 

17  15 

5  27 

1425 

20 

Mardi 

Mardi  Gras  . 

▲ 

â 

le  21  à 
18  h. 
9  m. 

653 

17 17 

558 

15  53 

21 

Mercr. 

Cendres .    . 

▲ 

r 

651 

17 19 

6  24 

17  20 

22 

Jeudi 

S«  Isabelle    . 

A 

\é 

649 

17  20 

646 

1846 

23 

Vendr. 

S.  Mérault   . 

▲ 

$ 

647 

1722 

7    7 

20  10 

24 

Samedi 

S.  Prétextât. 

▲ 

â 

© 

645 

1724 

728 

21  31 

25 

Dim. 

Quadragésime 

t 

# 

643 

1725 

751 

22  50 

26 

Lundi 

S.  Taraise.    . 

A 

3 

P.  a 

642 

1727 

8  18 



27 

Mardi 

S'  Honorine. 

A 

© 

leîSà 
16  h. 
44  m. 

640 

17  28 

849 

0    6 

28 

Mercr. 

S.  Romain    . 

A 

* 

638 

1730 

9  28 

I  16 

FtU  Patronale.  —  3 

ît  Biaise,  Tisserands. 

LE  GRAS  ET 

LE  MAIGRE 

Le     sultan     Saladin,     raconte 

le  diamant  de  Visapour.  Le  sultan 

Brillât -Savarin,  voiilant  éprouver 

les  garda  encore   dans  son  palais 

jusqu'à   quel  point  pouvait  aller 

et,  pour  célébrer   leur  triomphe, 

la    continence  des   derviches,   en 

leur  fit   faire  pendant    plusieurs    j 

prit  deux  dans  son  palais,  et,  pen- 

semaines,   une    chère    également 

dant  un  certain  espace  de  temps. 

soignée,   mais   exclusivement   en 

les  fit  nourrir  de  viandes  succu- 

poisson.  A    peu  de  jours,  on  les 

lentes.    Dans    cet    état,   on   leur 

soumit  de  nouveau  aux  pouvoirs 

donna     pour     compagnes    deux 

réunis   de   la   jexmesse   et   de   la 

odalisques   d'une    beauté    toute- 

beauté  ;  mais  cette  fois,  la  nature 

puissante,  mais  elles    échouèrent 

fut  plus  forte,  et  les  trop  heureux 

dans  leurs  attaques  les  mieux  diri- 

cénobites     succombèrent     éton- 

gées, et  les  saints  sortirent  d'une 

namment. 

épreuve  aussi  délicate,  purs  comme 

24 


Le  Romantisme  n'a  pas  soufflé  son  miasme  sur  les 
conceptions  théâtrales  seulement.  Il  en  a  saturé  les  esprits 
et  les  cœurs.  Nos  mœurs,  les  vertus  et  les  vices,  tous  les 
sentiments,  bons  ou  mauvais,  portent  aujourd'hui  le  masque 
exagéré  du  Mélodrame. 


Il  faudrait  un  nouvel  Archiloque. 


Jean  Moréas. 


RONDEAU 

Ceulx  qui  deusscnt  parler  sont  muts. 

Les  loyaulx  sont  pour  sots  tenus  ; 

Te  n'en  voy  nuls 

Qui  de  bonté  tiennent  plus  compte. 

Vertus  vont  jus,  péché  hault  monte  : 

Ce  vous  est  honte 

Seigneurs  grans,  moyens  et  menus. 

Flateurs  sont  grans  gens  devenus 

Et  à  haults  estats  parvenus, 

Entretenus, 

Tant  que  rien  n'est  qui  les  surmonte. 

Ceux  qui  deussent  parler  sont  muts. 

Nous  naquismes  pauvres  et  nuds  ; 

Les  biens  nous  sont  de  Dieu  venus. 

Nos  cas  congnus 

Luy  sont  pour  vray,  je  vous  le  comte. 

Pape,  empereur,  roy,  duc  ou  conte, 

Tout  se  mescompte, 

Quant  les  bons  se  sont  soustenus. 

Ceux  qui  deussent  parler  sont  muts, 

Jean  Meschinot. 


25 


LE  JARDIN  POTAGER 

Fin  des  labours.  Planter  en  pleine  terre  :  ail,  échalote, 
pommes  de  terre  (les  abriter  pendant  les  gelées).  Planter 
sur  couche  :  choux-fleurs,  laitues,  melons.  Semer  en  pleine 
terre:  cerfeuil,  épinards,  fève,  oignon,  persil,  pois  hâtifs. 
Semer  sur  couche  en  place  des  semis  de  janvier  :  aubergine, 
céleri,  choux-fleurs,  haricots  hâtifs,  laitue,  navets.  Biner  et 
fumer  les  asperges.  Découvrir  les  artichauts  si  le  temps  est 
humide.  On  récolte  les  mêmes  produits  qu'en  janvier,  plus 
choux  de  Saint-Denis,  laitue.  Passion  et  Witloof. 

LE  JARDIN  D'AGRÉMENT 

Semer  coquelicots,  pieds-d'alouette,  nigelles  ;  planter  des 
bordures  de  buis  ;  tailler  et  élaguer  les  arbustes  à  floraison 
d'été. 

LA  CAVE 

Continuer  les  ouillages,  les  soutirages  ;  faire  ces  dernières 
opérations  dans  des  vases  et  avec  des  instruments  parfaite- 
ment nettoyés. 

RECETTE 

Risotto  au  poisson.  —  Faire  cuire  au  court-bouillon  une 
langouste  ou  un  poisson  de  chair  ferme  que  l'on  découpe  et 
que  l'on  met  dans  un  plat,  au  bain-marie.  Passer  le  court- 
bouillon  et,  dans  la  quantité  nécessaire,  jeter  le  riz  que  l'on 
tourne  jusqu'à  parfaite  cuisson,  en  ajoutant  une  cuillerée  de 
purée  de  tomate  et  les  épices  variées.  Quand  le  riz  est  prêt, 
y  mêler  une  pincée  de  safran  et  en  garnir  le  plat,  saupou- 
dré de  parmesan,  où  l'on  aura  placé  le  poisson  ou  la 
langouste. 


—  26 


MARS 

LE   BÉLIER 


Premier  mois  de  l'année  ro- 
maine, dédié  à  Mars,  dieu  de  la 
Guerre,  et  anciennement  du  Prin- 
temps à  qui  le  pivert  était  con- 
sacré. 


Calendrier   anglais  :    St   David, 
i»''  mars,  St  Pattick,  17  mars. 

Equinoxe      de     Printemps      le 
21  mars  à  4  h.  27  m.  20  secondes. 


JOURS 


Jeudi 

Vendr. 

Samedi 

Dim. 

Lundi 

Mardi 

Mercr. 

Jeudi 

Vendr. 

Samedi 

Dim. 

Lundi 

Mardi 

Mercr. 

Jeudi 


S.  Aubin  . 
S.  Simplice 
S.  Mairin  . 
Remiyiiscere 
S.  Adrien . 
S«  Colette. 
S.  Thomas  d'A 
S.  Jean  de  D 
S^  Françoise. 
S.  Doctrovée 
Oculi.  .  .  . 
S.  Grégoire  . 
S^  Euphrasie 
S«  Mathilde. 
Mi-Carême  . 


ti^ 


1^ 


PHiSES 
de  la 
lune 


© 


P.L. 

le  8, 


2ih. 
58  m. 


SOLEIL 
Lever   Couch. 


636 

634 

632 

6  30 

628 

626 

6  24 

622 

6  20 

6  17 

15 

13 

1 1 

9 
7 


7  32 
7  i3 
7  35 
7  3^ 
738 
7  39 
741 
7  43 
7  44 
746 

7  47 
7  49 
7  50 
7  52 
7  53 


Lever  Couch. 


H.  .M. 

10  16 

I  I  II 

12  12 

13  17 
1423 
15  29 

1635 
1742 
1849 

1957 

21  7 

22  19 
2331 

041 


2  18 

3  9 

3  50 
423 

4  49 

5  II 
5  29 

5  46 

6  2 

6  19 

637 
658 

7  23 
756 
839 


—  27  — 


PHASES 

SOLEIL 

LUNE 

JOURS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 

^         ^ 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

16 

Vendr. 

S.  Cyriaque  .    .    . 

▲ 

© 

a 

0    5 

1755 

I  45 

935 

17 

Samedi 

S.  Patrice  .    . 

▲ 

© 

D.Q. 

6    3 

1756 

239 

1043 

i3 

Dim. 

Lœtarc    .    .    . 

t 

f 

le  16, 

6    I 

1758 

322 

12     I 

19 

Lundi 

S.  Joseph  .    . 

+ 

?® 

à 
12   h. 

5  59 

18      0 

356 

1324 

20 

Mardi 

S.  Joachim.   . 

▲ 

} 

33111. 

5  57 

18        I 

424 

1449 

21 

Mercr. 

S.  Benoit  .    . 

A 

\ 

5  55 

18    3 

4  47 

16  14 

22 

Jeudi 

se  Léa    .    .    . 

▲ 

a 

• 

5  52 

18    4 

5    8 

1737 

-3 

Vendr. 

S.  Victorien  . 

▲ 

t    IN.L. 

5  50 

18    6 

5  29 

19    0 

24 

Samedi 

S.  Simon    .    . 

▲ 

m 

le  23- 
à  4  h 
5  ni. 

5  48 

18    7 

5  52 

20  22 

25 

Dim. 

Annonciation 

+ 

A 

546 

18    9 

617 

21  41 

26 

Lundi 

S.  Emmanuel 

A 

4. 

c 

544 

18  10 

647 

22  56 

27 

Mardi 

S.  Rupert  .    . 

A 

^ 

>) 

542 

18  II 

724 

28 

Mercr. 

S.  Contran    . 

A 

f     p.  Q. 

1;  40 

18  13 

8    9 

0    3 

29 

Jeudi 

S.  Victorin.   . 

A 

0 

le  30, 

538 

18  14 

9      3 

I    0 

30 

Vendr. 

S.  Rieul.    .    . 

A 

© 

à 
10   h 

536 

18  16 

10    2 

I  46 

31 

Samedi 

S.  Benj^n^'ii  . 

A 

m 

36  m. 

5  34  18  17 

II    6 

222 

fi/«   Patronale.  —  19  St  Joseph,  charpentiers,  Charrons 

LES  VENTS  LOCAUX 

Mistral.    —    Ce     vent,     dont 

et  parfois  les  déracine.  En  outre, 

parlent  déjà  Virgile  et  Strabon, 

il     assèche    fortement    le    sol    et 

est   surtout   connu  en    Provence, 

donne     au    ciel    une    luminosité 

où    il    est    considéré  comme   un 

remarquable. 

fléau;  mais  il  se  fait  sentir  jusque 

Le  mistral  souffle  no  jours  par    1 

sur  le  Bas-Languedoc  et  le  Rous- 

an   à    Marseille,    soit    près    d'un 

sillon.    Sa    direction    est    d'entre 

jour  sur  trois. 

Nord  et  Ouest. 

La  durée    du  coup   de  mistral 

La  violence  du  mistral  est  pro- 

qui s'établit    s'étend  souvent  sur 

verbiale.  Quand  il  souffle,  l'air  est 

des  cycles  de  3,  6  ou  9  jours  :  dès 

sec,  le  ciel  se  découvre,  le  baro- 

sa venue,  il  souffle  fortement  et 

mètre    monte  et    la  température 

sa    puissance     s'accroît    avec    la 

baisse.  Cette  violence,   jointe   au 

hauteur    du    soleil    au-dessus    de 

froid  et  à  la  sécheresse,  produit 

l'horizon,   le   maximum    de    vio- 

sur l'homme  xme  impression  phy- 

lence  ayant   lieu  cependant   vers 

siologique  pénible.  L'action  de  ce 

14  heures;  il  faiblit  au  crépuscule. 

vent   sur   le   règne   végétal   n'est 

souffle  en  légère  brise  pendant  la 

pas  moins  nuisible  ;  il  flétrit  les 

nuit,  puis  le   lendemain    repasse 

plantes  délicates,  courbe  les  arbres 

par  les  mêmes  variations. 

1 

28 


Nos  idées  sont  plus  imparfaites  que  la  langue. 
Un  défaut  de  la  mauvaise  poésie  est  d'allonger  la  prose, 
comme  le  caractère  de  la  bonne  est  de  l'abréger. 

Vauvenargues. 


ODE 

Pourquoy,  chétif  laboureur, 
Trembles-tu  d'un  Empereur, 
Qui  doit  bien  tost,  légère  ombre, 
Des  morts  accroistre  le  nombre? 
Ne  sçais-tu  qu'à  tout  chacun 
Le  port  d'Enfer  est  commun, 
Et  qu'une  âme  impériale 
Aussi  tost  là-bas  dévale 
Dans  le  bateau  de  Charon, 
Que  l'âme  d'un  bûcheron? 

Courage,  coupeur  de  terre! 
Ces  grands  foudres  de  la  guerre 
Non  plus  que  tov  n'iront  pas 
Armez  d'un  plastron  là-bas, 
Comme  ils  alloyent  aux  batailles  : 
Autant  leur  vaudront  leurs  mailles, 
Leurs  lances  et  leur  estoc 
Comme  à  toy  vaudra  ton  soc. 

Le  bon  juge  Rhadamante 
Asseuré  ne  s'espouvante 
Non  plus  de  voir  un  harnois 
Là-bas,  qu'un  levier  de  bois. 
Ou  voir  une  souquenie 
Qu'une  robbe  bien  garnie. 
Ou  qu'un  riche  accoustrement 
D'un  Roy  mort  pompeusement. 

Pierre  de  Ronsard. 


—  29  — 


LE  JARDIN  POTAGER 

Terminer  labours  et  enfouissement  des  engrais.  Planter  en 
pleine  terre  :  ail,  asperges,  échalotes,  ignames.  Repiquer 
choux  hâtifs,  laitues  d'été  et  romaines.  Planter  sur  couche  : 
aubergine,  concombre,  melon,  tomate.  Aérer  progressivement 
les  légumes  forcés.  Découvrir  artichauts.  Renouveler  ou 
planter  oseille,  civette,  lavande,  thym  et  plantes  vivaces. 
Semer  en  pleine  terre,  en  plus  des  semis  de  février  :  bette- 
raves, carottes,  choux  en  pépinière,  laitues,  navets,  oignons, 
panais,  persil,  poireaux,  radis,  salsifis,  scorsonère.  Semer  sur 
couches  sourdes  :  chicorée,  choux  de  Milan  et  cabus,  laitues 
et  romaines.  Planter  pommes  de  terre  hâtives  et  griffes 
d'asperges.  On  récolte  mêmes  produits  qu'en  février,  plus  : 
carottes,  cerfeuil,  choux  ÏNIilan  et  brocolis,  laitues  d'hiver, 
navets,  oseille,  poireaux. 

LE  JARDIN  D'AGRÉMENT 

Taille  des  rosiers.  Préparer  sur  couche  sourde  les  dahlias; 
semer  sur  couche  l'amarante,  la  balsamine,  le  zinnia.  Multi- 
plier les  violettes,  les  iris,  les  phlox. 

LA  CAVE 

Terminer  les  soutirages,  ventiler  les  caves  et  les  celliers; 
traiter  les  vins  malades. 

RECETTE 

TouRNEBRiDEs  Jenny.  —  Prendre  des  escalopes  que  l'on 
roulera  dans  une  pièce  de  toilette,  après  les  avoir  garnies  de 
la  farce  suivante  :  hachis  de  foie  de  veau,  de  champignons 
et  olives  noires,  mie  de  pain  imbibée  de  lait,  quelques  petits 
lardons,  des  raisins  de  Malaga,  quelques  grains  de  genièvre 
marines  dans  de  la  bonne  eau-de-vie  et  les  épiées  suivantes  : 
thym,  romarin,  écorce  de  citron,  menthe,  sauge,  estragon, 
persil,  girofle,  ail,  échalote. 

Ranger  les  escalopes  dans  une  sauteuse,  les  faire  dorer 
dans  le  beurre,  puis  mijoter  trois  heures  dans  une  sauce  au 
porto,  relevée  de  cayenne  et  de  paprika. 


—  30 


II 


LE   TAUREAU 


Varron  prétend  qu'Avril  veut 
dire  apéritif;  c'est  le  mois,  en 
effet,  où  les  bourgeons  s'ouvrent 
et  où  la  végétation  éclate  de 
toutes  parts. 


I.a  lune  rousse  commencera  le 
21  avril  à  14  h.  I  minute  et  unira 
le  21  mai,  à  o  h.  47  m. 

Pâques  nisses,  le  15  avriL 


JOURS 


Dim. 

Lundi 

Mardi 

Mercr. 

Jeudi 

Vendr. 

Samedi 

Dim. 

Lundi 

Mardi 

Mercr. 

Jeudi 

Vendr. 

Samedi 

Dim. 


FÊTES 


Rameaux.    .  . 
S.  François  de  I 

S.  Richard    .  . 

S.  Isidore.    .  . 

S*"  Irène    .    .  . 

S.  Célestin    .  . 

S.  Hégésippc  . 

PAQUES.    .  . 

se  Marie  E-.  . 

S.  Fulbert.   .  . 
S.  Léon  le  Grand 

S.  Jules.    .    .  . 

S.  Justin  .    .  . 

S.  Tiburct     .  . 

Quasitnodo    .  . 


I 

O 

a 
f 


PHASES 
de  la 
lune 


© 

P.L. 

le;  à 
13  h. 
49  m. 


D.Q. 

Iei4à 
20  h. 


SOLEIL 
Lever    Couch, 


531 
529 

527 

5  25 
5  23 
5  21 
5  19 
5  17 
5  15 
5  13 
5  II 
5  9 
5  7 
5  5 
5  3 


H.  M. 

18  19 
18  20 
18  22 
1823 

i82<; 

1826 
1828 
18  29 
18  31 
18  32 

IJ^34 
1835 
1837 
1838 
18  40 


LUNE 

Lever   Couch. 


H.    .M. 

12  12 

13  18 
1424 
15  30 
1637 
1745 
1855 

20  7 

21  20 

22  32 
2338 

035 
I  20 

I  ^6 


H.  .M. 
251 

3  14 
3  34 

3  52 

4  8 
425 

4  43 

5  3 
5  28 

5  59 
639 
7  32 
836 
950 
I  9 


31 


PRISES 

SOLEIL 

LUNE 

JOURS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 

— -i^-— • 

lune 

Le\'er 

Couch. 

Lever 

Couch. 

K.    u. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

i6 

Lundi 

S.  Fructueux    .    . 

▲ 

^ 

5     I 

I84I 

225 

12  31 

17 

Mardi 

S.  Anicet.    . 

▲ 

<& 

# 

4  59 

1843 

249 

13  52 

18 

Mercr. 

S.  Parfait.    . 

▲ 

e 

4  57 

1844 

3  II 

15  13 

19 

Jeudi 

S.  Timon. 

▲ 

t 

N.L. 

4  55 

18  46 

331 

1634 

20 

Vendr. 

S.  Marcellin. 

▲ 

r 

le  .11  à 
14   h. 
I  m. 

4  53 

1847 

3  52 

17  54 

21 

Samedi 

S.  Anselme  . 

▲ 

% 

451 

1849 

4  16 

19  14 

22 

Dim. 

S*  Opportune 

t 

\ 

4  49 

18  50 

444 

2032 

23 

Lundi 

S.  Georges   . 

▲ 

A 

4  47 

iS  52 

5  18 

21  44 

24 

Mardi 

S.  Fidèle  .    . 

▲ 

8 

3 

446 

1853 

6    0 

22  46 

25 

Mercr. 

S.  Marc    .    . 

^    ▲ 

^ 

4  44 

1854 

651 

2338 

26 

Jeudi 

S.  Clet.     .    . 

1  4 

* 

P.Q. 

442 

1856 

7  49 



27 

Vendr. 

S.  Anthime  . 

A 

Ë» 

le  29  à 
5  h. 
i2  m. 

440 

18  57 

853 

0  19 

28 

Samedi 

S.  Vital    .    . 

!  A 

X 

438 

1859 

9  59 

051 

29 

Dim. 

Modicum .    . 

t 

^ 

4  37 

19    0 

II     5 

I  16 

30 

Lundi 

S.  Eutrope  . 

▲ 

© 

435 

19     2 

12  II 

I  27 

FiU  PatrorujU.   —    2 

5  St  Marc,  Vitriers. 

LES  VENT! 

5  LOCAUX 

Autan   et  Marin.    —  Sous  le 

du    Gers.   Certains   observateurs 

nom  de    Marin,    on    désigne    le 

portent  même  sa  limite  au  Nord 

vent  qui  souffle  du  Sud-Est  dans 

jusqu'à  Aurillac  et  à  l'Ouest  jus- 

la plaine  du  Bas-Languedoc,  de 

qu'à  Bordeaux  et   Arcachon.   Ce 

Montpellier    à     Narbonne     et    à 

vent  est  chaud,  lourd  et  pesant. 

Perpignan;  il  est  chaud,  humide. 

il  engoirdit  et  abat  les  hommes 

s'accompagne    d'une     baisse    du 

et  les  animaux.   Il    rend  la  tète 

baromètre   et    se  fait    sentir  jus- 

pesante, il  ôte  l'appétit  et  paraît 

qu'aux    montagnes    qui    séparent 

gonfler    tout    le  corps.   Il    flétrit 

le   bassin   de  la  Méditerranée  de 

aussi  les  plantes  et  les  fruits.  En 

celui  de  l'Atlantique. 

automne,   il    hâte   la    chute    des 

h'Auian,    de    même     direction 

feuilles. 

entre  Sud  et  Est,  parfois  extrê- 

En   beaucoup     d'endroits,    on 

mement  violent,  se  fait  sentir  à 

distingue  l'autan  bUnt  et  l'autan 

l'Ouest   des   mêmes   montagnes  : 

noir  :  celui-ci,  plus  fréquent,  est 

au  nord,  il  dépasse  la  ligne  Albi- 

moins     redoutable,     parce     qu'il 

Montauban-Agen,  et  à  l'Ouest  il 

dure  moins  longtemps. 

se  fait  sentir  au  delà  de  la  rivière 

—  32  — 


Les  passions  violentes  ne  doivent  jamais  être  exprimées 
de  façon  à  provoquer  le  dégoût;  même  dans  les  situations 
horribles,  la  musique  ne  doit  jamais  blesser  les  oreilles,  ni 
cesser  d'être  la  musique.  Mozart. 

LA  JEUNE  TARENTINE 

Pleurez,  doux  alcyons!  ô  vous,  oiseaux  sacrés, 
Oiseaux  chers  à  Tethys,  doux  alcyons,  pleurez. 
Elle  a  vécu,  Myrto,  la  jeune  Tarentine! 
Un  vaisseau  la  portait  aux  bords  de  Camarine  : 
Là,  l'hymen,  les  chansons,  les  flûtes,  lentement 
Devaient  la  reconduire  au  seuil  de  son  amant. 
Une  clé  vigilante  a,  pour  cette  journée. 
Sous  le  cèdre  enfermé  sa  robe  d'hyménée. 
Et  l'or  dont  au  festin  ses  bras  seront  parés, 
Et  pour  ses  blonds  cheveux  les  parfums  préparés. 
Mais,  seule  sur  la  proue,  invoquant  les  étoiles. 
Le  vent  impétueux  qui  soufflait  dans  ses  voiles 
L'enveloppe  :  étonnée  et  loin  des  matelots. 
Elle  tombe,  elle  crie,  elle  est  au  sein  des  flots. 
Elle  est  au  sein  des  flots,  la  jeune  Tarentine  ! 
Son  beau  corps  a  roulé  sous  la  vague  marine. 
Tethys,  les  yeux  en  pleurs,  dans  le  creux  d'un  rocher. 
Aux  monstres  dévorants  eut  soin  de  le  cacher. 
Par  son  ordre  bientôt  les  belles  Néréides 
S'élèvent  au-dessus  des  demeures  humides, 
Le  poussent  au  rivage,  et  dans  ce  monument 
L'ont  au  cap  du  Zéphyr  déposé  mollement; 
Et  de  loin,  à  grands  cris  appelant  leurs  compagnes, 
Et  les  nymphes  des  bois,  des  sources,  des  montagnes. 
Toutes  frappant  leur  sein  et  traînant  un  long  deuil, 
Répétèrent,  hélas  !  autour  de  son  cercueil  : 
«  Hélas  I  chez  ton  amant  tu  n'es  point  ramenée, 
Tu  n'as  point  revêtu  ta  robe  d'hyménée. 
L'or  autour  de  ton  bras  n'a  point  serré  de  nœuds, 
Et  le  bandeau  d'hymen  n'orna  point  tes  cheveux.  » 

André  Chénier. 


33  — 


LE  JARDIN  POTAGER 

On  peut  dès  maintenant  semer  toutes  planter  potagères, 
sauf  haricots  et  cornichons  à  réserver  pour  mai.  Renouveler 
semis  de  laitues,  pois,  radis,  pour  en  avoir  tout  l'été. 
Œilletonner  les  artichauts.  Eclaircir  les  semis  du  mois  pré- 
cédent. Sarcler,  biner,  pailler  les  plantations.  Finir  les 
plantations  d'asperges. 

LE  JARDIN  D'AGRÉMENT 

Semer  en  pleine  terre  :  pois  de  senteur,  réséda,  balsamine, 
amarante,  belle-de-jour,  belle-de-nuit,  giroflée  quarantaine. 
Semer  sur  couche  et  en  pépinière  :  aster  de  Chine,  zinnia, 
pétunia,  tabac,  phlox,  muflier. 

LA  CAVE 

Terminer  les  soutirages,  visiter  les  futailles  pleines; 
déguster  et  traiter  les  vins  s'il  y  a  lieu;  mettre  dans  des 
tonneaux  préalablement  méchés  pour  les  transvasements. 

RECETTES 

Quiche  lorraine.  —  Faire  une  pâte  à  tarte,  enfourner 
quelques  instants  sans  laisser  dorer.  Retirer  et  mettre  sur 
la  pâte  de  la  crème  battue  avec  deux  œufs  entiers,  une 
pincée  de  sel.  Couper  dessus  quelques  petits  morceaux  de 
beurre  et  de  petits  lardons  frais.  Enfourner  à  nouveau, 
servir  chaud  et  bien  doré,  avec  une  bouteille  de  vin  blanc. 

Meurette  beaunoise.  —  Coupez  par  tronçons  une  truite, 
une  anguille,  une  lotte  et  un  barbillon  et  mettez-les  dans  un 
roux  avec  quelques  petits  oignons  blanchis  et  cuits  à  moitié, 
des  morilles  ou  des  mousserons,  un  bouquet  garni,  un  peu 
de  poivre  et  d'épices,  deux  verres  de  vin  de  Beaune.  Salez 
suffisamment.  Faites  cuire  à  très  grand  feu  et  servez  avec 
des  croûtons  frits  et  aillés. 


34 


1 

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m 

m^^^^ 1e 

MAI 

LES  GÉMEA 

ux 

Mai  était  dédié  par  les  Romains    ! 

Calendrier   anglais   :    Accession      | 

à  Maua,  déesse  italique  de  la  force    j 

of 

King 

George  V,  6  mai  ;  Birth- 

végétative 

assimilée    ensuite  par 

day  of  Ç 

ueen  Mary,  26  mai. 

les  Poètes 
mes. 

k  Maia,    mère   d'Her-    i 

Naissance     du     Czar    Nicolas,      1 

Quatre-Temps,  30  mai. 

28 

mai. 

rmîs. 

SOLEIL 

LUNB 

JOURS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 

— ,^^,.^,» . 

■ — --i—-— .^^ 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

—"^ 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

I 

Mardi 

SS.  Phil.  et  Jacq. 

▲ 

f 

4  33 

19     3 

13    16 

156 

2 

Mercr. 

S.  Athanase.    .    . 

▲ 

^ 

© 

431 

19     5 

14  22 

2  13 

3 

Jeudi 

Inv.  Ste  Croix.    . 

A 

$> 

430 

19    6 

15  29 

2  29 

4 

Vendr. 

S"  Monique.     .    . 

▲ 

f 

P.L 

4  28 

19    8 

1638 

247 

5 

Samedi 

S.  Pie  V  .    .    .    . 

A 

m 

le?, 

4  26 

19    9 

1750 

3    7 

6 

Dim. 

S.  Jean  P. -Latine. 

t 

a 

425 

19  10 

19     4 

330 

7 

Lundi 

S.  Stanislas  .    .    . 

À 

•^ 

423 

19  12 

20  18 

3  59 

8 

Mardi 

S.  Désiré  .    .    .    . 

▲ 

a 

422 

19  13 

21   27 

4  37 

9 

Mercr. 

S.  Grég.  de  Naz, 

A 

•p* 

C 

4  20 

19  15 

22  28 

526 

10 

Jeudi 

S.  Antonin  .    .    . 

A 

t 

419 

19  16 

23    18 

628 

11 

Vendr. 

S.  Mcmiert   .    .    . 

A 

i% 

D.Q. 

4  17 

19  17 

2358 

740 

12 

Samedi 

S.  Achille.    .    .    . 

A 

f 

le  M. 

4  16 

19  19 



8  59 

13 

Dim. 

S.  Servais.    .    .    . 

t 

X 

48  m. 

4  14 

19  20 

028 

10  20 

M 

Lundi 

Rogations.    .    ,    . 

A 

a 

4  13 

19  22 

053 

II  40 

1  '5 

Mardi 

S«  Denise.    .    .    . 

A 

^ 

4  12 

1923 

I  15 

12  59 

—  35 


JOURS 



.^ 

i6 

Mercr. 

17 

Jeudi 

18 

Vendr. 

IQ 

Samedi 

20 

Dim. 

21 

Lundi 

22 

Mardi 

23 

Mercr. 

24 

Jeudi 

2!; 

Vendr. 

26 

Samedi 

^7 

Dim. 

28 

Lundi 

29 

Mardi 

30 

Mercr. 

31 

Jeudi 

FÊTBS 


S.  Honoré  . 
ASCENSION 
S.  Venant. 
S.  Yves.  .  . 
S.  Bernardin 
S.  Hospice  . 
S«  Julie.  .  . 
S.  Didier  .  . 
S.  Donatien . 
S.  Urbain. 
S.  Zacharie  . 
PENTECOTE 
S.  Germain  . 
S.  Just  .  .  . 
S.  Ferdinand 
se  Pétronille 


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AM- 

A 

A 

A 

A 

A 

O 

+ 

A 

A 

A 


© 


PItSIS 
de  la 
lune 


N.L. 

le  21  à 
o  h. 

47  m. 


P.Q. 

le2Sà 
23  h. 
33  m. 


LUNE  SOLEIL 

Lever   Couch.,  Lever   Couch. 


H.    M. 

4  10 

4    9 

4    8 

4 

4 

4 

4 

4 

4 

4 

3 

3 

3 

3 

3 

3 


H.    M.       H.    M 


1924 
1925 
1927 
19  28 
1929 
1930 
1932 
1933 
1934 
1935 
1937 
1938 
1939 
1940 
19  41 
1942 


I  35 

1  56 

2  18 
244 

3  15 
3  53 
440 
5  36 
638 
7  44 
851 
9  57 

11  2 

12  7 

13  13 

14  20 


14  18 

15  36 
1654 
18  II 
1925 

20  32 

21  28 

22  13 
2249 

23  17 
2340 

o  o 
o  17 

033 

o  50 


fêtes  Patronales.  —  6  St  Jean    Porte- Latine,  Imprimeurs,  Libraires, 
10  St  Isidore,  Laboureurs.  —  16  St  Honoré,  Boulangers. 


PHYSIOGNOMONIE 


Selon  le  Grand  Compost  et  Kalen- 
drier  du  Bergers,  les  yeux  gros 
décèlent  la  paresse,  l'effronterie, 
la  désobéissance  et  l'orgueil  ;  les 
yeux  ratés,  gâtés  et  étendus,  malice, 
vengeance  et  trahison  ;  les  grands 
yeux  à  grandes  paupières,  folie, 
dur  entendement  et  mauvaise 
nature  ;  les  yeux  blanchards  et 
charnus,  ime  personne  encline  à 
vice,  à  luxure  et  qui  est  pleine  de 
fraude. 

Le  visage  petit,  maigre,  menu, 
le  nez  aquilin  et  le  cou  de  lon- 


gueur médiocre  signifient  le  cou 
rage,  la  vivacité  et  la  colère.  Le 
nez  long  et  haut  par  nature  signi- 
fie prouesse  et  hardiesse.  Le  nez 
camus  signifie  hâtiveté,  luxure  et 
entreprise.  Le  nez  bègue  qui  des- 
cend jusqu'à  la  lèvre  de  dessus 
signifie  la  personne  malicieuse, 
décevante,  déloyale  et  luxurieuse. 
Le  nez  gros  et  haut  au  milieu 
signifie  homme  sage  et  bien  par- 
lant. Le  nez  qui  a  grandes  nari- 
nes et  ouvertes  signifie  glouton- 
nerie et  ire. 


36 


Pour  qu'un  talent  puisse  se  développer  vite  et  heureu- 
sement, il  faut  qu'il  y  ait  dans  sa  nation  beaucoup  d'esprit 
en  circulation. 

Les  Grecs  voyaient  la  nature  à  travers  leur  propre  grandeur. 

En  quoi  consiste  la  barbarie,  sinon  à  ne  pas  distinguer 
l'excellent?  Gœthb. 


CHANT  DE  MAY  ET  DE  VERTU 

Voulentiers  en  ce  moys  icy, 
La  terre  mue  et  renouvelle. 
Maintz  amoureux  en  sont  ainsi 
Subjetz  à  faire  amour  nouvelle 
Par  légèreté  de  cervelle, 
Ou  pour  estre  ailleurs  plus  contens  : 
Ma  façon  d'aymer  n'est  pas  telle  : 
Mes  amours  durent  en  tout  temps. 

N'y  a  si  belle  dame  aussi 
De  qui  la  beauté  ne  chancelle  ; 
Par  temps,  maladie  ou  soucy 
Laideur  les  tire  en  sa  nasselle  ; 
Mais  rien  ne  peut  enlaidir  celle 
Que  servir  sans  fin  je  prétens  ; 
Et  pour  ce  qu'elle  est  toujours  belle. 
Mes  amours  durent  en  tout  temps. 

Celle  dont  je  dy  tout  cecy. 
C'est  Vertu, 'la  nymphe  éternelle 
Qui  au  mont  d'honneur  esclercy 
Tous  les  vrays  amoureux  appelle  : 
«  Venez,  amans,  venez,  dit-elle, 
Venez  à  moi.  je  vous  attens  ; 
Venez,  ce  dit  la  jouvencelle, 
Mes  amours  durent  en  tout  temps.  • 

Prince,  fais  amye  immortelle 
Et  à  la  bien  aymer  entens, 
Lors  pourras  dire  sans  cautelle  : 
Mes  amours  durent  en  tout  temps. 

Clément  Marot. 


37 


LE  JARDIN  POTAGER 

Tailler  et  mettre  en  place  concombres,  melons,  tomates. 
Pailler  les  planches  de  légumes.  Arroser  fréquemment. 
Repiquer  navets,  choux,  céleris.  On  peut  semer  tous  les 
légumes  :  cardon,  carotte,  "céleri,  cerfeuil,  chicorée,  chou, 
ciboule,  épinard,  haricot,  laitue  d'été,  navet,  oseille,  persil, 
poireau,  radis. 

LE  JARDIN  D'AGRÉMENT 

Fauchaison  de  gazons  ;  mise  en  place  de  dahlias,  géra- 
niums, cannas,  verveines,  bégonias,  calcéolaires,  fuchsias, 
etc.  Semer  des  capucines  et  des  plantes  bisannuelles  qui 
devront  donner  des  fleurs  l'année  suivante  :  œillet,  pied- 
d'alouette,  violette. 

LA  CAVE 

Surveiller  de  très  près  les  vins  nouveaux,  éviter  l'action 
directe  du  soleil  sur  les  caves  et  les  aérer. 

RECETTE 

Poulet  av  paprika.  —  Prendre  un  jeune  poulet  très 
tendre,  le  découper  cru  et  le  mettre  à  tremper  dans  l'eau 
froide.  Prendre  un  gros  oignon,  le  couper  bien  mince  sans 
le  hacher;  le  faire  revenir.  Lorsqu'il  est  bien  revenu,  sans 
être  roux,  ajoutez-y  une  demi-cuillerée  à  soupe  de  sel  fin  et 
à  peu  près  la  même  quantité  de  paprika  et  un  demi-verre 
de  purée  de  tomates.  Tournez  bien  le  tout,  et  ajoutez-y  le 
poulet.  Le  laisser  cuire  pendant  une  heure  doucement,  en 
couvrant  la  casserole.  Remuez  de  temps  en  temps.  Au  bout 
d'une  heure,  ajoutez  un  demi-litre  de  crème  épaisse  et 
mélangez  bien,  ayant  soin  que  la  crème  chauffe  doucement 
sans  bouillir.  Servir  avec  des  knockles  que  l'on  aura  fait 
pendant  la  cuisson  du  poulet. 


38 


JUIN 

l'écrevisse 


Le  nom  de  ce  mois  est  tiré  de 
JunoQ  Lucina  et  Pionuba,  déesse 
romaine  de  la  fécondité  et  du 
mariage. 

Le  19  juin,   éclipse  partielle  de 


soleil  ;  commencement  à  1 1  h .  36  m., 
fin  à  14  h.  57.   Invisible  à  Paris. 

Solstice    d'Eté    le    22    juin    à 
o  h.  14  m.  33  secondes. 


JOURS 


Vendr. 
Samedi 
Dim. 

Lundi 

Mardi 

Mercr. 

Jeudi 

Vendr. 

Samedi 

Dim. 

Lundi 

Mardi 

Mercr. 

Jeudi 

Vendr. 


FÊTES 


s*  Laure  .  . 
S.  Pothin.  . 
TRINITÉ  . 
S.  Optât  .  . 
S.  Boniface  . 
S.  Claude.  . 
FÊTE-DIEU 
S.  Médard  . 
S«  Pélagie.  . 
Sol.  Fête-Dku 
S.  Barnabe  . 
S.  Nazaire  . 
S.  Antoine  de 
S.  Basile  le  G 

S.\CRÉ-CŒUR. 


▲ 

A 

▲ 
A 
A 
O 
A 
A 
O 
A 
A 
A 
A 
O 


PUISES 

de  la 
lune 


© 
P.L. 

les, 

à 
n  h. 

6  m. 


D.Q 

le  12. 

à 
6  h. 
38  m. 


SOLEIL 
Lever   Couch. 


3  54 
3  53 
3  53 
3  52 
3  52 
3  51 
3  51 
3  50 
3  50 
3  49 
3  49 
3  49 
3  49 
3  49 
3  49 


H.  M. 

1943 
1944 

1945 
1946 
1946 

1947 
1948 
1949 
19  50 
19  50 
19  51 
19  51 
1952 

19  53 
19  53 


LUNE 
Lever    Couch. 


15  30 
1643 
1758 

19  10 

20  16 

21  12 

21  56 

22  30 

22  58 

23  21 
2341 

O  I 
O  27, 
047 


I  9 
130 

1  57 

2  31 

3  16 

4  14 

5  24 
643 

8  6 

9  28 
1049 

12  7 

13  25 
1442 
i;  ,8 


3Q 


PUSIS 

SOLEIL 

LUNE 

JOURS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 

■ — —^■■—i i^— 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

i6 

Samedi 

S.  Cyr A 

^ 

.^  49 

1954 

I   15 

17   12 

17 

Dim. 

S.  Avit 

+ 

-i^ 

# 

3  49 

1954 

I  50 

18  20 

i8 

Lundi 

S®  Martine   .    .    . 

A 

a 

N.L. 

3  49 

1955 

2  33 

19  19 

19 

Mardi 

SS.  Gerv.  et  Prot. 

▲ 

X 

le  19, 

3  49 

19  55 

32s 

20    9 

20 

Mercr. 

S.  Sylvère    .    .    . 

▲ 

D 

à 

3  49 

1955 

425 

2048 

21 

Jeudi 

S.  Raoul  .... 

▲ 

<6> 

13  h. 
2  m. 

3  49 

1955 

530 

21  19 

22 

Vendr. 

S.  Alban  .... 

+ 

© 

3  49 

1956 

637 

2143 

23 

Samedi 

S.  FélLx    .... 

▲ 

-s* 

3  49 

1956 

7  43 

22    4 

24 

Dim. 

Nat.  S.  J.-Bapt. 

+ 

•^ 

3  50 

1956 

849 

22  22 

25 

Lundi 

S.  Prosper    .    .    . 

▲ 

A 

3 

3  50 

1956 

9  54 

2239 

26 

Mardi 

S.  Maixent  .    .    . 

▲ 

ô 

p.  a 

3  50 

1956 

1059 

22  55 

27 

Mercr. 

S.  Crescent  .    .    . 

▲ 

© 

le  27. 

à 
16  h. 

3  SI 

1956 

12    5 

23   12 

28 

Jeudi 

S.  Irénée  .... 

▲ 

^ 

3  51 

1956 

13  12 

2332 

29 

Vendr. 

SS.  Pierre  et  Paul. 

>+! 

S 

8  m. 

3  52 

1956 

14  22 

23  55 

30 

Samedi 

S.  Martial.   .    .    . 

À 

■^ 

3  52 

1955 

15  35 

FiUs  PatroHa 

Us.   —  I  St  Clair,  Boisseliers,  Sabotiers.  —  3  Ste  Clotilde,  Notaire». 

24  St  J 

ean-Baotiste,  Peaussiers,  Couteliers.  —  29  St  Pierre,  Maçons. 

HORLOGE  DE  FLORE 

S 

'ouvrent  à  :                     ! 

S'ouvrent  à  : 

Minuit  : 

Le   cactus    à   grandes    \ 

II    heures   :    La    belle-d'onee- 

fleurs. 

1 

:  eures,  ou  ornithogale  en  ombelle. 

I  heure  : 

Le  laiteron  de  Lapo-           Midi  :  Toutes  les  autres  ûcoïdes. 

nie. 

1        I  heure  :  Le  pourpier. 

2  heures 

Le  salsi&s  jaune.          |       2      —       L'épervière.           '         | 

3      — 

La  barbe  de  bouc  et    \ 

3      —      La  pulmonaire. 

la  grande  p 

icridie. 

4       —       La    belle -de -jour    et 

4  heures 

Le  liseron  des  haies, 

l'hyacinthe. 

le  pissenlit, 

la  chicorée  sauvage. 

3  heures  :   La  belle -de -nuit. 

S  heures 

La  crépite  des  toits. 

6  heures  :  Le   géranium  triste. 

6      — 

Le  laiteron  des  ma- 

7.      —         L'hémérocalle  safra- 

rais. 

née,  le  pavot  à  tête  nue. 

7  heures 

Le    nénuphar,     la   j 

S  heures  :  Le  liseron  droit.- 

laitue. 

' 

q       —        Le  nyctanthe  de  Ma- 

8 heures 

Le  mouron  rouge. 

labar. 

9        - 

Le  souci  des  champs. 

10  heures  :  Le  liseron  pourpre. 

10    — 

La    flcoïde     barbue. 

II      —        Le  silène  noctifiore. 

-  -  40 


Un  vers  pour  être  bon  doit  être  semblable  à  l'or,  en  avoir 
le  poids,  le  titre  et  le  son.  Le  poids,  c'est  la  pensée  ;  le  titre, 
c'est  la  pureté  élégante  du  style;  le  son,  c'est  l'harmonie.  Si 
l'une  de  ces  trois  qualités  manque,  le  vers  ne  vaut  rien. 

La  décadence  est  produite  par  la  facilité  de  faire,  et  par 

la  paresse  de  bien  faire,   par  la  satiété  du  beau  et  par  le 

goût  du  bizarre. 

Voltaire. 


.\  LA  ROSE 

Douce,  belle,  amoureuse  et  bien  fleurante  Rose, 
Que  tu  es  à  bon  droit  aux  amours  consacrée  ! 
Ta  délicate  odeur  hommes  et  Dieux  recrée, 
Et  bref.  Rose,  tu  es  belle  sur  toute  chose. 

Marie  pour  son  chef  un  beau  bouquet  compose 
De  ta  feuille,  et  toujours  sa  teste  en  est  parée  : 
Tousjours  cette  Angevine,  unique  Cythérée. 
Du  parfum  de  ton  eau  sa  jeune  face  arrose. 

Ha  Dieu  1  que  je  suis  aise  alors  que  je  te  voy 
Esclorre  au  poinct  du  jour  sur  l'espine  à  requoy, 
Aux  jardins  de  Bourgueil  prés  d'une  eau  solitaire  '. 

De  toy  les  Nymphes  ont  les  coudes  et  le  sein, 
De  toy  l'Aurore  emprunte  et  sa  joue  et  sa  main. 
Et  son  teint  la  beauté  qu'on  adore  en  Cythère, 

Pierre  de  Ronsard. 


41 


LE  JARDIN  POTAGER 

Continuer  les  semis  du  mois  précédent.  Semer  chicorée, 
escaxole,  choux-fleurs,  choux-raves,  cerfeuil,  épinarda, 
haricots,  laitue,  navet,  poireau  d'hiver,  pois,  radis,  raiponce. 
Lier  chicorée  et  escarole.  Tailler  aubergine,  melon,  tomate. 
Planter  et  pincer  les  melons  au-dessus  des  deux  premières 
feuilles.  Ramer  les  pois  et  les  haricots.  Pailler  tous  les 
légumes.  Multiplier  les  binages,  sarclages  et  arrosages. 

LE  JARDIN  D'AGRÉMENT 

Semis  de  belles-de-jour,  capucines,  réséda,  soucis  qui 
donnent  leurs  fleurs  la  même  année  ;  continuer  les  semis  de 
plantes  bisannuelles.  Mettre  des  tuteurs  aux  roses  trémières, 
dahlias.  Terminer  les  plantations  de  bégonias,  dahlias, 
calcéolaires  et  géraniums. 

LA  CAVE 

Au  cellier,  éviter  les  élévations  de  température;  surveiller 
les  fûts  et  arrêter  les  fermentations  secondaires  qui  vien- 
draient à  se  déclarer  ;  pour  cela,  recouvrir  de  paille  humide 
ou  bien  mécher  le  vin  sur  bonde  ou  le  soutirer  dans  des  fûts 
fortement  méchés. 

RECETTE 

Vinaigre  .\romatisiv  a  la  mode  bourguignonne.  — 
Prenez  un  bocal  de  verre  d'une  contenance  de  quatre  à  cinq 
litres  et  l'emplissez  de  bon  vinaigre  blanc  ;  garnissez  des 
herbes  et  épices  suivantes  :  deux  oignons  piqués  chacun  de 
dix  clous  de  girofle,  six  gousses  d'ail,  six  échalotes,  un 
petit  piment  rouge,  un  citron  coupé  en  tranches  avec  son 
écorce,  un  peu  de  macis,  cresson,  pimprenelle,  cerfeuil, 
thym,  marjolaine,  sarriette,  hysope,  fleur  de  sureau  séchée  à 
l'air,  et  un  gros  bouquet  d'estragon.  Bouchez  le  bocal  et 
l'exposez  dix  jours  à  l'ardeur  du  soleil.  Il  ne  restera  ensuite 
qu'à  passer  le  vinaigre  au  papier  filtre  et  à  le  mettre  en 
bouteilles  bien  bouchées. 


42 


i'''tt«;^SVvVvi!"''»'">""V..ViViVMltîi 


^^^' 


^ 


JUILLET 


Jaillet  a  été  ainsi  appelé  par  les 
soins  et  sous  le  Consulat  de  Marc- 
Antoine  pour  honorer  la  nais- 
sance de  Jules  César,  arrivée  le  4 
des  Ides  de  ce  mois. 

Les  4  et  5  juillet,  éclipse  totale 


de  lune;  commencement  le  4  à 
18  h.  56  m.,  fin  le  5  à  o  h.  22  m. 
En  partie  visible  à  Paris. 

Le  19  juillet,  éclipse  partielle  de 
soleil  ;  commencement  à  i  h.  56  m., 
fin  à  3  h.  28  m.  Invisible  à  Paris. 


JOURS 

I 

Dim. 

2 

Lundi 

S 

Mardi 

4 

Mercr. 

5 

Jeudi 

6 

Vendr. 

7 

Samedi 

8 

Dim 

9 

Lundi 

10 

Mardi 

II 

Mercr. 

12 

Jeudi 

i.^ 

Vendr. 

14 

Samedi 

15 

Dim. 

S.  Domitien .  .  . 
Visitai,  de  N.-D  . 
S.  Anatole  .  .  . 
se  Berthe.    .    .    . 

se  Zoé 

S.  Tranquillin .  . 
S.  AUyre.  .  .  . 
s.  Procope  .  .  . 
S.  Cyrille.  .  .  . 
S^  Rufine.  .  .  . 
S.  Savin  .  .  .  . 
S.  Jean  Gualbert. 
S.  Eugène.  .  .  . 
FÊTE  NATION . 
S.  Henri   .    .    .    . 


Aj© 


PUSES 
de  la 
lune 


P.  L 

le  4, 


21   h. 
40  m. 


a 

D.Q 

le  II, 

à 
1:    h. 
I  2  m. 


SOLEIL 
Lever    Couch. 


H.    -M. 

3  53 

3  53 

3  54 

3  5  5 

3 

3 

3 

3 

3 

3 

4 

4 

4 

4 

4 


H.  M. 
1955 
1955 
1955 

19  54 
1954 
1953 
19  53 
1952 
1952 
1951 
1951 
1950 
1949 
1949 
1948 


LUNE 
Lever   Couch. 


H.  M. 

1648 

17  57 
1859 
1949 

20  28 
2059 
2  1  24 

21  47 

22  8 
22  29 

22  52 

23  18 
23  51 

031 


025 
I   4 

I  55 

3  I 

4  19 

5  42 
7  8 
832 
9  53 

11  13 

12  31 

1348 

15  3 

16  12 

17  14 


43 


JOURS 


i6 

Lundi 

S.  Hélier  .    .    .    . 

17 

Mardi 

S.  Alexis  .    .    .    . 

i8 

Mercr. 

S.  Camille    .    .    . 

19 

Jeudi 

S.  Vinc.  de  1   -il 

20 

Vendr. 

S®  Marguerite   .    . 

21 

Samedi 

S.  Victor  .    .    .    . 

22 

Oim. 

S*"  Madeleine    .    . 

2S 

Lundi 

S.  Apollinaire  .    . 

24 

Mardi 

S«  Christine.     .    . 

2S 

Mercr. 

S.  Jacques-le-Mij 

26 

Jeudi 

S®  Arme    .    .    . 

27 

Vendr. 

S.  Pantaléon    .    . 

28 

Samedi 

S.  Samson    .    . 

2Q 

Dim. 

S-^  Marthe.    .    . 

30 

Lundi 

S*"  Juliette.    .    . 

31 

Mardi 

S.  Germain-l'Aux 

PIÂSIS 
de  la 

lune 


N.L. 

le  19, 
à  3  h. 
o  m. 


P.Q. 

le  27, 
à  6  h. 
40  m. 


SOLEIL 
Lever    Couch. 


H.    M. 

4     5 

4    6 

4    8 

4 

4 

4 

4 

4 

4 

4 

4 


4  18 

4  19 
4  21 
4  22 
423 


1947 
1946 

1945 
1944 

1943 
1942 
1941 
1940 
1939 
1937 
1936 
1935 
1934 
1932 

1931 
1930 


1  30 

2  16 

3  19 

425 

S  32 

638 
7  43 
847 
952 
10  58 

12  6 

13  16 
1427 

15  37 

16  41 

1737 


18  6 
1848 

19  21 
1948 

20  9 

20  28 
2045 

21  2 
21  li 
21  36 

21  58 

22  24 
22  57 
2341 

039 


Fêtes  Patronales.  —  25  St  Jacques,  Meuniers.  —  26  Ste  Anne,  Menuisiers,  Ebénistes. 


CONTROVERSES  MÉDICALES 


Voici  le  titre  de  quelques-unes 
des  thèses  passées  devant  la  Fa- 
culté de  Médecine  aux  xvw  et 
XVIII»  siècles. 

Estn^  connata  moriendi  néces- 
sitas ?  (La  nécessité  de  la  mort 
est -elle  innée?) 

Estne  fœtus  mcUri  quam  patri 
simtlior?  (Le  fœtus  ressemble-t-il 
plus  à  la  mère  qu'au  père  ?) 

An  tnsanenti  amore  virgini  venœ 
seciio  ?  (Doit -on  saigner  une  fille 
folle  d'amour?) 

Ah  singulis  mensibu^  repetita 
semel  ebrietas  salubris  ?  (S'enivrer 
une  fois  par  mois,  est-il  salu- 
taire?) 

Estne  fœmina  opus  naturce  im- 
perfectum?  fl.a  femme  est-elle  un 
ouvrage  imparfait  de  la  nature  ?) 

An   formoiCB  fecundiores  ?   (Les 


jolies  femmes  sont-elles  plus  fé- 
condes que  les  autres?) 

An  ex  salicitate  calvities?  (Le 
libertinage  amène-t-il la  calvitie?) 

An  Parisini  ab  aquiloyie  tussi 
obnoxii?  (Le  vent  du  Nordexpose- 
t-ii  les  Parisiens  à  la  toux  ?) 

Estne  fœmina  viro  salacior?  (La 
femme  est-elie  plus  lascive  que 
l'homme?) 

A  n  casti  rarius  œgrotant,  facilius 
curantur  ?  (Les  chastes  sont-ils 
plus  rarement  malades  et  plus 
facilement  guéris  que  les  autres  ?) 

An  aqua  vitce  aqua  mortis  ? 
(L'eau-de-vie  est-elle  l'eau-de- 
mort  ?) 

An  litteratis  vita  cœlebsf  (Les 
gens  de  lettres  doivent-ils  de- 
meurer célibataires  ?) 

An  aurorœ  Venus  arnica  ?  (Faut- 
il  faire  l'amour  le  matin  ?) 


44 


Si  vous  estimez  la  Poésie  un  trop  petit  sujet  pour  vous, 
laissez-la  tranquille. 

Sainte-Beuve. 


PLAINTE  DE  CÉLADON 

Rivière  que  j'accrois,  couché  parmy  ces  fleurs. 

Je  considère  en  toi  ma  triste  ressemblance  : 

De  deux  sources  tu  prends  en  même  temps  naissance 

Et  mes  yeux  ne  sont  rien  que  deux  sources  de  pleurs. 

Tu  n'as  pas  tant  de  flots  que  je  sens  de  malheurs  ; 
Si  tu  cours  sans  dessein,  je  sers  sans  espérance  ; 
En  des  sommets  hautains  ta  source  se  commence. 
D'orgueilleuse  beauté  procèdent  mes  douleurs. 

Comment  de  grands  rochers  te  rompent  le  passage, 
De  quels  empêchemens  ne  sens-je  pas  l'outrage  ? 
Toutefois  en  un  point  nous  différons  tous  deux  : 

En  toy  l'onde  s'accroît  des  neiges  qui  se  fondent. 
Plus  on  gèle  pour  moi,  plus  mes  larmes  abondent. 
Quoique  tu  sois  si  froide  et  moi  si  plein  de  feux. 

Honoré  d'Urfé. 


VERS  GRAVÉS  SUR  UN  ORANGER 

Oranger  dont  la  voûte  épaisse 
Servit  à  cacher  nos  amours. 
Reçois  et  conserve  toujours 
Ces  vers,  enfans  de  ma  tendresse; 
Et  dis  à  ceux  qu'un  doux  loisir 
Amènera  dans  ce  bocage, 
Que  si  l'on  mouroit  de  plaisir 
Je  serais  mort  sous  ton  ombrage. 

Le  Chevalier  de  Parnv. 


"  45 


LE  JARDIN  POTAGER 

Semer  carottes,  cerfeuil,  chicorées  et  escaroles,  choux  de 
Milan,  choux-fleurs  et  brocolis,  épinards,  navets,  pissenlita, 
radis,  raiponces.  Continuer  à  tailler  les  aubergines,  con- 
combres, melons  et  tomates.  Commencer  à  empailler  te 
céleri.  Planter  chicorées  et  escaroles,  choux  de  Bruxelles, 
choux-fleurs  d'automne.  Planter  laitues,  romaines,  poireaux 
d'hiver. 

JARDIN   D'AGRÉMENT 

Marcotter  les  œillets  à  la  fin  du  mois;  recueilUr  les 
oignons  de  jacinthes,  tulipes,  narcisses;  plantation  du  lis 
blanc,  du  perce-neige.  Semis  de  quelques  plantes  annuelles 
pour  fleurir  en  automne  ;  belle-de-jour,  réséda  odorant, 
souci. 

LA  CAVE 

Ne  pas  toucher  aux  vins,  éviter  les  soutirages  et  maintenir 
la  température  dams  les  celliers  entre  lo  et  12  degrés. 

RECETTE 

Gras-double  frit.  —  Le  gras-double  doit  être  lavé  à 
grande  eau  et  bien  dégorgé.  On  le  coupe  en  carrés  de  la 
largeur  de  la  main  et  on  le  fait  cuire  une  heure  dans  le 
court-bouillon  suivant  :  eau,  quantité  suffisante,  une  carotte, 
un  oignon  piqué  de  quatre  clous  de  girofle,  ail,  échalote, 
persil,  queue  d'appétit,  estragon,  thym,  laurier,  un  pketit 
verre  de  vin  blanc  et  une  pointe  de  vinaigre. 

Enduire  les  morceaux  de  pâte  à  frire  avec  chap>elure  et  les 
jeter  dans  la  poêle.  Servir  avec  une  garniture  de  persil  frit 
et  une  sauce  à  la  moutarde. 


46 


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AOUT 

LA    VIERGE 

Mois  dédié  par  le  Sénat  romain 

2     août,      anniversaire    de     la 

à  Octave-Auguste,  empereur,  con- 

Grande Guerre. 

quérant  de    l'Egypte,    vainqueur 

des  Cantabres,  des  Parthes  et  des 

4  août 

,  fête  de  l'Impératrice  de 

Vindéliciens. 

Russie. 

PBUSLS 

SOLEIL 

LUNB 

K>URS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

I 

Mercr. 

S.  Pier. -es- Liens  . 

A 

\ 

42s 

19  28 

18  21 

1 50 

2 

Jeudi 

S.  Alphonse  de  L. 

▲ 

a 

© 

4  26 

1927 

18  56 

3  II 

3 

Vendr. 

se  Lydie   .... 

▲ 

i- 

427 

1925 

1925 

4  37 

4 

Samedi 

S.  Dominique  .    . 

A 

f 

P.L. 

429 

1924 

1949 

6    4 

5 

Dim. 

S.  Cassien.    .    .    . 

t 

* 

le  3.  à 

431^ 

19  22 

20  II 

729 

6 

Lundi 

Transf.  de  N.-S. 

▲ 

•s* 

i  1'. 

431 

19  21 

2033 

853 

7 

Mardi 

S.  Gaëtan.    .    .    . 

▲ 

a 

4  33 

19  19 

20  56 

10  14 

8 

Mercr. 

S.  Sévère.     .    .    . 

▲ 

(^ 

4  34 

19  17 

21   22 

II  34 

9 

Jeudi 

S.  Romain   . 

▲ 

^ 

Q. 

4  3S 

19  16 

21  53 

12  51 

lO 

Vendr. 

S.  Laurent   .    .    . 

▲ 

<b 

4  37 

19  14 

22  31 

14    3 

II 

Samedi 

S*  Suzanne  .    .    . 

▲ 

* 

D.Ol. 

438 

19  12 

23    17 

15     8 

12 

Dim. 

S«  Claire  .... 

+ 

\ 

le  9,  à 

440 

19  I  I 

16    3 

13 

Lundi 

S«  Radegonde .    . 

▲ 

^ 

19  h. 
56  m. 

441 

19     9 

0  II 

1648 

14 

Mardi 

S.  Eusèbe.    .    .    . 

▲ 

(ï) 

442 

19    7 

I    12 

1723 

15 

Mercr. 

ASSOMPTION    . 

O 

â 

4  44 

19    5 

2  16 

17  52 

1 

47 


JOURS 

-^ 



i6 

Jeudi 

17 

Vendr. 

18 

Samedi 

19 

Dim. 

20 

Lundi 

21 

Mardi 

22 

Mercr. 

^3 

Jeudi 

24 

Vendr. 

2^ 

Samedi 

26 

Dim. 

27 

Lundi 

28 

Mardi 

29 

Mercr. 

30 

Jeudi 

31 

Vendr. 

FÊTES 


S.  Roch  .  .  . 
S.  Mammès  .  . 
se  Hélène.  .  . 
S.  Donat  .  .  . 
S.  Bernard  .  . 
S^  Jeanne  Fr.  de  C 
S.  Symphorien. 
S.  Sidoine.  .  . 
S.  Barthélémy. 
S.  Louis,  roi  . 
S.  Zéphirin  .  . 
S.  Césaire,  . 
3.  Augustin  . 
S.  Merry  . 
S.  Fiacre  .  . 
S.  Aristide    . 


▲ 

D 

▲ 

© 

▲ 

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A 

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A 

à 

A 

iS, 

de  la 
lune 


N.L. 

le  17, 

à 
18  h. 
21  m. 


P.Q. 

'e  25, 

à 
19  h. 
8  m. 


SOLEIL 
Lever    Couch. 


4  45 
4  47 
448 
4  49 
451 
452 
4  54 
455 
456 
458 

4  59 

5  I 


H.    M. 

9  4 
9  2 
9  o 
8  58 
856 
854 
852 
8  50 

849 
847 

845 
843 
841 

839 
837 
835 


LUNE 
Lever   Couch. 


H.    M. 

3  22 
429 
5  34 
639 
7  43 
848 

955 

11  3 

12  12 

13  21 

14  36 

15  24 

16  12 

16  50 

17  22 
1748 


H.  M. 
18-15 
183s 
1853 

19  9 

19  26 

1944 

20  4 
20  27 

20  57 

21  35 

22  2? 

23  28 

O  42 

2  4 
330 


FiLes  Patronales.  —  10  St  Laurent,  Cuisiniers.  —  12  Ste  Claire,  Blanchisseuses. 
î+StBarthéleœy.Tanneurs. —  2581  Louis,  Limonadiers. —  30  St  Fiacre,  Jardiniers,  Potiers 


PRONOSTICS  DE  PLUIE  TIRÉS  DES  ANIMAUX 


Quand  l'air  est  chargé  d'humi- 
dité et  quand  la  pluie  est  probable  : 

Le  bœuf  regarde  en  l'air  ;  le 
porc  témoigne  de  la  joie,  il  est 
vif  et  alerte  ;  les  martinets  volent 
en  foule  autour  des  clochers. 

Les  poules  se  becquètent  les 
plumes  et  se  roulent  dans  la  pous- 
sière ;  les  canards  et  les  oies  cou- 
rent à  la  surface  de  l'eau,  s'y 
plongent,  battent  des  ailes  et  im- 
port iment  par  leurs  cris  continuels  ; 
les  crapauds  sortent  le  soir  en 
grand  nombre  ;  les  grenouilles 
coassent  plus  que  de  coutume. 

Les  vers  de  terre  et  les  limaces 
se  montrent  en  grande  quantité  ; 
les  hirondelles  volent  en  rasant  la 
terre  et  les  eaix  et  font  entendre 
un  léger  cri  plaintif;  ie  paon,  la 


pie,  le  geai,  le  pivert  et  le  martln- 
pêcheur  font  entendre  les  cris 
désagréables  qui  leur  sont  parti- 
culiers. 

Les  brebis  mangent  plus  gou- 
lûment ;  les  lézards  et  belettes  se 
cachent  dans  leurs  trous  ;  les  chats 
se  débarbouillent,  et  les  poissons 
sautent  hors  de  l'eau. 

Quand  la  pluie  ou  le  vent  me- 
nace, les  toiles  d'araignées  sont 
courtes  et  solidement  attachées  à 
leurs  supports.  Si  les  araignées 
sont  paresseuses,  une  pluie  géné- 
rale est  à  craindre.  Si  leur  activité 
reprend  pendant  la  pluie,  cette 
pluie  cessera  bientôt  et  sera  suivie 
d'un  beau  temps.  Si  elles  travail- 
lent à  leurs  toiles  le  soir,  nuit 
claire  et  agréable. 


48 


I 


Quand  on  tient  la  vérité,  il  n'y  a  pas  de  zèle  à  faire.  La 
vérité  n'a  pas  besoin  d'être  'proclamée,  il  suffit  de  l'énoncer. 

Renan. 


BALLADE  DES  MENUS  PROPOS 

Je  congnois  bien  mouches  en  let, 
Je  congnois  à  la  robe  l'homme, 
Je  congnois  le  beau  temps  du  let, 
Je  congnois  au  pommier  la  pomme, 
Je  congnois  l'arbre  à  veoir  la  gomme, 
Je  congnois  quant  tout  est  de  mesmcs, 
Je  congnois  qui  besongne  ou  chomme. 
Te  congnois  tout,  fors  que  moy  mesmes. 

Je  congnois  pourpoint  au  colet. 

Je  congnois  le  moyne  à  la  gonne, 

Je  congnois  le  maistre  au  varlet, 

Je  congnais  au  voile  la  nonne, 

Je  congnois  quant  pipeur  jargoniic, 

Je  congnois  fols  nourris  de  cresmes. 

Je  congnois  le  vin  à  la  tonne, 

Je  congnois  tout,  fors  que  moy  mesmes. 

Je  congnois  cheval  et  mulet, 

Je  congnois  leur  charge  et  leur  somme, 

Je  congnois  Biétrix  et  Belet, 

Je  congnois  get  qui  nombre  et  somme. 

Je  congnois  vision  et  somme, 

Je  congnois  la  faute  des  Boesmes, 

Je  congnois  le  povoir  de  Romme, 

Je  congnois  tout,  fors  que  moy  mesmes. 

ENVOI 

Prince,  je  congnois  tout  en  somme, 
Je  congnois  coulourés  et  blesmes, 
Je  congnois  Mort  qui  nous  consomme, 
Je  congnois  tout,  fors  que  moy  mesmes. 

François  Villon. 

—  49  — 


LE   JARDIN   POTAGER 

Continuer  les  fréquents  arrosages  qui  se  feront  le  soir  ou 
le  matin.  Semer  carottes  hâtives,  cerfeuil  bulbeux,  choux 
d'York  et  autres  de  printemps,  épinards  et  mâches,  haricots, 
pois,  navets,  oignons  blancs,  poireaux,  radis.  Dernier  serais 
des  escaroles  et  chicorées  pour  l'hiver.  Lier  chicorées  et  esca- 
roles.  Botteler  ou  serrer  les  tiges  des  oignons.  Planter  les 
choux-fleurs  sur  vieilles  couches  à  melons. 

LE   JARDIN    D'AGRÉMENT 

Mettre  en  place  fleurs  annuelles  d'automne.  Continuer  les 
travaux  du  mois  précédent  pour  les  plantes  oui  devront 
fleurir  l'année  suivante 

LA    CAVE 

Préparatifs  en  vue  des  vendanges  :  ustensiles  de  ven- 
dange, cuves,  futailles  ;  surveiller  les  vins,  éviter  leur  trans- 
port. Aérer  les  celliers. 

RECETTE 

Pudding  Pèlerin.  —  Proportions  pour  8  ou  lopersonnes: 
175  gr.  de  beurre  fin,  175  gr.  d'amandes  sans  coques,  150  gr. 
de  sucre  en  poudre,  150  gr.  de  biscuits  à  la  cuillère,  1/2  déci- 
litre de  kirsch. 

Faire  d'abord  une  crème  à  la  vanille  et  la  laisser  refroidir. 
Ensuite  prendre  un  moule  à  charlotte  beurré  et  le  garnir 
entièrement  de  biscuits. 

Emondez  des  amandes,  mettez-les  blondir  au  four  et,  une 
fois  refroidies,  pilez-les  au  mortier.  Mettez  dans  une  terrine 
avec  cette  pâte  le  beurre  et  le  sucre,  et  triturez  le  mélange 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  très  onctueux.  Ajoutez  le  kirsch  et  un 
décilitre  de  la  crème  à  la  vanille.  Travaillez  encore  la  pâte 
pendant  une  demi-heure,  puis  versez-la  dans  le  moule  que 
vous  placerez  dans  la  glace  pendant  deux  heures.  Renversez 
sur  un  plat  le  pudding  arrosé  de  la  crème  et  sei-vez. 


—  50 


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SEPTEMBRE 

LA    BALANCE 

Septième  mois  du  Calendrier  ro-    l        Le  23  septembre  correspond  au 

main.                                                         i«'    jour    de    l'Ère    républicaine 

Quatre-Temps  19  septembre.             n"  vendémiaire  126). 

Jour  de    l'an   israélite   17  sep- 

Equinoxe d'Automne  le  2  ',  sep- 

tembre (2*""  Tesseri  5678). 

tembre,  à  15  h.   u  m.  5  secondes. 

PfliSES 

SOLEIL 

LUNE              1 

JOURS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 
lune 

^           ,      1 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

H.    M. 

H.    .M. 

H.    M. 

H.    M. 

I 

Samedi 

SS.  Leu  et  Gilles 

A 

© 

5    8 

1833 

18   12 

4  56 

2 

Dim. 

S.  Etienne    .    .    . 

t 

S 

^ 

5    9 

I83I 

1835 

622 

3 

Lundi 

S.  ^lansuy   .    .    . 

▲ 

•$* 

vi/' 

5  II 

18   29 

1858 

7  47 

4 

Mardi 

S''  Rosalie.   .    .    . 

▲ 

% 

P.  L. 

lei 

5  12 

18   27 

1924 

9  10 

S 

Mercr. 

S.  Berlin.     .    .    . 

▲ 

ô 

à' 

5  13 

18  24 

1954 

1031 

6 

Jeudi 

S.  Onésiphore  .    . 

▲ 

t 

:2    h. 

5  15 

18  22 

20  30 

II  48 

7 

Vendr. 

S.  Cloud  .    .    .    . 

A 

© 

jS  m. 

^  16 

18  20 

21    14 

12  57 

8 

Samedi 

Nativ.  de  N.-D.    . 

-î- 

\ 

5  18 

18  18 

22     6 

13  57 

9 

Dim. 

S.  Orner  .    .    .    . 

t 

®    _ 

5  19 

18  16 

^l    5 

1446 

10 

Lundi 

S-  Pulchérie.    .    . 

!  A 

© 

® 

5  21 

18  14 

15  25 

II 

Mardi 

S.  Hyacinthe  .     . 

A 

X 

D.Q. 

=;  -2 

18   12 

0    9 

15  55 

12 

Mercr. 

S.  Valérien  .    .    . 

A 

<â 

le  8, 

5  23 

18  10 

I  15 

16  20 

13 

Jeudi 

S.  Maurille  .    .    . 

!  A 

© 

à  7  h. 
5  ni- 

5  25 

18    8 

2  20 

16  41 

14 

Vendr. 

Exalt.  Ste-Croix  . 

!  -{^ 

i% 

^26 

18    6 

325 

17    0  1 

15 

Samedi 

S.  Nicomède    .    . 

i^ 

D 

5  28 

18    3 

430 

17  T-! 

1— ! 

51 


JOURS 


19 


Dim. 

Lundi 
Mardi 
Mercr. 


20  I  Jeudi 
Vendr. 
Samedi 
Dim. 
Lundi 
Mardi 
Mercr. 
Jeudi 
^'endr. 
Samedi 
Dim. 


21 
22 
23 
24 
25 
26 

27 
28 

29 
30 


S'^'  Euphémie  .  . 
S.  Lambert  .  .  . 
S.  Ferréol.  .  .  . 
S.  Janvier.  .  .  . 
S.  Eustache  .  .  . 
S.  Mathieu  .  .  . 
S.  Maurice   .    .    . 

S.  Lin 

S.  Germer.  .  .  . 
S.  Fimiin.  .  .  . 
SS.  Cyprien,  Just. 
SS.Côme.Damien. 
S.  Wenceslas  .  . 
S.  ]Michel.  .  .  . 
S.  Jérôme.    .    .    . 


PBASES 
de  la 
lune 


N.L. 

le  16, 

à 
10  h. 
27  m. 

© 
P.Q. 

le  24, 
à  5  h. 
41  m. 

© 
P.L. 

le  30, 

à 
20  h. 
31  m. 


SOLEIL 
Lever  Couch. 


H.    M. 

5  29 
5  30 
?  32 
5  33 
5  35 
536 
538 
5  39 
5  40 
5  42 
5  43 
5  45 
^  46 
548 
5  49 


H.  M. 

18   I 

17  59 
17  57 
17  55 
17  53 
17  51 
1749 
1746 

1744 
1742 
1740 
1738 
1736 
1734 
1732 


LUNE 
Lever  Gïuch. 


5  35 

6  40 
746 
854 

10  2 

1 1  10 

12  15 

13  14 

14  4 

1445 

15  19 

1547 

16  II 
1634 
1658 


1734 

17  51 

18  10 

1833 

19  I 
1936 

20  21 

21  17 

22  24 

23  40 

I  2 
225 
3  49 

S  14 


Fêtes  PatronaUs.  —  22  St  Maurice,  Teinturiers. 
Tapissiers,  Tailleurs. 


29  St  Michel,  Pâtissiers, 


LA  DIÈTE  DE  QUELQUES  GRANDS  HOMMES 


Le  maréchal  d'Hocquincourt 
avait  un  goût  particulier  pour  les 
queues  de  mouton  auxquelles, 
disent  les  mémoires  du  temps,  il 
reconnaissait  la  propriété  d'influer 
sur  la  gaieté  des  convives  ;  aussi 
a-t-il  gardé  toute  sa  vie  un  cuisi- 
nier qui  avait  trou\-é  le  moyen  de 
préparer  des  queues  de  mouton  en 
caisse,  que  le  maréchal  emportait 
à  l'armée  pour  mettre  ses  officiers 
en  belle  humeur. 

Paul  !'='■,  empereur  de  Russie, 
était  grand  amateur  de  pâtés  de 
foies  de  canards.  Il  accorda  la  grâce 
à  MD.  Polonais  exilé,  qui  avait 
trouvé  le  moyen  de  lui  envoyer  de 
Toulouse,  chaque  semaine,  un  de 
ces  pâtés,  dont  le  voyage  n'alté- 
rait point  la  fraîcheur. 

Kant,  le  prince  des  philosophes 
allemands,  n'était  pas  aussi  recher- 


ché dans  ses  goiits  :  il  faisait  ses 
délices  d'une  purée  de  lentilles, 
d'une  purée  de  panais  préparée  au 
lard,  d'un  pudding  au  lard,  à  la 
poméranienne  ;  d'un  pudding  de 
pois  secs  aux  pieds  de  porcs  et  de 
fruits  desséchés  au  four. 

Napoléon  P'  avait  en  horreur 
la  viande  saignante,  préférait  la 
volaille,  surtout  le  poulet  en  fri- 
cassée, dite  à  la  Marengo.  Il  man- 
geait avec  plaisir  des  pommes  de 
terre,  des  haricots,  des  lentilles,  des 
côtelettes,  de  la  poitrine  de  mou- 
ton grillée,  du  boudin  à  la  Riche- 
lieu, et  comme  plats  fins,  des  que- 
nelles de  volailles  en  consommé,  du 
vol-au-vent,  de  la  timbale  mila- 
naise. Il  avait  im  faible  pour  le 
macaroni  à  l'italienne  et  au  par- 
mesan ;  comme  poisson,  il  adorait 
le  rouget  de  la  Méditerranée. 


Les  livres  anciens  sont  pour  les  auteurs,   les  nouveaux 

pour  les  lecteurs. 

Montesquieu. 


PRIÈRE   A    LA    NUIT 

Du  jour  sœur  paisible  et  voilée 
Qui,  sur  la  terre  consolée 
Versant  le  baume  du  repos, 
Couronnes  ta  tête  étoilée 
D'un  diadème  de  pavots, 
O  Nuit  !  pardonne  si  ma  lyre. 
Frémissant  au  gré  du  zéphyre 
Parmi  les  saules  de  ces  bords, 
Ose  un  instant  par  ses  accords 
Troubler  la  paix  de  ton  empire. 
J'ai  vu  le  disque  étincelant 
S'éteindre  aux  humides  demeures 
Et  le  groupe  léger  des  Heures 
Suivre  ton  char  en  se  voilant. 
Tout  dort  ;  et  moi,  seul,  en  silence, 
Aux  lueurs  d'un  pâle  flambeau, 
Devant  ton  trône  je  balance 
Des  suppliants  l'humble  rameau . 

Mes  vœux  sont  purs,  ô  Nuit  sacrée  ! 

Fais  qu'un  songe  à  l'aile  dorée. 

Avant   e  retour  du  soleil, 

Vienne  de  l'image  adorée. 

Enchanter  mon  heureux  sommeil. 

Pour  toi,  déité  que  j'implore. 

Je  veux  sur  le  bord  des  ruisseaux 

Unir  le  pâle  sycomore 

A  l'if,  ornement  des  tombeaux  ; 

Jusques  à  l'aurore  prochaine, 

De  l'amour  charmant  les  douleurs. 

Je  veux  à  ton  autel  d'ébène 

Consacrer  un  hymne  et  des  fleurs. 


Charles  Millevove. 


—  53  — 


LE   JARDIN    POTAGER 

Continuer  à  semer  cerfeuil,  radis,  laitues  de  la  Passion. 
Lier  chicorées  et  escaroles.  Commencer  à  empailler  cardons 
et  céleris  pour  les  faire  blanchir.  Planter  les  dernières  chi- 
corées, escaroles,  pissenhts.  Préparer  le  fumier  ou  les  ter- 
reaux pour  les  prochaines  couches.  Récolter  les  graines 
mûres. 

LE    JARDIN    D'AGRÉMENT 

Planter  les  jacinthes,  les  tulipes.  Semer  des  giroflées  qua- 
rantaines que  l'on  abritera  du  froid  pendant  l'hiver.  Multi- 
plier par  le  bouturage  les  géraniums,  les  calcéolaires. 

LA    CAVE 

On  s'assure  que  les  ustensiles  de  vinification  sont  prêts 
pour  la  vendange.  On  a  moins  de  précautions  à  prendre  que 
précédemment  en  ce  qui  concerne  les  vins  vieux.  Soutirage 
s'il  y  a  lieu. 

RECETTE 

Poulet  a  la  belvocelle.  —  Hacher  très  tîn  foie,  gésier, 
en  ajoutant  deux  branches  d'estragon,  une  poignée  de  mie 
de  pain  en  miettes,  sel  et  poivre.  Faire  revenir  cinq  minutes 
au  feu  dans  le  beurre,  introduire  cette  farce  dans  un  poulet 
dont  vous  recousez  l'ouverture.  Mettre  le  poulet  dans  une 
casserole  avec  cinq  ou  six  petits  oignons  et  recouvrir  à 
moitié  de  bouillon  ;  salez  et  poivrez. 

Faire  cuire  un  quart  d'heure  à  feu  doux,  retirer  les  trois 
quarts  de  la  cuisson,  faire  un  roux  que  vous  mouillez  de 
cette  cuisson. 

Laissez  refroidir  la  sauce,  puis  jetez-y  quatre  jaunes  d'œufs 
délayés  dans  une  demi-tasse  à  café  de  crème  fraîche  et  une 
bonne  cuillerée  à  bouche  d'estragon  haché.  Faire  épaissir 
au  bain-marie. 

Au  moment  de  servir,  ajouter  deux  cuillerées  à  café  de 
moutarde  à  l'estragon  et  le  reste  de  la  cuisson  ;  servez  le 
poulet  nappé  de  sa  sauce. 


54 


«i 


fâSi^^ 


OCTOBRE 


LE    SCORPION 


Huitième    mois    du    Calendrier 


Calendrier  musulman  :  Jour  de 
l'an,  1 7  octobre  (i<'''iV/oAaremi3.3C). 


Calendrier  israélite  :  fête  des 
Tabernacles,  i^'  octobre. 

Aimiversaire  de  l'établissement 
du  Calendrier  grégorien,  en  usage 
depuis  334  ans  (4  octobre  1582). 


JOURS 

I 

Lundi 

2 

Mardi 

^ 

Mercr. 

4 

Jeudi 

s 

Vendr. 

6 

Samedi 

7 

Dim. 

8 

Lundi 

9 

Martli 

10 

Mercr. 

1 1 

Jeudi 

12 

Vendr. 

13 

Samedi 

14 

Dim. 

1  5 

Lundi 

S.  Remy  .    .    . 
SS.  Anges  gard 
S.  Gérard.    .    . 
S.  François  d'.'vss 
S.  Placide 
S.  Bnmo.     . 
S.  Serge    .    . 
S«^  Brigitte    . 
S.  Denis   .    . 
S.  Pinyte  .    . 
S.  Gomer.    . 
S.  Séraphin  . 
S.  Edouard  . 
S.  Calixte.    . 
S"  Thérèse    . 


^ 

D 
D 

m 


PBàSES 
de  la 
lune 


a 

D.Q. 

le  7,  à 
2Z  h. 
14  m. 


|N.L. 
le  16, 
à  2  h. 
41  m 


SOLEIL 
Lever   Couch, 


H.    M. 

5  51 
5  52 
5  54 
5  55 

5  57 
558 

6  o 
6  I 
(■>  2 
ô  4 
6  5 
6  7 
6  8 
6  10 
6  II 


17  29 
17  27 
1725 

17  23 
17  21 
17  19 
17  17 
17  15 

17  13 
17  II 
17  9 
17  7 
17  5 
17    3 


LUNE 
Lever   Couch. 


H.  M. 

1723 
17  51 
1826 

19  8 
1958 

20  56 

21  59 

23  5 

o  I  I 

I  16 

2  21 

3  25 

430 
^  36 


H.  M 
638 

8  2 
923 
1038 
II  44 
1238 
13  22 
13  56 
1423 
1446 
15  5 

15  23 
1540 
1558 

16  17 


03 


PHASES 

SOLEIL                  LUNE 

JOURS 

FÊTES 

SIGNES 

delà 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

1     ~ 

H.    .M. 

H.    M. 

H.    M. 

H.   y.. 

i6 

Mardi 

S.  Gall '  ^ 

^ 

613 

1659 

644 

16  Î9 

17 

Mercr. 

se  Hedwige ...     A 

X 

© 

615 

1657 

7  53 

17^5 

18 

Jeudi 

S.  Luc  ....         ^ 

a 

PO 

6  16 

1655 

9    I 

17  3S 

19 

Vendr. 

S.  Aquilin    ...     A 

/■        1623, 

6  18 

'653 

10    8 

iS  20 

20 

Samedi 

S.  Caprais    ...     A 

ê 

à 

6  19 

16  51 

II    8 

19  13 

21 

Dim.      1  S^'  Ursule.    .    .    .     f 

\ 

14  h. 
37  m. 

621 

1649 

12    I 

20  16 

22 

Lundi 

S.  Mellon     ...     A 

m 

6  22 

1647 

1244 

21  28 

23 

Mardi 

S.  ^Maglcire  .    .    . 

A 

r 

6  24 

1645 

13  19 

2245 

24 

Mercr. 

S.  Raphaël  .    .    . 

A 

± 

6  26 

1644 

1347 

25 

Jeudi 

SS.  Crépin  et  Cr. 

A 

4 

© 

627 

1642 

14  12 

'      5 

26 

Vendr. 

S.  Rustique.    .    . 

▲ 

« 

6  29 

1640 

1435 

'  -  5 

27 

Samedi 

S.   Frumence  .    . 

A 

© 

P.  L. 

le  30, 
à  6  h. 

630 

1638 

1457 

247 

28 

Dim. 

SS.  Simon,  Jude. 

t 

D 

632 

1637 

1521 

4    9 

29 

Lundi 

S.  Narcisse  .    .         A 

ô 

19  m. 

634 

1635 

1548 

5  31 

30 

IMardi 

S.  Lucain.    ...    A 

r 

635 

1633 

16  20 

653 

31 

Mercr. 

S.  Quentin  ...     A 

tf 

637 

16  31 

1658 

8  12 

Fêtes  Patronales.  —  18  St  Luc,  Pei 

atres.  —  25  St  Crépin,  Cordonniers. 

GLOSSAIRE 

DU   VENEUR 

A  bâtis,     chemins     tracés    dans 

Déliées    sont  fumées    bien  mâ- 

l'herbe par  les  jeunes  loups. 

chées,  bien  moulues. 

Acctils,  extrémités  des  forêts  et 

Dorées     sont    fumées    de    cerf 

des  grands  bois. 

jaunes. 

Bien  chevillé,  se  dit  d'un  cerf, 

Empnuvmre,  haut  de  la  tête  du 

d'un  daim,   d'im  chevreuil  qui  a 

cerf  et  du  chevreuil  où  sont  plan- 

beaucoup d'andouillers. 

tés  les  andouillers. 

Bouquiner,   être  en  amour,    en 

Fauve,  béte  fauve,  cerf,   daim, 

parlant  d'un  lièvre. 

chevreuil,  tant  mâle  que  femelle. 

Boutis,    lieux   où   fouillent    les 

Flâtrure,  lieu  où  le  lièvre  et  le 

bêtes  noires  (sangliers) 

loup  s'arrêtent  et  se  mettent  sur 

Chasser  de  gueule,  laisser  crier 

le  ventre,  lorsqu'ils  sont  chassés 

et  aboyer  le  limier. 

des  chiens  courants. 

Chiens  cnrneaux,  engendrés  de 

Forhu,  son  du  cor  pour  rappeler 

chiens  courants  et  de  mâtines  ou 

les  chiens. 

de  mâtins  et  de  lices  courantes. 

Foulées,  traces  des  pieds  d'une 

Clabaud,  chien  courant  à  qui  les 

bête  sur  l'herbe   et    l^s   feuilles; 

oreilles  passent  le  nez  d'un  demi- 

les  foulées  des  cerfs,  daims,  che- 

pied. 

vreuils  et  lièvres  s'appellent  voies  ; 

Dagues,    le    premier    bois    que 

celles  des  loups  et  renards,  piste; 

porte  un  cerf;  elles  ont  la  même 

celles  des  sa'  gliers, /rac«. 

vertu  que  la  corne  de  licorne. 

Fumées,  fientes  des  bêtes  fauves. 

1 

On  n'est  point  un  homme  d'esprit  pour  avoir  beaucoup 
d'idées,  comme  on  n'est  point  nécessairement  un  bon 
général  pour  avoir  beaucoup  de  soldats. 

Chamfort. 

Les  idées  mendient  l'expression. 

RlVAROL. 


SOUPIR 

Mon  âme  vers  ton  front  où  rêve,  ô  calme  sœur, 
Un  automne  jonché  de  taches  de  rousseur 
Et  vers  le  ciel  errant  de  ton  œil  angélique 
Monte,  comme  dans  un  jardin  mélancolique, 
Fidèle,  un  beau  jet  d'eau  soupire  vers  l'Azur, 
Vers  l'azur  attendri  d'octobre  pâle  et  pur 
Qui  mire  aux  grands  bassins  sa  langueur  infinie 
Et  laisse,  sur  l'eau  morte  où  la  fauve  agonie 
Des  feuilles  erre  au  vent  et  creuse  un  froid  sillon, 
Se  traîner  le  soleil  jaune  d'un  long  rayon. 

Stéphane  Mall.\rmé. 


l.E  DORMEUR  DU  VAL 

C'est  un  trou  de  verdure  où  chante  une  rivière 
Accrochant  follement  aux  herbes  des  haillons 
D'argent,  où  le  soleil  de  la  montagne  fière 
Luit;  c'est  un  petit  val  qui  mousse  de  rayons. 

Un  soldat  jeune,  bouche  ouverte,  tête  nue 
Et  la  nuque  baignant  dans  le  frais  cresson  bleu, 
Dort  :  il  est  étendu  dans  Iherbe,  sous  la  nue, 
Pâle  dans  son  lit  vert  où  la  lumière  pleut  ! 

Les  pieds  dans  les  glaïeuls,  il  dort.  Souriant  comme 
Sourirait  un  enfant  malade,  il  fait  un  somme. 
Nature,  berce-le  chaudement  :  il  a  froid  ! 

Les  parfums  ne  font  pas  frissonner  sa  narine, 
Il  dort  dans  le  soleil,  la  main  sur  sa  poitrine, 
Tranquille.  Il  a  deux  trous  rouges  au  côté  droit. 

Arthur  Rimbaud. 


—  57 


LE  JARDIN  POTAGER 

Dernier  seniis  de  choux-fleurs  demi-durs,  mâches  et  radis. 
Semer  les  salades  de  printemps.  Les  repiquer  quinze  jours 
après  le  semis  sur  costières.  Continuer  l'empaillage  des 
cardons  et  du  céleri.  Repiquer  en  pépinières  les  choux 
d'York  et  les  choux-fleurs.  Commencer  le  blanchiment  des 
chicorées  sauvages,  puis  de  la  barbe-de-capucin.  Préparer 
le  terrain  pour  le  Witloof. 

LE  JARDIN  D'AGRÉMENT 

Plantation  des  plantes  bulbeuses.  Couper  les  tiges  des 
arbres  dont  la  floraison  est  terminée  :  balsamines,  reines- 
marguerites,  dahlias.  Rentrer  les  orangers. 

LA  CAVE 

Surveiller  la  fermentation  ;  tirer  les  vins  nouveaux  et  les 
vins  blancs;  tenir  les  fûts  constamment  pleins  par  des 
ouillages  répétés.  Les  marcs  seront  utilisés  pour  taire  des 
seconds  vins  ou  bien  distillés;  en  dehors  de  ces  usages,  ils 
peuvent  être  ensilés  pour  ser\'ir  à  l'alimentation  du  bétail 
ou  encore  mélangés  avec  du  calcaire  pour  en  faire  des 
composts.  Faire  le  troisième  soutirage  pour  les  vins  fins. 

RECETTE 

Endives  monégasques.  —  Prendre  des  endives  bien 
blanches,  les  laver  et  les  égoutter  soigneusement.  Faire 
fondre  dans  une  casserole  du  beurre  avec  deux  ou  trois  mor- 
ceaux de  sucre.  Rouler  les  endives  dans  le  beurre  fondu, 
saler  et  poivrer  et  faire  cuire  à  l'étouâée  deux  heures  durant. 
Un  peu  avant  de  servir,  on  saupoudre  de  gruyère  ou  de 
parmesan.  On  peut  aussi  dresser  les  endives  sur  un  plat 
allant  au  four  et  faire  gratiner  légèrement  quelques  minutes. 


— ■■   ■  '  ' ■"■                        1 

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NOVEMBRE 

LE   SAGITTAIRE 

Neuvième  mois   du    Calendrier           Les  Saintes   Images  de   Kasan, 

romain. 

4  novembre. 

Calendrier  russe  :  avènement  au 

Naissance  de  l' Impérat  rice  Marie, 

trône  du  Czar  Nicolas,  3  novembre. 

27  novembre. 

PBiSES 

soleil 

LUNE 

JOURS 

FETES 

signes 

delà 

■ — -i»^-— — 

-^.,.^._^ 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

^"'^^■"^ 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

H.    M. 

I 

Jeudi 

TOUSSAINT  .    . 

G 

Il 

638 

1630 

1746 

924 

2 

Vendr. 

Trépassés    .    .    . 

Hh 

(i 

6  40 

1628 

18  42 

10  25 

3 

Samedi 

S.  Hubert.    .    .    . 

à 

(% 

O.Q. 

6  42 

16  27 

1945 

1 1  14 

4 

Dim. 

S.  Ch.   Borromée. 

t 

^ 

le  6, 

643 

16  25 

20  51 

II  53 

5 
6 

Lundi 

S.  Lié    ...    . 

▲ 

m 

à 

6  4S 

16  23 

21   58 

12  23 

Mardi 

S.  Léonard  .    .    . 

17  h. 

646 

16  22 

23    4 

1248 

7 

Mercr. 

S.  Ernest  .... 

▲ 

e 

648 

16  20 



13    9 

8 

Jeudi 

S.  Godelrov .    .    . 

▲ 

# 

6  50 

16  19 

G      9 

1327 

9 

Vendr. 

S.  Ursin    .... 

▲ 

m 

m 

651 

16  17 

I    13 

1344 

10 

Samedi 

S.  Just 

▲ 

653 

16  16 

2    18 

14    2 

II 

Dim. 

S.  Martin  .... 

0 

fi 

N.L. 

654 

16  15 

3  23 

14  21 

12 

Lundi 

S.  René 

▲ 

^ 

le  14, 

656 

16  13 

430 

1442 

13 

Mardi 

S.  Brice    .... 

▲ 

■i)^ 

18  h. 

657 

16  12 

5  39 

15    7 

14 

Mercr. 

S.  Vénérand.    .    . 

▲ 

II 

28  m. 

6  c,g 

16  II 

649 

1538 

15 

Jeudi 

S.  Eugène.    .    .    . 

▲ 

m\     1 7  . 

16    9 

7  57 

16  18 

1 

—  59  — 


JODRS 



^ 

16 

Vendr. 

17 

Samedi 

18 

Dim. 

IQ 

Lundi 

20 

Mardi 

21 

Mercr. 

22 

Jeudi 

23 

Vendr. 

24 

Samedi 

2S 

Dim. 

26 

Lundi 

27 

Mardi 

28 

Mercr. 

29 

Jeudi 

30 

Vendr. 

FÊTES 


S. 

Edmond  .    .    . 

▲ 

s. 

Aignau.    .    .    . 

▲ 

S*^' 

Aude    .... 

t 

S'- 

Elisabetli .    .    . 

▲ 

s. 

Octave.    .    .    . 

▲ 

Pj 

'éseniation  N.-D. 

+ 

se 

Cécile  .... 

▲ 

s. 

Clément  .    .    . 

▲ 

se 

Flore    .... 

▲ 

se 

Catherine.    .    . 

t 

s. 

Sirice   .... 

▲ 

s. 

Maxime   .    .    . 

▲ 

s. 

Sosthène  .    .    . 

▲ 

s. 

Saturnin  .    .    . 

▲ 

s. 

André  .... 

▲ 

^ 


5)^ 


PHASES 
de  la 
lune 


P.Q. 

le  21, 

à 
22  h. 
29  m. 


P.L. 

le  28, 

à 
18  h. 
41  m. 


SOLEIL 
Lever   Couch. 


8 

10 

II 

13 

7  14 

7  16 

7  17 

7  19 

7  20 

7  21 

723 


H.  M. 

6  8 


5  59 
5  58 
558 
5  57 
556 
5  55 


Lever  Gsuch 


9  I 
9  57 

1043 

I  I  21 

II 51 

12  16 

12  39 

13  I 

13  23 

1347 

14  16 

14  51 

15  34 

16  26 

17  27 


17 


8 

18  9 

19  19 
203s 
21  53 
23  12 

031 

t  50 

3  9 
429 

548 

7  2 

8  8 

9  3 


Fêles  Patronales.  —  3  St  Hubert,  Fondeurs,  Chasseurs.  —  11  St  Martin,  Tonneliers. 
22  Ste  Cécile,  Musiciens.  —  25  Ste  Catherine,  Jeunes  Filles,  Charrons. 


GLOSSAIRE  DU  VENEUR 


Gagnage,  lieu  où  sont  les  grains, 
où  les  bêtes  fauves  vont  la  nuit 
se  repaître  et  viander. 

Guides,  os  de  la  jambe  des  bêtes 
noires. 

Harde,  compagnie  de  cerfs. 

Laissées,  fientes  du  loup  et  des 
bêtes  noires. 

Lancer,  on  lance  le  cerf  quand 
on  le  fait  partir  de  la  reposée,  le 
loup  quand  on  le  force  à  quitter 
>on  liteau,  le  lièvre  quand  on  le 
fait  quitter  son  gîte,  et  le  sanglier 
lorsqu'il  sort  de  sa  bauge. 

Ladre,  se  dit  d'un  lièvre  habi- 
tant les  contrées  marécageuses. 

Maintenir  et  garder  le  change, 
c'est  quand  les  chiens  chas<;ent 
toujours  la  bête  qui  letu-  a  été  don- 
ni'-e,  en  dépit  des  ruses  de  celle-ci. 


Marcassins,  petits  de  la  laie. 

Massacre,  tête  de  cerf,  du  daim 
et  du  chevreuil. 

Nappe,  peau  des  bêtes  fauves. 

Pinces,  les  deux  bouts  des  pieds 
des  bêtes  fauves. 

Ridées,  fumées  des  vieux  cerfs 
et  des  vieilles  biches. 

Sortir  du  fort,  se  dit  de  la  bête 
qui  débuche  de  son  fort  qui  est 
le  lieu  où  elle  passe  le  jour. 

Surneigées,  voies  des  bêtes  re- 
couvertes de  neige. 

Vautrait,  chasse  qui  se  fait  aux 
bêtes  noires  avec  des  mâtins. 

Venaison,  graisse  et  embonpoint 
du  cerf  et  des  autres  bêtes;  temps 
où  le  gibier  est  meilleur  à  manger. 

Viandis,  pâttires  des  bêtes 
fauves. 


60 


Ce  qui  fait  les  grandes  beautés,  c'est  lorsqu'une  chose  est 
telle  que  la  surprise  est  d'abord  médiocre,  qu'elle  se  soutient, 

augmente  et  nous  mène  ensuite  à  l'admiration Virgile, 

plus  naturel,   frappe  d'abord  moins,   pour  frapper  ensuite 
plus;  Lucain  frappe  plus,  pour  frapper  ensuite  moins. 

Montesquieu. 


STANCES 

Eté,  tous  les  plaisirs  que  ta  saison  m'apporte 
Comme  ceux  du  printemps  ont  perdu  leur  attrait. 
Adieu,  le  tendre  automne!  A  présent,  qu'à  ma  porte 
Vienne  heurter  l'hiver,  j'ouvrirai  sans  regret. 

Dans  l'antique  forêt,  le  vent  et  la  cognée 
Sèment  de  l'arbre  fort  les  rameaux  à  ses  pieds, 
Et  parmi  les  humains  la  juste  destinée 
Abat  à  chaque  coup  gloire,  amour,  amitiés. 

Moins  doucement  la  feuille  à  la  brise  soupire. 
Que  la  branche  frappée  en  tombant  ne  se  plaint, 
Et  lorsque  le  Malheur  s'exhale  de  la  lyre. 
Tout  autre  chant  n'est  plus  qu'un  écho  qui  s'éteint. 

Vie  exécrable,  ô  jours  que  corrompt  l'amertume, 
Je  vous  surmonte  encor,  mais  mon  cœur  est  brisé  ; 
Et  s'il  a  plus  d'éclat,  peut-être,  il  se  consume 
Ce  feu  sombre  et  divin  qui  m'avait  embrasé. 

Jean  Moréas. 


6i 


LE  JARDIN  POTAGER 

Cesser  les  arrosages  et  semis  de  pleine  terre.  Repiquer 
soùs  cloche  salades  semées  précédemment.  Planter  en  cos- 
tières  :  laitues  Passion,  choux  d'York,  laitues  crêpe.  Planter 
oseille  sous  châssis.  Lier  dernières  chicorées.  Butter  et  abri- 
ter artichauts.  Butter  et  couvrir  les  pissenlits.  Empailler  les 
cardons.  Enterrer  et  pailler  les  céleris  à  côtes.  En  cave  on 
récolte  :  barbe-de-capucin,  champignons,  Witloof. 

LE  JARDIN  D'AGRÉMENT 

Arracher  et  rentrer  les  dahlias,  cannas,  bégonias;  planter 
les  différents  arbustes  d'agrément.  Ramasser  des  feuilles 
pour  faire  des  couches  et  abriter  les  plantes  qui  craignent  le 
froid. 

LA  CAVE 

Surveiller  activement  les  vins  nouveaux  et  faire  les 
ouillages  nécessaires. 

RECETTE 

Pistou,  soupe  génoise.  —  Mettre  sur  le  feu  deux  Utres 
d'eau  froide  salée  avec  trois  cuillerées  d'huile  d'olive.  Quand 
le  mélange  bout,  y  placer  des  pommes  de  terre  coupées  en 
rouelles,  des  carottes,  du  potiron  en  petits  morceaux,  des 
haricots  verts  et  en  grains,  des  navets,  deux  feuilles  de  chou, 
un  quartier  de  céleri,  et  faire  cuire  à  petit  feu.  Une  heure 
avant  de  servir,  ajouter  une  tomate  entière,  piler  dans  le 
mortier  une  branche  de  basilic  avec  3  ou  4  gousses  d'ail, 
ajouter  une  poignée  de  fromage  râpé;  retirer  la  tomate  du 
bouillon,  l'éplucher  et  piler  le  tout  ensemble.  Verser  cette 
purée  dans  la  marmite  avec  une  pincée  de  vermicelle  et 
laisser  bouillir  dix  minutes. 


62 


Dixième  mois  du  Calendrier 
romain. 

Ouatre-Temps,     19    décembre. 

Le  14  décembre,  éclipse  annu- 
laire de  Soleil  ;  commencement   à 


7  h.    10   m.,    fin    à     11    h.   45  m. 
Invisible  à  Paris. 

Solstice  d'Hiver  le  22  décembre 
à  9  h.  45  m.   32  secondes. 


JOURS 

I 

Samedi 

2 

Dim. 

^ 

Lundi 

4 

Mardi 

S 

Mercr. 

6 

Jeudi 

7 

Vendr. 

8 

Samedi 

9 

Dim. 

10 

Lundi 

II 

Mardi 

12 

Mercr. 

13 

Jeudi 

14 

Vendr. 

15 

Samedi 

S.  Eloi.     .    . 

AVENT .       .      . 

S^  Bibiane  . 
se  Barbe  .  . 
S.  Sabas  .  . 
s.  Nicolas 
S.  Ambroise. 
Imm.  Concep 
S*"  Lèocadie. 
S.  Melchiade 
S.  Damase  . 
S.  Corentin  . 
S®  Lucie  .  . 
se  Odile  .  . 
S.  Mesmin   . 


1 

?mn 

SOLEIL 

LUNE 

1  SIGNES 

delà 

..«^,.._„— 

^        _ 

j  ^ ^ 

lune 

Lever 

Couch. 

Lever 

Couch. 

H.    M. 

H. 'M. 

H.    .M. 

H.    M. 

▲ 

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724 

15  55 

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9  47 

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725 

15  54 

1941 

10  22 

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7  27 

15  54 

2049 

1049 

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728 

15  53 

21  55 

II  II 

▲ 

a 

à 
i4  h. 

13  m. 

729 

15  53 

23    0 

II  31 

A 

X 

730 

15  53 



II  49 

A 

(Xa 

731 

15  53 

0    4 

12    6 

+ 

(^ 

7  32 

15  52 

I     8 

1224 

t 

m 

• 

7  34 

15  5^ 

2  14 

1244 

1  A 

a 

7  35 

15  52 

3  21 

13    7 

A 

^ 

N.L. 

736 

15  52 

430 

1335 

A 

.^ 

le  14, 

7  37 

15  52 

540 

14  1 1 

A 

\ 

q  h. 

7  37 

15  52 

647 

1458 

A 

m 

17  m. 

738 

15  52 

7  47 

15  56 

^ 

© 

7  39 

15  52 

839 

17    5 

-63 


JOURS 

i6 

Dim. 

17 

Lundi 

18 

Mardi 

19 

Mercr. 

20 

Jeudi 

21 

Vendr. 

22 

Samedi 

-3 

Dim. 

24 

Lundi 

2Ï 

Mardi 

26 

Mercr. 

27 

Jeudi 

28 

Vendr. 

29 

Samedi 

30 

Dim. 

31 

Lundi 

se  Adélaïde 
S.  Lazare. 
S.  Gatien. 
S^  Fauste . 
S.  Philogone 
S.  Thomas 
S.  Flavien 
S'^  Victoire 
S.  Delphin 
NOËL.    . 
S.  Etienne 
S.  Jean.    . 
SS.  Innocents 
S.  Thomas  de 
S.  Sabin    .    . 
S.  Sylvestre. 


îl 


PEISIS 
de  la 
lune 


P.  Q. 

le  21, 


N.L. 

le  28, 


9  h. 
51  m. 


SOLEIL 
Lever    Couch. 


H.    M. 

740 

741 
742 
742 
7  43 
7  43 
7  44 
7  44 
7  45 
7  45 
7  45 
746 
746 
746 
746 
7  46 


H.    M. 

I 

15    32 

15  53 

15  53 

I 

15  53 

15  54 

15  54 

15  54 

15  55 

15  56 

15  56 

15  57 

15  58 

1558 

15  59 

16    0 

16    I 

LUNE 

Lever  Cxiuch. 


9  20 
9  53 

[O  21 
[O44 

6 

1  28 

51 

2  17 

249 
■3  27 
[4  15 

5  12 
[6  16 

723 

832 
t9  39 


18  21 

I94I 

21       I 

22  20 

2339 

057 

2   15 

332 

446 

5  55 

653 

741 

8  19 

8  50 

9  14 

Fêtes  Patronales. —  1  St  Eloi,  Serruriers,  Carrossiers. —  4  Ste  Barbe,  Chapeliers,  Pompiers. 
6  St  Nicolas,  Jeunes  Gens. 


PROVERBES  CULINAIRES 


Beurre  de  vache,  lait  de  chèvre, 
fromage  de  brebis. 

Guerre  sans  feu  ne  vaut  guère 
mieux  qu'andouille  sans  moutarde. 

L'appétit    vient    en   mangeant. 

Petit  à  petit  vient  l'appétit. 

Jeune  chair  et    vieux  poisson. 

Gourmandise  tue  plus  de  gens 
—  qu'épée  en  guerre  tranchant. 

Les  gourmands  font  leurs  fosses 
à    eurs  dents. 

Ceia  vient  à  propos  comme  le 
lard  en  pois. 

Pains  chauds,  vins  troubles,  bois 
verts. 


Pain  et  beurre  et  bon  fromage 

—  contre   la   mort    est  la    vraie 
targe. 

Salade  bien  lavée  et  salée  — 
peu  de  vinaigre  et  bien  huilée. 

Qui  vin  ne  boit  après  salade  — 
est  en  danger  d'être   malade. 

Veau  mal  cuit  et  poulets  crus 

—  font  les  cimetières  bossus. 

Aile  de  poulet,  ventre  de  carpe, 
dos  de  brochet. 

Vin  usé,  pain  renouvelé  —  est 
le  meilleur  pour  la  santé. 

Vin,  lait  des  vieillards. 


64- 


C'est    un  grand  signe  de   médiocrité   de   louer  toujours 
modérément. 

V  AU  VEN  ARGUES. 


SUR  L'HIVER 

Telle  est  des  saisons 
La  marche  éternelle  : 
Des  fleurs,  des  moissons, 
Des  fruits,  des  glaçons. 
Ce  tribut  fidèle 
Qui  se  renouvelle 
Avec  nos  désirs, 
En  changeant  nos  plaines, 
Fait  tantôt  nos  peines. 
Tantôt  nos  plaisirs. 

Quand  d'un  vol  agile 
L'Amour  et  les  Jeux 
Passent  dans  la  ville, 
J'y  passe  avec  eux. 
Auprès  de  Thémire, 
Le  verre  à  la  main, 
Chanter  son  refrain, 
Folâtrer  et  rire, 
Quel  sort  plus  heureux, 
Buveur  amoureux  ! 

Coulez  mes  journées, 
Par  un  nœud  si  beau 
Toujours  enchaînées, 
Toujours  couronnées 
D'un  plaisir  nouveau. 
Qu'à  son  gré  la  Parque 
Hâte  mes  instants, 
Les  compte  et  les  marque 
Aux  fastes  du  temps. 
Je  l'attends  sans  crainte  : 
Par  sa  rude  atteinte 
Je  serai  vaincu  : 
Mais  j'aurai  vécu  ! 

Gentil- Bernard. 


65 


LE  JARDIN  F^OTAGER 

Semer  en  couches  :  carottes  hâtives,  choux-fleurs,  laitues, 
radis,  romaines.  Mettre  des  châssis  sur  estragon,  oseille, 
persil.  Couvrir  de  litière  cerfeuil,  épinard,  mâche.  j>ersil. 
Continuer  le  forçage  des  asperges.  Planter  sur  carrés  les 
plants  de  laitue  repiqués  en  octobre,  ainsi  que  choux-fleurs 
et  choux  pommés.  Récolter  en  cave  :  barbe-de-capucin, 
champignons,  Witloof  ;  sous  couverture  :  carotte,  crosnes, 
épinards.  mâche,  persil,  scorsonère:  sous  châssis:  radis 
hâtifs. 

LE  JARDIN    D'AGRÉMENT 

Pas  de  travaux.  Préserver  les  végétaux  délicats  en  les 
empaillant  ou  en  les  rentrant  suivant  les  cas.  Culture  forcée 
de  violette,  jacinthe,  iris. 

LA  CAVE 

Mêmes  soins  quen  novembre.  Commencer  le  premier 
soutirage. 

RECETTE 

Cheveux  d'ange.  —  Sorte  de  confiture  faite  avec  des 
écorces  de  citrons  ou  de  cédrats  découpés  en  filets  très 
déhés.  On  les  fait  cuire  daiis  une  petite  quantité  d'eau,  et 
quand  cette  eau  est  entièrement  évaporée,  on  ajoute  du 
sucre  en  poudre  et  le  jus  des  fruits.  Un  remue  continuelle- 
ment. Quand  il  ne  reste  plus  de  jus.  la  confiture  est  faite. 
On  peut  mêler  aux  citrons  des  carottes  bien  tendres, 
découpées  également  en  filets  très  minces. 


—  66 


Recueil    de 

Pièces  Nouvelles 


MEDITATION 


Les  événements  que  nous  traversons  ont  surpris  les 
Français  sans  les  abattre,  mais  il  est  à  craindre  qu'ils  n'aient 
plutôt  sollicité  leur  énergie  qu'éveillé  leurs  réflexions.  Si 
nous  n'y  prenons  garde,  ils  nous  auront  bouleversés  sans 
nous  avoir  rien  appris  et  nous  ne  conserverons  d'eux  qu'une 
impression  violente  et  confuse.  C'est  ainsi  que  les  traits 
des  personnes  dont  notre  pensée  est  le  plus  occupée  sont 
ceux  qu'il  nous  est  le  plus  difficile  d'évoquer  par  le  souvenir. 

Le  désarroi  où  cette  guerre  a  jeté  tout  le  monde  est  si 
évident  que  je  n'ai  point  encore  rencontré,  ni  appris  par 
mes  lectures,  qu'il  existât  dans  aucun  pays  un  seul 
homme  qui  fût  resté  ferme  dans  l'opinion  qu'il  s'en  était 
faite  à  l'origine. 

Les  premiers  jugements  que  j'ai  moi-même  portés  sur  ces 
événements  procédaient  presque  exclusivement  de  l'émo- 
tion qu'ils  m'avaient  causée,  si  bien  qu'aucune  des  raisons 
qui  m'eussent  d'abord  déterminé  à  épouser  la  querelle 
de  mes  concitoyens  (si,  par  hypothèse,  elle  n'eût  été  la 

-69- 


mienne)   n'aurait  sans  doute  suffi  à  soutenir  ma  volonté 
et  à  assurer  ma  constance. 

Je  crois  du  reste  que  je  n'ai  point  été  le  seul  à  céder  à 
cet  entraînement,  car  j'ai  pu  constater  que  l'influence 
collective  de  quelques  sentiments  du  même  ordre  n'a  pas  été 
sans  influer  sur  la  marche  des  choses.  Chacun  d'entre  eux 
a  eu,  en  quelque  sorte,  son  période  et  a  imprimé  aux  événe- 
ments cette  physionomie  passionnée  qui  a  distingué  les 
premiers  mois  de  la  guerre.  Mais  comme  les  passions 
donnent  en  général  naissance  à  des  enchaînements  de  faits 
qui  échappent  à  leur  impulsion  et  survivent  à  leur  déclin, 
tous  ont  conduit  nos  affaires  au  delà  du  point  où  nous 
avons  cessé  d'être  exclusivement  soumis  à  leur  empire. 

Il  en  est  résulté  qu'après  avoir  été  la  chose  de  chacun  de 
nous,  la  guerre  s'impose  aujourd'hui  à  notre  volonté  et 
qu'elle  n'exige  plus  de  nous-mcm_*s  qu'un  sacrifice  délibéré, 
sans  entraînement  et  sans  joie. 

C'est  en  vain,  quant  à  moi,  que  j'ai  essayé  d'en  suivre  en 
moi-même  les  répercussions  et  d'en  dégager  quelque  ensei- 
gnement jusqu'à  ce  que  je  me  sois  accoutumé  à  la  considérer 
sous  cet  aspect  de  morne  et  objective  nécessité. 

J'ai  passé  de  longs  mois  à  me  bercer  de  mensonges  et 
à  me  peindre  sous  de  fausses  couleurs  la  fatalité  dont  je  me 
sentais  prisonnier.  Tantôt  je  croyais  échapper  à  sa  loi  en 
me  hâtant  de  la  proclamer,  tantôt  je  demeurais  inerte 
sous  sa  main  et  comme  accablé  par  le  poids  de  mes  sou- 
venirs. Je  ne  retrouvais  un  peu  l'illusion  de  la  liberté 
que  dans  les  mouvements  extrêmes  de  ma  douleur  ou 
dans  ceux  d'une  exaltation   que  je  ne   pouvais  soutenir. 

J'ai  enfin  reconnu  que  j'étais  plus  encore  le  captif  de 
—  70  — 


mes  passions,  de  mes  pensées,  de  mes  goûts  et  de  mes 
affections  mêmes  que  je  ne  l'étais  de  cette  fatalité  si  cruelle. 
Je  retrouvai  donc  l'entière  possession  de  mon  être,  lorsque 
je  me  fus  avoué  que  tous  ces  biens,  que  j'avais  celés  comme 
un  avai'e,  étaient  aussi  justement  périssables  que  moi- 
même  et  que  je  n'avais  pas  même  le  droit  d'attirer  l'atten- 
tion sur  le  sacrifice  que  j'ai  parfois  été  tenté  d'en  faire  en 
me  précipitant  au-devant  de  m  >n  destin. 

J'aurais  eu  plus  de  mal  à  me  rendre  à  ces  vérités,  et 
peut-être  n'aurais-je  point  réussi  à  me  dépouiller  de  ces 
sentiments  égoïstes  que  beaucoup  de  gens,  qui  me  sont 
cependant  supérieurs,  continuent  à  promener  à  travers  les 
événements,  si  les  circonstances  ne  m'avaient  placé,  en  face 
de  ces  derniers,  à  un  point  de  perspective  que  je  considère 
aujourd'hui  comme  particulièrement  heureux. 

Elles  m'ont  arraché  à  une  situation  où  j'avais  pu  faire 
preuve  de  quelque  initiative  et  où  je  goûtais  quelque  consi- 
dération, pour  me  placer,  sans  que  j'y  eusse  en  rien  été 
préparé,  dans  la  nécessité  de  ne  rien  faire  qu'obéir.  Beau- 
coup ne  pourront  qu'imparfaitement  se  rendre  compte  du 
profit  que  j'ai  retiré  de  cette  obligation  s'ils  n'ont  surmonté, 
pour  s'y  astreindre,  les  mêmes  difficultés  que  moi.  Obéir 
quand  on  n'est  ni  tout  à  fait  un  ignorant,  ni  tout  à  fait 
sot  et  quand  les  circonstances  qui  vous  y  obligent  mettent 
précisément  en  péril  tout  ce  qui  faisait  l'objet  de  vos  affec- 
tions, de  vos  réflexions  et  de  vos  études  :  qu'on  veuille 
bien  réfléchir  à  cela  et  à  la  commune  valeur  des  homm.es. 

Cependant  je  ne  tardai  point  à  me  féliciter  d'une  condi- 
tion qui  me  réduisait  à  ne  rien  entreprendre  par  moi- 
même   et   à   ne  point  agir,  qu'à  mon  rang  et  comme  un 

—  71   " 


chacun.  Mon  entendement  n'en  fut  bientôt  que  plus  libre, 
plus  assuré  et  surtout  plus  ouvert  à  ces  mille  pressenti- 
ments du  vrai  et  du  juste  qui  agitent,  sans  y  rencontrer 
leur  expression,  la  conscience  populaire.  J'ai  pu  juger  ainsi 
de  maintes  choses  sans  être  retenu  par  la  crainte  des 
conséquences  que  pouvait  entraîner  une  erreur,  mais  aussi 
sans  mêler  à  mes  réflexions  le  désir  d'accroître  ma  fortune. 
J'ai  plus  d'une  fois  deviné  la  juste  économie  de  diverses 
entreprises  où  je  me  fusse  sans  doute  égaré  s'il  s'était  agi 
de  les  conduire  moi-même.  Dans  toutes  ces  circonstances 
je  me  suis  d'ailleurs  inspiré  d'une  sorte  de  pudeur  qui  me 
poussait  à  me  substituer  mentalement  à  ceux  dont  j'aurais 
dû  faire  les  instruments  de  mon  dessein  et  à  ne  le  tenir 
pour  bon  que  si  je  l'eusse  néanmoins  tenu  pour  tel  étant 
à  leur  place. 

Mais  il  ne  m'eût  pas  sufh  d'être  confiné  dans  quelque 
rôle  obscur,  si  les  mêmes  circonstances  n'avaient  encore 
voulu  que  je  devinsse  un  instrument  entre  des  mains  dont 
la  direction  se  substituait  à  la  mienne  en  me  restant  ignorée. 

Chacun  peut,  de  sa  place,  imaginer  des  épreuves  maté- 
rielles beaucoup  plus  pénibles  que  celles  que  j'ai  endurées, 
mais  il  est  sans  doute  plus  difficile  de  bien  concevoir  les 
pensées  de  ceux  que  la  fatalité  a  personnellement  marqués 
au  front  de  son  doigt  de  glace  et  qu'elle  a  placés  comme  en 
réserve  pour  l'exécution  de  ses  desseins. 

Ils  savent  qu'ils  sont  entraînés  jusque  dans  leur  sommeil 
sur  une  voie  dont  ils  distinguent  bien  le  terme  mais  dont 
ils  n'aperçoivent  pas  les  courbes  ;  ils  se  rendent  compte 
que  leur  plus  chère  rêverie  peut  être  interrompue  et  ils 
ne  pensent  qu'avec  peine.  On  les  entoure  de  louanges,  mais 

—  72  — 


Jean   Fououkt  —  f.ivre  d'Heures  (t'Etienite  Chevalier. 

(Milite  de  Cli.intillyi.  Miniature 


/•-«r^ 


V 


t//. 


^^^T^' 


Ingres  —  Madame  Ingres  mère. 


Dessin. 


ils  font  chaque  jour  l'expérience  de  la  cruelle  maxime  du 
moraliste  :  «  Nous  avons  tous  assez  de  force  pour  supporter 
les  maux  d'autrui.  »  Comment  n'en  seraient-ils  point 
frappés,  quand  le  lien  qui  les  unit  à  leurs  proches  est  si 
relâché  qu'il  peut  achever  de  se  rompre  sans  que  personne 
en  ressente  la  secousse  ?  Ils  vivent,  ils  marchent,  ils  jouent 
et  cependant  ils  ne  sont  déjà  plus  que  des  ombres. 

C'est  dans  ces  conditions  et  sous  l'empire  de  ces  pensées 
que  j'arrivai  peu  à  peu  à  fixer  l'équilibre  de  mon  âme.  Je 
m'amusai  alors  à  en  chercher  une  formule  et  m'arrêtai 
enfin  à  la  suivante  :  Rien  n'est  changé  en  moi,  sinon  ma 
raison  d'être. 

La  plupart  de  ceux  qui  se  trouvent  dans  mon  cas  ne  se 
sont  point  rendus  à  la  vérité  de  cette  sentence  si  brève,  car 
ils  n'observent  guère  la  disciphne  qu'elle  commande. 

Les  uns  sont  devenus  aussi  différents  d'eux-mêmes  qu'il 
est  possible  de  le  concevoir.  Ils  se  sont  laissé  emporter  aux 
événements  dans  le  désordre  desquels  ils  ont  retrouvé  une 
sorte  de  vie  nouvelle,  hâtive,  fiévreuse,  passive  cependant, 
où  leurs  âmes  n'obéissent  même  plus  aux  ressorts  qui 
avaient  coutume  de  les  mouvoir  et  ne  réagissent  qu'aux 
impulsions  d'une  effarante  et  brutale  réalité. 

D'autres,  au  contraire,  sont  restés  comme  suspendus  à 
leurs  souvenirs.  Ils  sont  encore  tout  entiers  au  milieu  de 
leurs  champs,  de  leurs  vignes  et  de  leurs  troupeaux,  parmi 
leurs  enfants  et  leurs  proches.  Personne  que  je  sache  n'a  dit 
leurs  souffrances,  personne  n'a  tenté  de  réconforter  ces  cœurs 
aimants  et  faibles  qui  sont  les  vraies  victimes  de  la  guerre. 

Les  premiers  efforts  que  j'ai  moi-même  tentés  pour 
concilier  les  impressions  que  je  recevais  à  la  fois  de  mon 

—  73  — 


passé  et  des  événements  ne  furent  point  heureux,  car, 
d'une  part,  je  ne  pouvais  me  retourner  vers  une  vie  d'au- 
trefois sans  être  envahi  par  des  souvenirs  si  douloureux 
qu'ils  absorbaient  toute  mon  énergie  et,  de  l'autre,  les 
faits  auxquels  je  me  trouvais  mêlé  me  préoccupaient  si 
violemment  que  je  me  sentais  incapable  de  les  confronter, 
pour  les  mettre  sous  leur  vrai  jour,  à  d'autres  vérités  dont 
j'avais   fait   l'expérience   ou  qui  m'avaient  été    apprises. 

Je  réussis  enfin  à  opérer  cette  fusion  dont  le  résultat  fut 
que  je  sentis  aussitôt  mon  personnage  s'accroître  et  se 
multiplier  tout  en  perdant  la  netteté  de  ses  contours,  si 
bien  que  je  me  vis  tout  ensemble  chargé  de  vagues  respon- 
sabilités nouvelles  et  privé  du  plaisir  de  placer  au  centre  des 
choses  les  divinités  familières  auxquelles  j'avais  jusqu'alors 
sacrifié.  Je  dus  me  tenir  pour  engagé  par  des  actes  que  je 
n'avais  point  accomplis  ou  que  j'avais  réprouvés  et  cou- 
pable de  fautes  que  je  n'avais  point  commises.  Cependant 
je  voyais  à  mes  côtés  une  foule  de  gens  qui  n'avaient  rien 
à  gagner  dans  cette  tourmente  et  qui  me  parurent  ne  s'y 
être  jetés  (encore  qu'ils  ne  fussent  pas  très  forts  sur  l'article 
de  la  grammaire)  que  pour  soutenir  la  querelle  de  Villon, 
ou  celle  de  Voltaire. 

Et  pour  ce  que  je  considérais  aussi  de  quelles  grandes 
injustices  étaient  le  plus  souvent  accablés  ceux  dont  je  me 
plaisais  à  solliciter  les  confidences,  j'admirais  que  les  inté- 
rêts de  tous  fussent  à  ce  point  confondus  que  le  pays 
trouvât  son  compte  à  ce  que  leur  malheur  servît,  soit  à 
édifier  la  fortune  d'un  concurrent,  soit  à  rehausser  le  pres- 
tige nécessaire  d'un  chef,  soit  à  racheter  une  faute  commise. 

J'ai  donc  été,  j'ai  voulu  être  partial  envers  mon  pays. 

—  74  — 


J'ai  vu,  certes,  i(iininc  tout  le  inonde,  le  cortège  de  maux 
€t  de  vices  que  la  i^uerre  traîne  avec  elle,  sans  compter  ceux 
dont  elle  ne  nous  a  point  guéris  ou  dont  elle  rehausse  par 
contraste  la  laideur.  A  quoi  bon  les  énumérer  et  qu'irai-je 
m'embarrasser  de  ces  produits  de  l'égoïsme,  de  l'ignorance 
■et  de  la  sottise  pour  faire,  à  leiu"  propos,  une  réserve  dans 
mon  jugement  ?  Je  pense  au  demeurant  que  l'âme  humaine 
est  sans  doute  semblable  à  ces  substances  chimiques  qui 
changent  de  propriétés  suivant  la  température  où  on  les 
porte  et  que  (de  même  que  celles  qui  ont  été  soumises  au 
creuset  de  l'adversité  nous  ont  en  général  donné  les  plus 
belles  réactions)  il  ne  faut  point  nous  étonner  s'il  tombe 
tant  de  poussière  de  celles  qui  se  sont  laissé  secouer  sans 
réagir  au  branle  des  événements. 

Il  est  du  reste  une  raison  qui  m'a  toujours  détourné  de 
vouloir  établir  le  bilan  des  qualités  et  défauts  des  adver- 
saires, mais  qui  m'a  au  contraire  déterminé  avec  beaucoup 
de  force  à  embrasser  sans  restriction  la  cause  de  mon  pays. 
C'est  à  savoir  que,  quelles  que  soient  les  fautes  ou  les  sot- 
tises que  l'on  a  commises  en  son  nom,  il  n'en  est  point 
coupable  dans  son  ensemble,  ayant  subi  et  non  voulu 
cette  guerre  à  laquelle  il  s'est  spontanément  égalé.  Sans 
excuser  pour  cela  une  imprévo^'ance  funeste,  on  doit  con- 
damner la  préparation  morale  qui  a  dicté  à  la  Germanie 
cette  philosophie  de  la  guerre,  dont  je  m'étonne  qu'elle 
ait  pu  faire  illusion  à  quelques  bons  esprits  nourris  à 
l'école  des  humanités  françaises.  Le  temps  a  heureusement 
assez  marché  pour  qu'il  soit  désormais  facile  de  réfuter 
leur  erreur. 

Quelle  est  cette  surprise  qu'éprouvent  les  soldats  alle- 

—  75  - 


mands  en  trouvant  devant  eux  les  durs  et  impassibles 
ouvriers  de  la  mort  que  sont  devenus  les  nôtres  ?  Où  donc 
est  cet  orgueil  de  la  force  devant  une  autre  force  qui  l'égale  ? 
Ah  !  maudissons  plutôt  la  nécessité  qui  nous  impose  tout 
cet  horrible  machinisme  !  Il  n'y  a  point  de  vérité  philo- 
sophique dans  la  cruauté,  point  de  juste  impassibiUté  devant 
la  souffrance,  et  l'esprit  n'a  rien  à  gagner  en  s'engageant 
dans  cette  voie. 

Les  Français  qui  se  sont  plies  aux  nécessités  de  la  guerre, 
parfois  jusqu'à  se  laisser  gagner  par  son  ivresse,  n'y  ont 
du  moins  jamais  cherché  je  ne  sais  quelle  vérité  permanente. 
Les  circonstances  ont  pu  les  endurcir,  mais  jamais  aucun 
d'eux  ne  s'est  mis  en  tête  de  sermonner  son  ennemi  et  de 
vouloir  lui  persuader  qu'il  le  supprimait  pour  son  plus  grand 
bien.  La  France  n'a  point  compromis  de  morale  dans  ces 
sanglantes  fêtes  de  la  Mort. 

Pour  moi,  dont  la  nature  repousse  avec  horreur  ces 
tragiques  moissons,  je  n'en  détournerai  point  cependant 
mon  regard  devant  que  tout  le  grain  ne  soit  rentré. 

Mais  prenez,  ô  mon  Dieu  !  sous  votre  tutelle  les  biens 
dont  vous  m'avez  dépossédé. 

Vous  m'avez  arraché  à  mes  pensers  familiers,  vous  avez 
refermé  le  livre  où  j'aimais  à  lire,  vous  m'avez  séparé  des 
êtres  qui  m'étaient  chers. 

J'ignore  quel  est  le  sort  que  vous  me  réservez  encore, 
mais  je  sais  que  le  principal  sacrifice  est  accompli. 

Paul  Bourdin 


-  76 


LE  DOCTRINAL  DES  PREUX 


L'Auteur 

En  mon  dormant,  m'étant  remis  naguère 
Dans  un  plessis  aux  vertes  profondeurs, 
Pallas  la  cointe  et  Mars  le  boutenguerre 
M'ont  enseigné  par  leurs  ambassadeurs  : 
Rois,    Chevaliers,    Maréchaux,    Connétables, 
Qui  m'ont  tenu  ces  discours  véritables  : 
Jeunes  et  vieux,  oyez  ces  dits  notables, 
Petits  et  grands,  soyez  bons  entendeurs. 

Roland 

Je  m'étonne,  vieillard,  si  le  cœur  ne  te  fend 
De  voir  inanimé  le  preux  à  l'olifant. 
Mais  je  n'ai  de  ton  deuil  que  faire  et  te  convie, 
Plutôt  que  sur  ma  mort,  à  pleurer  sur  ta  vie. 

—  n  — 


GODEFKOV    DH    BOUILI.ON 

Je  ne  veux,  beaux  amis,  chapeau  de  rose  ou  d'or  : 
Riches,  déhcieux  redoutent  Proserpine, 
Mais  qui  çà-bas  sont  couronnés  d'épine 
Petit  leur  est  de  la  vie  ou  la  mort. 

BOUCIQUAUT 

D'autre  modèle  et  maître,  je  n'eus  mie 
Que  Bouciquaut  mon  père,  en  prudhomie 
Et  vaillant ise  un  nouveau  Scipion. 
De  bonne  souche,  bon  scion. 

La  h  ire 

De  justice  tenir  roi  par  Dieu  commandé 
Oui  nous  fais  gâter  terre  et  manger  le  bonhomme, 
Messire,  ayez  ce  point  pour  bien  recommandé  : 
De  tous  maux  Convoitise  est  la  mère  et  la  somme 

Le  Chevalier  de  Lalaing 

A  faire  usure,  à  trésors  amasser 
Par  cabasser,  vivre  de  tricherie 
Et  pillerie  et  pauvres  déchasser 
Tourne  à  déclin  fine  Chevalerie. 
-78- 


Saint  Louis 

Dessous  mon  chêne,  affublô  d'un  surcot 

De  tiretaine,  fais- je  office 
De  roi  de  France  ou  suis- je  un  bergerot  ? 
Ai- je  houlette  ou  bien  main  de  justice  ? 
Ne  chaut  petite  ou  grande  royauté  : 
Peuple  ou  troupeau,  vous  êtes  bien  gardé 

Charles  le  Hardi 

Ne  plains  trop  mon  orgueil  et  ma  folle  cuidance, 
Homme,  considérant  l'essence  et  l'accident  : 
Un  félon  m'a  ravi  l'empire  d'Occident. 
Heur  et  malheur,  tout  vient  de  haute  Providence. 

MONLUC 

Voyant  ce  corps  perclus  et  ce  touret  de  nez. 
Ce  visage  rongé  de  plaie  envenimée, 
Gens  de  petit  courage  et  vilains,  apprenez 
Qu'à  grand'peine  s'acquiert  la  bonne  renommée. 

Gaston  de  Foix 

Humains,  la  fleur  de  prix  s'effeuille  dès  l'aurore  ; 
Tels  sont  des  dieux  jaloux  les  funestes  arrêts 
Gaston  de  Foix,  rapide  et  brillant  météore, 
Cueillit  en  même  temps  la  palme  et  le  cyprès. 
—  79  - 


Bayard 

Au  renom  de  Bayard  toi  qui  portes  envie, 
Retiens  en  peu  de  mots  la  règle  de  sa  vie  : 
Mépriser  biens  mondains,  être  grand  aumônier, 
Férir  haut,  parler  bas,  oncques  ne  forligner. 

Jean  de  Bueil 

Bien  emparlés,  gaillards  en  toute  conjoncture. 
Amis  sûrs,  conseillant  prudence  aux  plus  hardis 
Et  constance  aux  chétifs,  courtois  en  faits  et  dits  : 
Tels  sont  les  gens  de  bien,  orateurs  de  nature. 


Jeanne  d'Arc 

Mes  bourreaux  n'ont  porté  le  harnais  ni  la  lance  : 
Près  des  Grippeminauds  les  routiers  sont  humains 
Gens  d'honneur,  champions  de  l'antique  vaillance. 
Ne  craignez  rien,  sinon  de  tomber  dans  leurs  mains. 


DUGUESCLIN 

Nature  m'a  donné  chère  de  sanglier. 
Cœur  hardi,  généreux,  vie  exempte  de  blâmes, 
Et  je  fus  de  mon  temps  le  plus  laid  chevalier. 
Le  plus  prisé  du  roi,  le  mieux  pleuré  des  dames. 
—  80  — 


Le  Bâtard  d'Orléans 

Forcer  le  léopard,  autant  vaut,  bien  le  sais. 
Comme  purger  Stymphale,  Erymanthe  et  Nemée. 
Le  bâtard  de  Jupin  et  l'Alcide  français 
Ont  à  labeur  égal  égale  renommée. 

La  Palice 

Oh  !  qu'un  Chef  obstiné  peut  causer  d'infortune  I 
Pourtant  suivons  la  meute,  ô  gentils  compagnons  ; 
Nous  y  perdrons  la  vie  et  robe  et  chaperons. 
Et  qui  nous  en  louera  maudisse  la  Fortune  1 

TURENNE 

Quel  tonnerre  de  gueule  au  haut  du  Mont  Pagnote  ! 
Tout  beau  !  les  chiens  mâtins,  clabauds  et  gazetiers 
De  vingt  postes  au  moins  j'entends  votre  ribote 
Qui  couvre  de  son  bruit  bombardes  et  mortiers. 

Maurice  de  Saxe 

Qu'il  est  mal  assuré  le  loyer  du  courage  ! 
Le  peuple  est  oublieux,  les  rois  sont  des  ingrats  ; 
Pèlerins  à  l'abri  jettent  leur  balandras  ; 
Fi  du  cierge  et  du  saint  quand  s'éloigne  l'orage  ! 
—  8i  — 


Caïinat 

Heureux  le  Capitaine,  enfant  de  la  Victoire 
Qui  montre  pour  la  brigue  un  vertueux  dédain, 
Et  d'un  Cincinnatus  prétendant  la  mémoire, 
Tresse  de  ses  lauriers  le  mur  de  son  jardin  ! 

La  Tour  d'Auvergne 

Du  dernier  paladin,  du  preux  à  la  giberne 
Qui  fit  du  siècle  d'or  les  vertus  refleurir. 
Grâces  qui  lamentez,  gardez  le  souvenir. 
Et  qu'enfin  le  Cynique  éteigne  sa  lanterne  ! 

André  Mary 


82  — 


LES  MASQUES  DE  LA  GUERRE 


'EpEyOÉwç"      à/X'    â-oSûvxa    /ûy,    aùrov 
ÔeicaoOai.  Platon,  Premier  Alcibiade. 

Dépouillé  de  son  masque  de  théâtre,  le  peuple  du  magna- 
nime Erechthée  ne  charmait  pas  le  philosophe  ;  mais  que 
ce  masque  était  beau  et  bien  porté  ! 

Nous  avons  évidemment  moins  d'esprit  et  de  goût 
que  ks  Athéniens  ;  car  il  nous  arrive  rarement  de  nous 
parer  d'un  masque  plus  beau  que  notre  visage  ;  et,  si  nous 
en  choisissons  un  qui  par  hasard  soit  beau,  nous  ne  savons 
faire  ni  les  gestes  ni  les  discours  en  rapport. 

Nous  avons  su,  autrefois,  parler  et  nous  tenir,  et  nous 
avons  été  de  merveilleux  modeleurs  de  masques.  Il  n'y  a 
pas  si  longtemps  de  cela  ;  il  y  a  si  peu  de  temps,  en  vérité, 
qu'il  faut  rompre  un  enchantement  pour  nous  apercevoir 
que  nous  vivons  dans  un  autre  siècle  et  dans  un  monde 
changé  :  c'était  avant  que  nous  eussions,  de  nos  propres 
mains,  renversé  notre  scène,  la  plus  belle  du  monde,  pour 
en  édifier  une  autre  qui  ne  fut  pas  moins  regardée,  mais  qui 
fut  certainement  moins  admirée. 

-83- 


Un  penseur  né  de  la  guerre  me  dira  :  «  Qui  est-ce  qui 
peut  s'étonner,  aujourd'hui,  de  la  perversité  d'aucun 
peuple  ?  Où  tend  votre  discours  ?  Etes-vous  à  ce  point 
littérateur  que  la  beauté  du  masque  vous  console  de  la 
laideur  du  visage  ? 

—  Je  regrette  simplement,  monsieur,  que  certains  de 
nos  contemporains  ne  sachent  pas  mieux  observer  les 
convenances  ;  et  je  voudrais  bien  qu'ils  ne  fissent  pas 
de  Melpomène  une  fille  à  soldats. 

—  Eh  quoi,  après  deux  ans  de  guerre,  il  existe  encore 
des  gens  comme  vous  ? 

—  Je  l'espère. 

En  vérité,  la  guerre  est  une  tragédie,  et  les  princi- 
paux personnages  de  la  tragédie  doivent  se  présenter  sur 
la  scène  avec  décence.  Nous  attendons  d'eux  qu'ils 
s'expriment  dans  un  langage  noble,  familier  à  l'occasion, 
jamais  bas. 

On  veut  aujourd'hui  que  le  vaillant  Achille  harangue 
ses  Myrmidons  dans  le  style  de  Thersite,  et  que  le  monde 
à  qui  nos  pères  ont  donné  de  si  hautes  leçons  de  bon  goût, 
soit  informé  de  nos  actions  héroïques  par  des  bulletins  de 
même  style.  Héroïsme,  ce  mot  depuis  deux  ans  nous 
revient  sans  cesse  à  la  bouche  et,  heureusement,  ce  n'est 
pas  sans  raison  ;  il  faudrait  cependant  comprendre  qu'aux 
actions  héroïques  le  ton  héroïque  convient. 

Nos  ennemis  le  sentent  mieux  que  nous  :  ils  nous  repro- 
chent (ah  !  faut-il  que  la  Sprce  adresse  un  semblable  reproche 
à  la  Seine  !)  de  manquer  de  grâce,  et  il  faut  que  ceux  qui 
se  taisent  prennent  leur  part  d'une  humiUation  qu'ils  n'ont 
pas  méritée 

-   84- 


*    *    * 

Calliclès  prend  la  parole  : 

«  Vous  trouvez  que  nous  sommes  au-dessous  de  notre 
rôle  ?  Mais  si  nous  n'avons  pas  assez  de  talent,  qui  empêche 
les  jeunes  d'en  avoir  plus  que  nous  ?  Qui  doute  que  nous 
ne  soyons  tout  disposés  à  les  accueillir  favorablement  ? 
Depuis  le  premier  jour  de  la  guerre,  ne  demandons-nous 
pas  un  Homère  à  la  France  ?  Est-ce  notre  faute  si  elle  ne 
nous  le  donne  pas  ? 

—  Un  Homère  ?  Ah  !  monsieur,  y  pensez-vous  ?  Je 
vous  assure  que  si  Homère  osait  seulement  réciter  le 
premier  vers  de  son  Iliade  sur  la  place  publique  de  notre 
joyeuse  petite  ville,  il  se  ferait  aussitôt  appréhender  par  la 
garde  volontaire,  sous  l'inculpation  de  propagande  sédi- 
tieuse. 

—  Un  Tyrtée,  alors.  Je  me  contenterais  fort  bien  d'un 
Tyrtée. 

—  Croyez-vous,  monsieur,  que  Tyrtée  consentît  à  parler 
comme  les  journaux  ?  Et  d'ailleurs  de  quelle  Athènes 
voulez-vous  que  nous  le  fassions  venir  ? 

—  Que  voulez-vous  dire  par  cette  figure  ? 

—  Quoi,  vous  n'avez  ni  labouré  ni  ensemencé  votre 
champ  et  vous  vous  étonnez  de  ne  récolter  aujourd'hui 
que  les  herbes  qui  font  l'ornement  ordinaire  des  friches  ? 
Où  sont  vos  écoles  de  poésies  ?  Comment  avez-vous  traité 
vos  poètes  ?  Voulez-vous  que  nous  fassions  le  compte  de 
ceux  que  vous  avez  laissés  mourir  de  misère,  depuis  vingt- 
cinq  ans  ? 

—  Non,    ce    serait    beaucoup    trop    affligeant.    J'aime 

-85- 


mieux  reporter  ma  pensée  sur  les  honneurs  funèbres  que 
nous  avons  rendus,  nous  autres  académiciens,  à  nos  chers 
morts,  à  cette  brillante  jeunesse  qui  n'aurait  jamais  tracé, 
de  sa  plume,  d'aussi  glorieuses  pages,  qu'elle  a  fait  de  son 
sang  ! 

—  Vous  êtes  bientôt  consolé  ! 

—  Que  dites-vous  ? 

—  Je  dis  que  vous  êtes  bientôt  consolé. 

—  Vous  n'êtes  pas  très  patriote,  à  ce  qu'il  semble. 

—  Et  si  je  vous  prouve  que  c'est  l'Académie  qui  ne  l'a 
pas  été  en  se  comportant  comme  elle  a  fait  ? 

—  Vous  seriez  bien  habile. 

— -  Selon  vous,  le  patriotisme  est-il  quelque  chose  de 
sérieux,  ou  bien  une  simple  parade  ? 

—  Quelque  chose  de  sérieux,  de  très  sérieux. 

—  Nous  sommes  d'accord,  monsieur,  tout  à  fait  d'ac- 
cord. Celui  qui  sert  bien  sa  patrie  est-il  patriote,  ou  celui 
qui  la  sert  mal  ? 

—  Celui  qui  la  sert  bien  comme  nous. 

—  N'allons  pas  si  vite.  Un  laboureur  qui  prend  de  sa 
terre  le  soin  convenable  sert-il  son  pays  ? 

—  Il  le  sert  dans  les  travaux  de  la  paix. 

—  En  cultivant  sa  terre,  fait-il  ce  qu'il  doit  ? 

—  Il  rend  ce  qu'il  doit  à  son  pays,  à  sa  famille  et  ce 
qu'il  se  doit  à  lui-même,  comme  laboureur. 

—  Mais  il  fait  ce  qu'il  doit  parce  qu'il  fait  son  métier. 

—  Evidemment. 

—  Et  le  soldat  ? 

—  Egalement. 

—  Et  tous  les  autres  citoyens  ? 

—  86  — 


—  Il  en  va  de  même  pour  eux. 

—  Le  patriotisme  consiste  donc  à  bien  faire  son  métier 

—  D'où  tirez-vous  cette  conséquence  étrange  ?  Le 
patriotisme  est  un  sentiment. 

—  Quel  sentiment  ? 

—  L'amour  de  la  patrie. 

—  Pensez-vous  qu'une  république  dans  laquelle  tous 
les  citoyens  feraient  leur  devoir  serait  grande  et  forte  ? 

—  Je  le  pense. 

—  Vouloir  sa  patrie  forte  et  grande,  est-ce  la  haïr  ou 
l'aimer  ? 

—  L'aimer. 

—  N'est-ce  pas  aimer  seulement  en  paroles,  que  de 
souhaiter  le  bien  de  l'objet  qu'on  aime,  sans  le  servir  ? 

—  Assurément. 

—  Mais  il  n'y  a  pas  d'autre  manière  de  servir  sa  patrie 
que  de  faire  son  devoir. 

—  Non. 

—  Son  devoir,  c'est-à-dire  son  métier. 

—  Oui. 

—  Qui  ne  fait  pas  son  métier  comme  il  doit,  convenez- 
en,  n'aime  pas  réellement  son  pays  et  ne  peut  pas  se  dire 
patriote. 

—  Soit. 

—  Quel  est  le  métier  de  l'Académie  française  ?  N'est-il 
pas  de  veiller  sur  la  pureté  de  notre  langue  et  de  maintenir 
la  dignité  des  lettres  françaises  ? 

—  Tel  est  en  effet  son  rôle. 

—  L'a-t-elle     rempli  ?     A-t-elle     seulement     dénoncé 
e  jargon  des  communiqués  ? 

-87- 


—  Je  vous  avoue  que  pas  un  de  nous  n'y  a  songé.  Recon- 
naissez, toutefois,  que  nous  avons  donné  par  ailleurs 
quelques  preuves  de  notre  zèle. 

—  Oui  ;  vous  avez  revêtu  le  voile  des  dames  de  la  Croix- 
Rouge  ;  vous  avez  tricoté  des  chaussettes  pour  vos  filleuls 
et  vous  leur  avez  envoyé  du  chocolat.  ^ 

—  Ah  !  vous  ne  devriez  pas  plaisanter  ainsi  ! 

—  Mais  ne  parlons  que  de  la  Compagnie,  et  non  de  vos 
fantaisies  personnelles. 

—  Oseriez-vous  soutenir  que  sa  piété  envers  les  écrivains 
morts  pour  la  patrie  autorise  personne  à  mettre  son  patrio- 
tisme en  doute  ? 

—  Ils  sont  morts  en  soldats  et  non  pas  en  écrivains. 

—  A  quoi  bon  cette  distinction  ? 

—  C'est  ce  que  nous  allons  voir.  Racine  est  un  écrivain  ; 
qu'en  pensez-vous  ? 

—  Un  grand  écrivain. 

—  Et  Turenne,  le  tenez-vous  également  pour  un  grand 
écrivain  ? 

—  Turenne  est  un  soldat. 

—  Mais,  il  est  mort  à  la  guerre. 

—  C'est  un  glorieux  soldat. 

—  Vous  appelez  Racine  un  grand  écrivain  ;  songez- 
vous  qu'il  est  mort  dans  son  lit  ? 

—  Eh  bien  ? 

—  Qu'il  n'a  vu  les  combats  que  du  haut  du  mont 
Pagnote  et  qu'il  ne  passe  pas  pour  avoir  été  intrépide  ? 

—  Il  nous  a  laissé  de  belles  tragédies. 

—  Le  talent  de  l'écrivain  et  le  courage  du  soldat  ne  sont 
donc  pas  la  même  chose  ? 


—  Qui  le  prétend  ? 

—  L'Académie  française  a-t-elle  pour  mission  de  récom- 
penser le  courage  du  soldat  ?  Non,  cher  maître  ;  et  quand 
elle  réserve  ses  prix  aux  soldats  morts  ou  vivants,  elle  ne 
fait  pas  son  métier,  elle  n'est  pas  patriote. 

—  Auriez-vous  démontré  cela  ?  Je  ne  comprends  rien 
à  votre  raisonnement.  Il  faut  qu'il  ne  soit  pas  bien  français, 
de  quelque  façon.  L'Académie  française  est  patriote, 
voyons  1 

—  Oui,  si  vous  tenez  le  patriotisme  pour  une  simple 
parade.  » 

*   *   * 

Qu'est-ce  que  le  patriotisme  sans  la  raison  ?  Quelle  ei. 
est  la  beauté  ?  Quelle  en  est  l'utilité  ?  En  quoi  peut-il  être 
bienfaisant  ?  N'est-ce  pas  cette  sorte  de  patriotisme  que 
Schopenhauer  appelle  la  plus  sotte  des  passions  et  la  pas- 
sion des  sots  ? 

Regardez,  je  vous  prie,  ces  écrivains  qui  se  sont  donné 
tant  de  peine  pour  faire  de  la  culture  française  une  espèce 
de  félibrige  et  qui,  à  toute  heure,  s'étonnent  d'être  Français, 
comme  les  personnages  d'Hernani  d'être  Espagnols.  Ce 
sont  des  gens  qui  devraient  se  trouver  à  la  hauteur  des 
circonstances  et  savoir  la  philosophie  de  la  guerre,  puisqu'ils 
n'ont  pas  cessé  de  prêcher  la  croisade,  sans  nous  dire  jamais 
par  quelle  vertu  nous  nous  rendrions  capables  de  délivrer 
Jérusalem. 

Ecoutez  celui-ci  qui  parle  à  tout  bout  de  champ  de  raison 
et  de  mesure  :  «  Les  sales  uniformes  gris...  »  Qu'est-ce  que 

-89- 


cela  ?  C'est  l'année  allemande  marchant  victorieuse  sur 
Paris  !  Je  vous  demande  si  un  pareil  langage  se  rapporte 
à  la  noblesse  du  masque  de  Minerve  dont  cet  homme 
s'affuble  ? 

Et  cet  autre  qui,  monté  sur  une  borne,  exhortait  la 
France  au  calme  ;  est-il  moins  éloquent  avec  sa  Botte 
remplie  de  crottin  ? 

Il  me  revient  ici  des  souvenirs  plaisants.  Le  journal 
où  paraissaient  les  articles  de  ce  prêcheur  de  calme  était 
à  peu  près  le  seul  qui  nous  parvint  ici  pendant  ces  jours 
affreux  :  on  l'arrachait  des  mains  des  vendeurs,  à  travers 
les  grilles  de  l'hôtel  de  ville  ;  et  ces  harangues  semaient  la 
panique  dans  une  population  déjà  suffisamment  troublée 
par  les  nouvelles  de  nos  revers  sur  la  Somme  et  l'appari- 
tion des  premiers  réfugiés. 

On  voyait  alors  les  gens  sortir  de  leurs  maisons  sans 
avoir  pris  le  temps  de  mettre  un  masque  ;  et  ;*lus  d'un 
fanfaron,  dans  sa  fuite,  laissa  tomber  le  sien  que  les  enfants 
s'amusèrent,  pendant  plusieurs  jours,  à  pousser  du  pied 
dans  les  rues. 

Vraiment  des  hommes  qui  ont  à  ce  point  la  crainte  de  la 
mort  ne  méritent  pas  beaucoup  d'estime  ;  car  nous  ne 
sommes  attachés  à  la  vie  que  par  d'indignes  liens,  illusions 
ou  faiblesses. 

La  Botte  remplie  de  crottin...  Vous  en  souvenez- vous  ? 
Comme  cette  éloquence  répondait  à  notre  angoisse,  et 
que  c'était  bien  la  peine  de  rompre  le  tragique  silence  d'un 
peuple  pour  jeter  dans  l'air  de  pareilles  vilenies  ! 

Messieurs,  vous  n'êtes  pas  ce  que  vous  prétendez  être  : 
vous  ne  comprenez  pas  la  France.  Oh  !  vous  ne  manquez 

—  90  — 


ni  de  talents,  ni  (l'un  de  vous,  tout  au  moins)  de  savoir. 
Votre  malheur,  c'est  d'être  nés  dans  des  provinces  trop 
lointaines,  l'âme  de  Paris  vous  échappe. 

Vous  avez  tremblé  pour  ses  monuments  ?  Qu'est-ce 
que  la  pompe  des  monuments,  au  prix  de  la  décence  du 
peuple  ?  Non,  vous  n'avez  pas  l'instinct  du  sublime  de 
Paris.  Cependant,  vous  avez  dû  entendre  sortir  souvent 
d'une  noble  bouche  ces  vers  : 

Mais  la  Seine  à  la  fois 
De  grâce  et  de  fierté  sut  composer  sa  voix. 

En  voici  un  autre.  Il  s'est  fait,  celui-là,  une  réputation 
en  soutenant  avec  fermeté  une  proposition  de  loi  qui  devait 
mettre  la  France  en  état  de  défendre  ses  frontières  de  l'in- 
vasion. Parlant  des  prisonniers  qu'il  a  vus  dans  la  Somme  : 
«  J'ai  approché,  dit-il,  ces  animaux  nuisibles.  J'ai  surmonté 
ma  répugnance  afin  de  les  interroger...   » 

Est-il  séant  à  un  homme  dans  sa  place,  je  vous  en  fais 
juge,  d'injurier  des  vaincus  ? 

Ah  !  monsieur  le  ministre,  venez  donc  voir  ici  les  jeunes 
filles  se  mettre  sur  le  pas  de  leur  porte,  quatre  fois  par 
jour,  d'un  bout  de  la  rue  à  l'autre  pour  regarder  passer 
ces  beaux  jeunes  hommes,  bien  qu'ils  soient  tout  couverts 
de  poussière  de  charbon.  J'aime  mieux  cela,  je  retrouve 
le  cœur  humain. 

On  me  dira  :  c'est  un  père  en  deuil  ;  il  voit  dans  ces 
soldats  les  meurtriers  de  son  fils  ;  le  langage  de  la  douleur 
mérite  qu'on  l'excuse.  J'excuserais  une  pauvre  femme  ; 
je  ne  dois  pas  excuser  un  homme  qui  s'est  donné  de  la 

—  91  — 


peine  pour  se  mettre  en  vue,  et  qui,  par  conséquent,  doit 
être  capable  d'offrir  au  peuple  un  noble  exemple. 

J'admets  qu'il  ait  pu  s'emporter  à  un  semblable  excès 
de  langage  dans  une  lettre  privée  ;  je  dois  le  désapprouver 
dans  un  article  de  journal. 

Mais  comment  s'étonner  de  voir  que  les  bienséances 
ne  soient  pas  observées  dans  les  gazettes,  quand  elles  ne  le 
sont  pas  même  dans  la  chaire  ? 

Un  jeune  évêque,  décoré  de  la  croix  de  la  Légion  d'hon- 
neur et  de  la  croix  de  guerre,  et  que  tout  le  monde  admirait, 
quand  il  passait  dans  les  rues  monté  sur  son  beau  cheval 
blanc,  s'écrie  dans  une  oraison  funèbre  remarquable,  selon 
le  grand  journal  du  lieu,  par  l'élévation  du  style  et  de  la 
pensée  :  «  En  enfonçant  à  coups  de  vies  humaines  les  pre- 
miers murs  de  cette  brèche,  par  où  passera  la  victoire  qui 
empêchera  le  rêve  des  bandits  de  devenir  une  réalité  !  » 

Hélas  !  il  n'y  a  plus  en  France  ni  élévation  de  pensée, 
ni  de  pensée. 

Non,  monseigneur,  un  tel  langage  n'est  conforme  ni  à 
la  raison,  ni  à  la  dignité  de  la  chaire  française.  Vous  n'êtes 
pas  un  homme  de  passion  comme  nos  orateurs  de  carre- 
fours, et  il  ne  vous  sied  pas  d'injurier  dans  le  même  langage 
des  ennemis  criminels  sans  doute,  mais  non  pas  en  tout 
indignes,  vousle  savez,  de  notre  estime  et  de  notre  admiration.  ! 

Que  sont,  dans  la  vie  ordinaire,  ces  hommes  dont  vous 
parlez  avec  tant  de  colère  ?  Des  laboureurs,  des  marchands, 
des  savants,  des  ministres  de  paix  comme  vous.  La  guerre 
en  fait-elle  des  bandits  ?  Elle  en  fait  des  soldats  qui  obéis- 
sent à  leurs  chefs  légitimes  et  qui  meurent  pour  l'agran- 
dissement ou  le  salut  de  leur  patrie. 

—  92  — 


Vous  avez  vu  des  choses  terribles  et  pitoyables,  je  le 
sais;  de  jeunes  soldats  de  ce  glorieux  corps  auquel  vous 
appartenez  m'en  ont  raconté  quelques-unes  :  je  conçois 
votre  indignation,  et,  surtout,  votre  douleur  ;  mais  si  la 
colère  et  le  langage  de  la  colère  se  comprennent  dans  l'ac- 
tion, ils  sont  hors  de  leur  place  devant  de  paisibles  tombes. 

Dans  le  cimetière  que  parfument  les  voiles  de  deuil 
d'Hécube  ou  d'Andromaque,  j'ai  vu  les  sépultures  aban- 
données de  quelques  prisonniers  relevés  mourants  dans  les 
champs  de  la  Marne,  et  qu'il  n'a  pas  été  possible  de  guérir. 
La  terre  se  creuse  au-dessus  de  leurs  cercueils,  comme  si 
elle  refusait  haineusement  de  les  couvrir.  Elle  ne  s'y  pare 
que  des  plantes  qui  poussent  dans  les  lieux  maudits.  J'ai 
essayé  de  prononcer  là  le  mot  de  bandits;  je  ne  l'ai  pu. 
Vous  ne  l'auriez  pas  fait  davantage,  monseigneur,  parce 
que  vous  auriez  redouté  qu'un  jour  ne  vous  en  fissent 
reproche  les  mânes  de  ces  autres  héros  du  devoir  qui 
reposent  non  loin,  dans  la  même  terre,  et  qui  ont,  ceux-là, 
des  tombeaux  et  des  fleurs  sur  leurs  tombeaux.  Si  vous 
l'aviez  fait,  monseigneur,  les  pauvres  vieilles  femmes  qui 
vous  regardaient  avec  admiration  passer  sur  votre  beau 
cheval  blanc  vous  auraient  méprisé. 

Vous  jouez  un  beau  rôle  ;  vous  portez  des  habits  magni- 
fiques ;  vous  parlez  au-dessus  de  nos  têtes,  comme  Socrate 
suspendu  entre  ciel  et  terre  dans  son  panier  ;  il  convient 
que  le  ton  de  vo?  discours  soit  en  harmonie  avec  cette 
pompe  et  qu'il  se  ressente  de  votre  éL'vation.  Rien  de  plus 
aisé  pour  vous  qui  pouvez  lire  dans  leur  langue  tous  les 
grands  orateurs  et  poètes,  tant  sacres  que  profanes. 

Mais,  direz-vous,  ce  ne  sont  pas  les  soldats  allemands 

—  93  — 


que  vous  traitez  de  bandits  :  ce  sont  leurs  odieux  maîtres. 
Convient-il  à  un  homme  d'EgUse  de  parler  ainsi  des  conqué- 
rants lesquels  ne  sont  que  les  instruments  de  la  Providence  ? 
N'est-ce  pas  la  sage  tradition  de  l'Eglise  de  s'incliner  devant 
ceux  dont  les  mauvais  coups  réussissent  ?  Il  n'y  a  pas  si 
longtemps  que  le  Saint-Père  fit  le  voyage  de  Paris  pour 
sacrer  un  usurpateur.  Songez,  monseigneur,  que  si  par 
malheur  César  eût  ravi  la  couronne  de  France  et  que  votre 
éloquence  vous  eût  fait  en  même  temps  parvenir  à  la  dignité 
pontificale,  vous  eussiez  été  bien  gêné  en  lui  posant  la 
couronne  sur  la  tête. 

Je  supphe  votre  Grandeur,  monseigneur,  de  me  croire,! 
avec  toute  l'humilité  convenable  et  le  respect  que  je  doi^ 
à  votre  saint  masque. 

Votre  très  obéissant  et  très  fidèle  serviteur. 

*   *   * 

La  guerre  a  mis  beaucoup  de  cervelles  à  l'envers. 

Quelle  idée  certaines  gens  s'en  font-ils  ?  Pensent-ih 
qu'elle  introduise  quelque  chose  de  nouveau  dans  la  vie  ■ 
Quoi  ?  le  parjure  ?  la  rapine  ?  la  débauche  ?  Ou  aucun  de; 
maux  qu'elle  cause  :  la  disette,  les  infirmités,  la  mort  ? 

Tous  les  fléaux  forment  son  cortège  ;  elle  n'en  fait  pa' 
sortir  un  seul  de  l'Erèbc  :  ils  sévissent  perpétuellement  su 
la  terre.  Pour  l'oublier,  les  humains  font  tous  leurs  efforts 
Ils  y  réussissent  si  parfaitement  qu'ils  sont  frappés  de  stu 
peur  lorsque  l'un  d'eux  s'abat  sur  leur  tête.  Ils  s'emporten 
contre  l'injustice  du  ciel  qui  les  a  choisis  sans  sujet  pour  le 
persécuter. 

—  94  — 


Lorsque  la  guerre  éclate,  la  vérité  paraît.  On  tremble 
sous  la  menace  du  malheur  général.  Les  populations  en 
larmes  courent  aux  églises  dans  l'espoir  d'y  trouver  un 
abri  contre  la  foudre.  Le  danger  passé,  on  se  reprend  à 
oublier  ;  on  retourne  à  ses  plaisirs. 

Certes,  la  guerre  n'apporte  rien  de  nouveau  dans  le 
monde.  J'ose  même  penser  qu'elle  n'augmente  pas  le 
malheur. 

En  effet,  si  elle  multiplie  le  nombre  des  accidents,  elle 
ne  fait  pas  un  cœur  tendre  et  profond  de  plus  ;  c'est 
l'œuvre  de  la  nature  .  Or  il  n'y  a  pas  de  malheur  pour 
les  cœurs  ingrats,  et  les  cœurs  profonds  et  tendres,  en 
temps  de  paix  comme  en  temps  de  guerre,  se  consument 
d'une  affliction  perpétuelle. 

Chez  le  vulgaire,  le  sentiment  tient  aussi  peu  de  place 
dans  la  vie  que  la  pensée.  La  lanterne  magique  a  consolé  la 
majeure  partie  de  ces  grandes  douleurs  pour  lesquelles 
nous  avions  d'avance  tant  de  pitié. 

*    *    * 

Un  homme  du  peuple,  de  cette  partie  du  peuple  contre 
laquelle  on  lance  l'autre  pour  sauver  les  riches,  après 
m'avoir  conté,  au  coin  d'une  rue,  les  difficultés  de  sa  pro- 
fession, me  disait  :  «  Allez,  la  raison  finit  toujours  par  avoir 
le  dernier  mot.  » 

Cette  confiance  n'est-elle  pas  admirable,  chez  des  hommes 
qui  ne  la  puisent  que  dans  la  vigueur  de  leur  honnête 
instinct  et  qui  ne  pourraient  la  justifier  ni  par  l'histoire, 
ni  par  leur  expérience  personnelle  ? 

—  95  — 


La  raison,  en  effet,  n'a  jamais  le  dernier  mot.  Mais  il  est 
vrai  de  dire  qu'elle  est  la  reine  du  monde,  bien  qu'elle  règne 
sur  un  peuple  toujours  mutiné. 

N'y  a-t-il  pas  quelque  chose  de  divin  à  voir  comme  ce 
peuple,  au  fond  et  en  définitive,  juge  bien  de  tout,  malgré 
la  passion  et  l'impuissance  de  chacun  à  juger  de  lui-même 
aussi  hbrement  que  d'autrui  ?  Et  c'est  cette  opinion,  ce  bon 
sens  immortel  et  irréductible  du  juste  et  de  l'honnête  qui 
est  la  raison  souveraine  du  monde,  le  génie  même  de  l'hu- 
manité. 

Rebelles,  faites  votre  soumission  ou  soyez  assurés  du 
châtiment  infaillible.  En  des  temps  de  troubles  tels  que 
les  nôtres,  n'espérez  jamais  qu'elle  abdique  :  vous  l'avez 
chassée  de  sa  capitale  ;  mais  il  n'est  pas  en  votre  pouvoir 
de  la  bannir  de  son  royaume. 

Il  faut  bien  qu'elle  remonte  sur  le  trône  quand  les  mutins 
ont  épuisé  leurs  malices  ;  car  ils  sont  impuissants  dans  les 
grandes  nécessités,  et  le  danger  leur  fait  perdre  la  tête. 

Nous  avons  pu  apprendre  quelle  est  sa  puissance,  en 
cette  petite  ville,  aux  jours  inoubliables  de  la  panique, 
lorsque  tous  les  masques  étaient  dérangés  et  tous  les  esprits 
à  l'envers.  Une  parole  sensée,  un  trait  de  simple  éloquence 
rétablissait  tout.  Nul  n'en  connaissait  l'auteur  :  c'était 
une  humble  ménagère,  un  enfant. 

La  grande  cause  d'affliction  de  la  raison,  c'est  qu'elle 
devance  toujours  l'opinion  et  que  souvent  elle  n'est  pas 
entendue  assez  tôt  pour  que  le  mal  puisse  être  écarté. 

J'ai  entendu  de  pauvres  femmes,  dès  les  premiers  jours 
de  la  guerre,  prendre  toutes  les  dispositions  pour  que  tout 
fût  bien  réglé  dans  l'Etat,  et  avec  l'équité  la  plus  parfaite. 

-96  - 


h' 


Corot 


Dessin. 


Nos  maîtres  ne  se  trouveraient  pas  aujourd'hui  dans  un 
embarras  dont  il  leur  faudra  beaucoup  plus  d'esprit  pour 
sortir  qu'il  ne  leur  en  eût  fallu  pour  ne  pas  s'y  mettre,  s'ils 
avaient  pu  apprendre  de  ces  porteuses  de  cabas  que  la  pre- 
mière chose  qu'il  faut  pour  gouverner  habilement,  c'est 
que  tout  le  monde  s'incline  devant  la  justice. 

Ah!  pourquoi  n'épousent-ils  pas  de  ces  bonnes  femmes 
qui  serviraient  si  bien  la  patrie  en  leur  donnant  de  sages 
conseils  ?  Mais  non  :  ils  veulent  être  des  Roméos  ! 

*    *    * 

La  sincérité  n'est  pas  une  chose  fort  commune.  La  plu- 
part des  gens  ne  sont  que  des  imitateurs  ou  des  simulateurs. 
Nous  n'avons  pas  eu  besoin  de  ces  deux  années  de  guerre 
pour  nous  en  apercevoir  ;  mais  la  guerre  nous  a  fourni  de 
belles  illustrations  de  cette  vérité,  comme  de  toutes  les 
autres,  lorsque  tant  de  gens  se  sont  mis  à  feindre  les  vertus 
qu'ils  ignorent  et  qu'ils  méprisent. 

A  quoi  rime,  dites-moi,  cet  étalage  de  bon  cœur,  dans 
une  nation  aussi  peu  tendre  que  la  nôtre  ? 

('  Cruelle  !  disait  à  sa  dam.e  un  amant  malheureux  ;  que 
vous  sert  de  vous  parer  du  voile  de  la  charité  ?  Quel  mérite 
y  a-t-il  à  verser  le  baume  sur  des  souffrances  dont  vous 
n'êtes  pas  la  cause,  quand  vous  n'avez  aucune  compassion 
pour  vcs  propres  victimes  ?  » 

Je  ne  parle  pas  seulement  des  grandes  vertus  que  l'on 
ne  regarde  pas  géntralcment  commue  le  partage  de  tous, 
mais  des  sentiments  crdinaires.  Ils  ne  sont,  comme  tous  les 
autres  dons  moraux,  que  celui  d'un  petit  nombre  de  créatures. 

—  97  — 


Les  poètes,  les  grands  poètes  seuls,  qui  connaissent  les 
beaux  sentiments  et  savent  les  peindre,  soit  qu'ils  les  éprou- 
vent eux-mêmes  ou  qu'ils  les  observent  chez  d'autres, 
composent  des  traits  de  la  vérité  de  beaux  et  nobles  masques 
dont  le  vulgaire  s'affuble  et  qu'il  porte  comme  il  peut,  ordi- 
nairement de  façon  à  se  rendre  un  objet  de  risée  pour  les 
connaisseurs. 

Ces  beaux  masques  de  théâtre  sont  le  visage  même  de  la 
raison,  de  l'auguste  reine  du  monde  :  et  c'est  le  bon  goût 
d'un  peuple  en  fait  de  masques  de  théâtre  qui  témoigne 
de  sa  haute  civiUsation. 

On  nous  dit  que  nous  sommes  les  champions  de  la  civili- 
sation... 

Ah  !  que  le  masque  d'Athènes  était  beau  !  Que  les  Grecs 
avaient  de  talent  !  Quels  masques  admirables  sont  sortis 
des  mains  d'Homère  !  La  grandeur  d'âme  d'Achille  ;  la 
tendresse  d'Hécube  et  son  deuil  ;  la  constance  de  Pénélope 
et  l'amour  d'Ulysse  pour  son  rocher  natal  ;  l'hospitalité 
d'Eumée  ;  la  pudeur  de  Nausicaa.  Et  des  mains  de  Sopho- 
cle :  la  pureté  d'Œdipe  ;  l'humanité  de  Thésée  ! 

Quels  ornements  inestimables  de  la  vie  !  Quels  agréables 
prestiges  pour  dissimuler  l'impuissance  du  cœur  humain  ! 

Emile  Godefroy 


-98- 


L'HOMME    NE    VIT    PAS    SEULEMENT    DE    PAIN 


LE  POETE  ET  L  ETAT 

On  sait  par  des  exemples  trop  lamentables  pour  qu'il 
soit  nécessaire  de  les  rappeler,  que  la  carrière  des  lettres 
est  celle  qui  conduit  le  plus  sûrement  à  la  misère. 

Bien  entendu,  la  règle  n'est  pas  absolue  ;  il  y  a  des 
exceptions  :  c'est  le  propre  de  toutes  les  règles. 

Mais  si  nous  disons  que  le  jeune  débutant  en  littérature, 
et  spécialement  le  poète,  rencontre  des  difficultés  sans 
nombre,  qui  s'en  étonnera  ? 

Laissons  de  côté  les  bonnes  gens  pour  qui  toutes  choses 
sont  distribuées  suivant  les  principes  d'une  admirable 
équité  et  dans  un  ordre  providentiel.  Renvoyons  ces 
éternels  applaudisseurs  à  leur  lecture  préférée  :  celle  des 
rapports  élaborés  par  les  administrations  et  les  Instituts. 
Ils  n'y  trouveront  que  des  motifs  de  se  déclarer  satisfaits. 
L'Etat,  grâce  à  ces  organes  officiels,  distille  le  narcotique 
du  doux  optimisme. 

Mais,    objectera-t-on,    que    reprocher    à    l'Etat,    sorte 

—  99  — 


B^'BllOTHeCA     j 


d'assemblage  monstrueux,  pesant,  aveugle  et  sourd  ? 
Est-ce  à  l'Etat  à  se  préoccuper  des  poètes,  puisque  c'est 
d'eux  qu'il  s'agit  ?  Demanderez-vous  à  l'Etat  de  leur 
reconnaître  des  qualités  et,  les  ayant  reconnues,  de  leur 
prodiguer  certaines  marques  d'estime  et  de  les  entourer 
de  certains  honneurs  ? 

—  Oui,  précisément,  nous  le  lui  demandons.  Nous 
Toulons  que  l'Etat  cesse  enfin  d'être  ce  monstre  sans  dis- 
cernement, ce  catoblépas  qui  se  délecte  dans  sa  propre 
sottise.  Nous  croyons  que  la  sollicitude  de  l'Etat  doit 
s'étendre  aux  poètes,  qui  enrichissent  le  domaine  spirituel 
d'une  nation,  de  même  que  d'autres  citoyens  l'embellissent 
par  l'accroissement  de  sa  richesse  matérielle.  Que  chacun 
soit  à  sa  place  :  le  plus  haut  intérêt  de  l'Etat  y  est  attaché  ; 
qu'il  exerce  sur  ce  point  sa  vigilance. 

Ce  monstrueux  assemblage  dont  vous  parlez  ne  présente 
de  difformité  que  par  un  défaut  de  proportion  auquel  il  est 
indispensable  de  remédier  sans  retard.  Quel  est  le  corps 
qui  pourrait,  dans  des  conditions  aussi  anormales,  non  pas 
seulement  vivre,  car  il  est  des  monstres  qui  vivent,  mais 
agir  ?  Or,  à  quoi  équivaut  l'existence  végétative,  immobile 
et  lourde,  comparée  à  celle  qui  est  tout  action,  mouvement 
et  pensée  ? 

Et  ne  me  citez  pas,  en  vous  récriant  et  en  croyant  m'em- 
barrasser,  les  noms  des  poètes  récompensés  par  nos  pou- 
voirs publics  ou  nos  académies.  Ne  me  faites  pas  rire.  J'ai 
peut-être  le  tort  de  considérer  comme  une  affaire  très 
sérieuse  cette  question  de  la  condition  du  poète  dans  la  vie 
nationale.  Il  en  va  d'ailleurs  tout  autant  de  la  condition 
de  n'importe  quelle  catégorie  de  citoyens  utiles  ;  mais  là 

—   100  — 


n'est  point  mon  objet.  Dans  tous  les  cas,  aux  noms  que 
vous  m'avez  cités  je  réponds  par  ceux  de  Paul  Verlaine 
et  de  Jean  Moréas. 

Je  vous  entends  me  dire  :  Au  lieu  de  toujours  compter 
sur  l'Etat,  pourquoi  ne  pas  en  appeler  directement  aux 
particuliers?  \'^os  œuvres  leur  parleront  pour  vous;  de 
cette  façon  l'indépendance  du  poète  vis-à-vis  de  l'Etat 
aurait  bien  des  chances  d'être  sauvegardée  ? 

—  Et  croyez-vous  qu'elle  soit  en  danger  lorsque  le  poète 
la  veut  conserver  tout  entière  ?  Perdre  son  indépendance  ! 
C'est  un  bruit  que  font  courir  ceux  qui  n'en  ont  jamais  eu. 

D'ailleurs  ne  jouons  pas  sur  les  mots  et  ne  renversons 
pas  les  rôles. 

L'Etat  représente  la  somme  des  intérêts  particuliers 
comme  la  poésie  représente  l'extrême  perfection  des  biens 
intellectuels  :  ce  sont  deux  puissances  qui  se  doivent,  à 
ce  titre,  de  contracter  alliance,  mais  il  ne  saurait  leur 
convenir  de  traiter  autrement  que  d'égal  à  égal. 

Au  reste,  savez- vous  si  les  particuliers  feront  bon  accueil 
au  poète  ?  J'en  crois  pouvoir  douter.  Ils  le  repousseront, 
je  l'affirme,  s'ils  ne  découvrent  en  lui  les  signes  rassurants 
auxquels  ils  reconnaissent  la  valeur  de  tout  repos,  la  mar- 
chandise étiquetée,  classée,  et  enregistrée  dans  les  réper- 
toires officiels. 

C'est  à  de  telles  gens  que  les  romantiques  appUquaient 
1  epithète  à' épiciers.  Pour  eux,  en  effet,  la  poésie  même  est 
une  denrée  :  sans  égard  à  sa  qualité,  elle  leur  parait  esti- 
mable d'après  la  marque  qu'elle  porte  ;  elle  fait  leurs 
délices  lorsqu'elle  joint  à  cet  avantage  celui  du  bon  marché, 
qui  lui  assure  un  beau  débit  et  la  faveur  des  petites  bourses. 

—  lOI  — 


II 


L  UNIVERSITAIRE 


Pour  être  un  excellent  universitaire  de  l'espèce  en  ces 
temps-ci  la  plus  brillante,  il  n'est  pas  inutile  de  mépriser 
les  poètes,  et  il  est  profitable  de  s'engager  dans  quelque 
coterie  démagogique. 

S'il  en  est  un  par  hasard  qui  aime  la  poésie  et  qui  soit 
indifférent  au  suffrage  des  foules,  il  ne  pourra  que  végéter 
dans  une  morne  et  grisâtre  pénombre,  uniquement  occup<'' 
de  s'instruire  et  d'enseigner  aux  autres  ce  qu'il  aura  appris. 
Enfermée  dans  ces  limites,  la  tâche  du  professeur  est  grande  ; 
mais  il  faut,  pour  l'accomplir,  un  peu  de  cette  flamme  qui 
embrase  les  apôtres  et  consume  les  martyrs. 

Soit  qu'il  nous  souvienne  que,  pendant  des  siècles,  le 
droit  d'enseigner  fut  le  privilège  des  prêtres,  soit  que  la 
transmission  du  trésor  des  connaissances  humaines  aux 
jeunes  générations  nous  apparaisse  comme  un  acte  d'un 
caractère  sacré,  notre  esprit  maintient  au  professorat  les 
attributs  d'une  fonction  sacerdotale. 

Ajoutons  que  les  conditions  de  recrutement,  le  mode  de 
formation  du  prêtre  et  du  professeur  sont,  en  quelque 
sorte,  identiques.  Une  pieuse  ferveur,  une  intelligente 
précocité  signalent  les  prédestinés  au  choix  du  supérieur 
ecclésiastique  ou  du  maître  laïque.  Dès  lors,  ils  sont  élevés 
aux  frais  de  l'Etat,  de  diverses  collectivités  ou  de  particu- 
liers. Les  séminaires,  les  écoles  normales,  les  facultés,  sont 
les  lieux  arides  où  paissent  ces  ouailles.  Elles  y  reçoivent 

—   102   — 


une  empreinte  spéciale  à  quoi  on  les  reconnaît  dans  la  vie, 
et  qui  ne  s'efface  jamais. 

L'Eglise  et  l'Université  ont  chacune  leur  dogme.  Et 
l'esprit  de  doctrine  amène  tout  naturellement  à  l'esprit 
de  domination.  La  religion  universitaire  déclare  qu'elle  est 
en  possession  de  la  vérité,  et  condamne  tous  ceux  qui  la 
recherchent  en  dehors  d'elle. 

A  ne  la  considérer  que  dans  un  seul  domaine,  celui  de  la 
littérature,  voyez  comme  elle  s'agite.  Elle  fait  comparaître 
à  son  tribunal  Ronsard,  Racine,  La  Fontaine,  et  tous  les 
auteurs  français  ;  elle  les  juge  et  prononce  des  sentences. 
EUe  prétend  dresser,  pour  le  présent  et  l'avenir,  l'inflexible 
canon,  d'après  lequel,  comme  articles  de  foi,  telles  œuvres 
seront  admises  et  telles  autres  seront  rejetées. 

Quel  ouvrier  êtes-vous  ?  demandons-nous  au  moindre 
manœuvre  qui  se  présente  pour  exécuter  un  travail.  Avez- 
vous  donné  des  preuves  de  votre  habileté  ? 

Et  à  vous,  professeur,  nous  disons  :  Comment  !  vous 
regardez  Racine  face  à  face  !  vous  passez  de  l'indiscrétion 
à  la  familiarité  !  vous  lui  faites  la  leçon  !  Votre  ignorance 
vous  excuse  ;  ce  n'est  point  une  raison  pour  en  abuser. 

Voilà  pourtant  le  pénible  spectacle  auquel  nous  assistons 
depuis  que  l'Université, renonçant  à  la  manière  didactique, 
constitutive  de  son  propre  fonds,  lui  a  substitué  la  critique 
dont  elle  semble  vouloir  exercer,  à  elle  seule,  la  magistra- 
ture. 

On  vient  me  dire  :  Pourquoi  déniez-vous  à  l'universitaire 
ce  droit  de  critique  qui  appartient  à  tous  ?  C'est  «  un  droit 
qu'à  la  porte  on  achète  en  entrant  »,  au  théâtre,  ou  chez 
le  libraire.  Peut-être,  mieux  qu'un  autre,  l'universitaire  est 

—  103  — 


en  mesure  de  donner  un  judicieux  avis  ;  tout  paraît  l'y 
avoir  préparé  ;  il  en  apporte  les  preuves  :  des  années 
d'application  à  l'étude  des  textes,  sous  la  direction  de 
maîtres  chevronnés,  des  brevets,  des  diplômes  et  les  palmes 
de  l'Académie. 

Vos  preuves,  répondrai-je,  sont,  à  mes  yeux,  des  plus 
fragiles  ;  ne  nous  y  appuyons  pas.  Si  par  le  savoir  d'un 
disciple  je  conjecture  celui  du  maître,  je  ne  me  laisse  pas 
éblouir.  Et  j'en  arrive  là,  précisément,  que  ce  qui  les  rend  si 
faibles,  les  uns  et  les  autres,  c'est  qu'ils  sont  nourris  du 
même  suc  indéfiniment  ruminé. 

Quant  au  droit  de  critique,  prenons  garde  à  la  complexité 
de  la  question.  S'agit-il  d'exprimer  une  libre  opinion  sur 
quelque  sujet  que  ce  soit,  en  rapport  direct  avec  la  vie,  de 
formuler  un  sentiment  de  plaisir  ou  de  déplaisir  à  l'égard 
de  ce  qui  tombe  sous  nos  sens  ?  J'en  suis  d'accord,  ce  droit 
n'a  d'autres  bornes  que  la  sottise,  c'est-à-dire  qu'il  est 
illimité. 

Le  champ  d'action  de  la  critique,  tel  que  nous  venons 
de  le  tracer,  est  donc  bien  vaste  :  il  embrasse  généralement 
tout  ce  qui  est  matière  d'humanité. 

Mais,  dans  l'ordre  spirituel,  il  est  une  région  supérieure 
et  quasi  divine,  un  empyrée  où  se  sont  élevés  les  grands 
écrivains.  A  ces  hauteurs  subhmes,  ayant  dépouillé  leur 
enveloppe  de  boue  et  de  cendre  pour  revêtir  un  manteau 
de  lumière,  immenses,  multiformes,  ils  échappent  à  la 
commune  mesure. 

Ne  pas  le  sentir,  ne  pas  apercevoir  ces  héros  dans  leur 
gloire,  c'est  ne  pas  avoir  la  fierté  d'appartenir  à  leur  race, 
l'orgueil  de  tenter  après  eux  le  chemin  ;  c'est  préférer  à  la 

—  104  — 


joie  salubre  des  cimes  le  poison  des  marécages,  c'est  aimer 
la  bassesse  et  la  reptation  par  impuissance  de  se  dresser 
noblement  vers  l'azur. 

La  plupart  des  critiques,  surtout  des  critiques  univer- 
sitaires, manquent  de  la  première  des  qualités  indispen- 
sables pour  aborder  nos  grands  auteurs  avec  les  marques 
de  respect  qui  leur  sont  dues.  Ils  n'ont  pas  le  sens  de  l'admi- 
ration. Et,  en  effet,  pour  admirer  il  faut  comprendre,  et 
pour  comprendre  il  faut  égaler.  Nous  avons  ainsi  atteint 
le  point  délicat  de  la  question. 

Le  rôle  du  professeur  est  défini  par  l'objet  même  de  sa 
mission,  qui  est  d'enseigner,  et  l'enseignement  est  une 
sorte  de  révélation.  Arrière  celui  qui,  dépositaire  occasion- 
nel d'une  parcelle  de  beauté,  veut  muer  ce  diamant  en 
charbon,  en  le  soumettant  à  une  grossière  analyse  !  Vis-à-vis 
des  écrivains,  sur  lesquels  il  a,  sans  plus,  la  charge  de  nous 
renseigner,  il  n'appartient  pas  au  professeur  de  s'ériger 
en  juge. 

Chez  les  peuples  les  plus  cultivés  il  est  admis  que  les 
hommes  éminents  jouissent  de  certaines  prérogatives,  et, 
s'il  y  a  lieu  de  leur  faire  leur  procès,  ils  sont  déférés  à  une 
juridiction  spéciale  où  siègent  leurs  égaux  en  titres  ou  en 
dignités. 

Plus  encore  que  pour  les  vivants  nous  nous  devons,  à 
l'égard  des  morts,  d'observer  cette  procédure,  inspirée  par 
un  sentiment  de  haute  convenance.  Et,  puisqu'on  nous 
oblige  à  le  dire,  quelle  singulière  impertinence  que  les 
poètes,  que  Ronsard,  que  Racine,  que  La  Fontaine  puissent 
être  jugés  par  d'autres  que  leurs  pairs  ! 

Je  compare  à  la  domesticité  d'un  \'ieux  manoir  certains 

—  105  — 


universitaires  quand  ils  parlent  des  grands  classiques.  Les 
châtelains  sont  absents  ;  on  croit  même  qu'ils  ne  revien- 
dront plus  dans  la  contrée,  et  peu  à  peu  le  personnel  a  pris 
ses  aises.  Chacun  s'est  logé  à  sa  guise  dans  les  beaux  appar- 
tements. Aussitôt  glissé  dans  les  draps  du  maître,  le  valet 
s'est  senti  chez  lui  et  l'a  fait  comprendre.  Parfois,  attirés 
par  l'antique  renommée  du  château,  des  voyageurs  passent 
et  sont  curieux  de  visiter  le  donjon,  la  tourelle  et  la  chambre 
qui  fut  un  jour  celle  d'un  roi.  Scapin  les  reçoit  en  proprié- 
taire, recueille  tant  bien  que  mal  ses  souvenirs,  et  guide  les 
étrangers  en  les  accablant  de  discours  abondants  et  niais. 
Mais  il  a  beau  faire  ;  il  ne  peut  s'empêcher  de  laisser  passer 
quelques  traits  qui  le  découvrent.  A  l'entendre  parler  de  ce 
qui  est  grand  on  s'aperçoit  de  sa  platitude.  Il  s'attache  à 
l'anecdote  et  se  complaît  à  lancer,  à  la  dérobée,  quelque 
venin.  Il  n'épargne  pas  ses  maîtres.  Le  parfum  de  l'office 
imprègne  tous  ses  propos. 

Il  fut  un  temps  où  une  vigoureuse  bastonnade  avait  rai- 


son de  telles  incongruités. 


Raymond  de  La  Tailhède 


—    K^J 


LE  BUVEUR  ET  LA  GUERRE 

Ode  Allégorique. 

Afin  qu'aux  grands  jours  Sylvain 
Mes  fûts  remplisse  d'un  vin 
Qui  sur  le  nectar  précelle, 
J'élève  à  l'aimable  dieu 
Un  petit  temple  en  haut  lieu 
Joint  de  ma  propre  truelle. 

Je  te  chante,  dieu  charmant. 

Mais  de  quel  noble  instrument 

Réjouir  ta  docte  oreille  ? 

Quels  sons  ?  vent  ?  corde  ?  assez  hauts 

Pour  réveiller  aux  caveaux 

Une  poudreuse  bouteille  ? 

Je,  tout  petit  vigneron. 
Qui  me  plais  à  voir  en  rond 
Tourner  la  danse  des  choses, 
Déclare  du  chalumeau 
Me  contenter  sous  l'ormeau 
Pour  parler  de  l'aube  aux  roses  : 
—  107  — 


Mais  d'avoir,  autre  Amphion, 
La  lyre  en  main,  d'Ilior 
Ressuscité  les  murailles, 
Plus  de  gloire  je  prétends 
Que  d'avoir  fait  des  Titans 
Dans  Phlègre  les  funérailles  ! 


Au  gré  donc  du  sentiment 
Qui  promène  en  ce  moment 
Ma  verve  du  doux  au  grave, 
Chantons,  Muse  du  Sixain  ! 
Passons  du  luth  au  buccin  : 
De  l'air  et  loin  toute  entrave  ! 


Vois  :  Faune,  Apollon,  les  Jeux 

Ont  pour  nous  de  bois  ombreux 

Couronné  le  paysage. 

Ici  l'on  danse,  égipans. 

Et  vous,  hé  !  les  pans  frappants 

La  place  d'un  pied  sauvage  ! 


lo  Sylvain  !  Quoi,  tu  veux 
Que  je  danse  et  mes  cheveux 
Sont  lourds  de  larmes  encore 
J'obéis  :  vois  si  mon  pas 
Désoblige  en  son  compas 
La  grand'preuse  Terpsichore  ? 
—  io8  — 


Tu  souris  ?   Doux  médecin, 
O  chasse  alors  de  mon  sein 
D'un  vieux  venin  le  vieux  reste  ! 
O  le  vomir,  cet  amour, 
Que,  délogé  sans  retour. 
S'éteigne  à  terre  la  peste 


Sans  partage  désormais 
Je  suis  à  toi  :  sous  ton  faix 
Vois,  dieu  charmant,  je  chancelle  ! 
Descends  en  moi,  mon  vainqueur  ! 
Quelle  carrière  un  tel  cœur 
Pour  ta  rapide  étincelle  ! 


Voile...  ô  toi,  de  l'Inconnu 
T'écarte,  airain  sous  qui  nu 
Le  Bien  et  le  Mal  du  monde 
D'oubli  dort  couple  enivré... 
A  dos  de  bouc-dieu  j'irai 
Dans  leur  lac  jeter  ma  sonde  ! 


Ma  coupe  donc,  à  nous  deux  ! 
Volons,  volons  chez  les  dieux 
Dans  les  vapeurs  du  Falerne  : 
De  ma  n^^mphe  errants  esprits. 
Tout  droit,  tout  droit  aux  lambris 
Où,  barbu  d'or,  Zeus  hiverne  ! 
—  109  — 


A  bon  port  !   Ouf  !   Dieux,   c'est   moi 
Place,  Zeus  !  Du  bout  du  doigt 
J'ébranle  au  loin  les  planètes. 
A  moi,  Temps,  le  sablier  ! 
A  toi,  Sylvain,  un  dernier 
Coup  de  vin  !  Bon  !  Places  nettes  ! 


Etre  dieu,  dieux  !  que  c'est  bon  ! 
Voir  comme  un  pur  rien  du  fond 
De  notre  chaise  curule 
Ce  globe  où...  ce  petit  point... 
Vrai  ?  je  fus  homme  en  un  com 
De  ce  canton  ridicule  ?... 


Goûtons,   ô   ravissement  " 
De  ce  vaste  firmament 
La  tranquillité  sublime  : 
Quelle  paix  !   l'âme  n'entend 
Que  ce  silence  chantant, 
Hôte  éternel  de  l'abîme  ! 


Mais  quel  bruit  !   Les  éléments 

Du  Styx  rués  tout  fumants 

Vont-ils  dévorer  la  terre  ? 

Déesse  qui  le  canon 

Prends   pour   coursier,    dis   ton    nom 

Infernal  ?   —  «  Mon  nom  ?  la  Guerre 

—   110  — 


Je  viens  t 'annoncer  la  Mort, 
Vile  amante  du  Veau  d'or, 
Japétique    bélitraille  ! 
Expie,  expie  aujourd'hui 
L'orgueil  où  ton  dieu  t'induit  : 
Oins  le  monstre,  il  te  mitraille  ! 


Là,    tout    beau,    tout    beau,    Sylvain  ! 
Encore  un  coup  de  vieux  vin 
Et  nous  revoilà  tranquille  : 
Aux  cris  des  gladiateurs 
M'endors,  père,  en  tes  hauteurs 
Comme  en  un  torrent  quelque  île  ! 


Mais  quoi.  Vin,  j 'entends  encor, 
D'Attila  là-bas  le  cor 
Répondre  aux  sanglots  des  mères  ! 
Plus  haut,  Vin  !  Qu'en  roc  changé, 
Un  cri  d'enfant  égorgé 
N'étonne  plus  mes  viscères  ! 


Mais  non  !  si  haut  qu'en  les  glas 
Monte  un  vin  d'où  nos  tracas 
A  mes  yeux  ne  sont  plus  qu'ombre, 
L'aigre  méditation. 
Homme,  de  ta  passion 
Au   sein  des  dieux   me   rend   sombre... 
—  III  — 


D'Hercule  sur  le  bûcher 

Je  vois  la  flamme  approcher  ; 

Au  volontaire  Anathème 

Je  vois  la  Croix  peser  lourd 

Et  sous  le  bec  du  vautour 

Je  vois  saigner  un  flanc  blême... 

Dans  le  présent  triste  et  noir 
Je  lis  comme  en  un  miroir 
Tout  un  avenir  d'alarmes  : 
Sur  le  monde  s'élançant, 
Tout  ce  déluge  de  sang 
Le   payeront    quelles   larmes  !' 

Mourons  donc  !  Que  le  tombeau 
Te  couvre  d'ombre,   ô  tableau 
Qui  m'abreuvas  d'épouvante  ! 
Mais  non  !  l'éternelle  Nuit, 
Quand  le  sentiment  m'y  suit. 
Quels  supplices  il  invente  ! 

Voir  l'homme  né  dans  les  pleurs 
Fournir  aux  m.ains  des  douleurs 
Sa  carrière  de  désastres, 
Immolé  sur  quel  autel  ! 
Ah  !    courons   ceindre,    immortel, 
L'aveugle  bandeau  des  astres  ! 

Maurice  du  Plessys 


112 


Collection  Hahvorseii 


Constantin  Gu^s 


Aquarelle. 


SUR  LES  ROUTES  DE  LA  MER 


Souvenirs    d'un    convoyeur    de    l'Armée    d'Orient 

Est-ce  bien  l'heure  de  prendre  la  plume  pour  tenter  de 
voir  clair  en  soi,  pour  donner  un  contour  à  des  figures 
imprécises  ?  S'évader  du  champ  des  impressions  fragmen- 
taires et  fugitives,  il  le  faudrait  pourtant  aujourd'hui. 
Demain  peut-être  il  ne  sera  plus  temps.  Et  puis,  un  des 
effets  de  la  tourmente  ne  sera-t-il  pas  de  fournir  à  la  paresse 
de  ceux  dont  elle  aura  épargné  la  maison  un  prétexte  à 
laisser  en  friche  des  jardins  dévastés  ? 

Mais  qui  sait  vraiment  si  mes  souvenirs  ne  sont  point 
simplement  de  pauvres  choses  dont  la  satisfaction  de  les 
avoir  cueiUies  moi-même  et  la  fraîcheur  faisaient  tout  le 
prix  ?  Ne  vaudrait-il  pas  mieux  laisser  le  temps  agir,  si  des 
visions  rapides  que  je  garde  de  mes  voyages  en  Méditer- 
ranée doit  sortir  plus  tard  une  leçon  ?  Pour  le  moment,  les 
ports,  les  courses  sur  la  mer  déserte,  les  terres  qui  passent, 
les  appels  de  la  sirène,  les  sons  de  cloche  dans  la  brume,  les 
alertes,  je  crains  que  tout  cela  ne  forme  guère,  dans  ma 
mémoire,  qu'un  ensemble  de  bruits,  d'ombres  et  de  lumières 
que  le  recueillement  saurait  peut-être  organiser. 

—  113  — 


f  Si  encore  l'inattendu  de  la  situation  ne  m'avait  pas 
dérouté  ?  Ce  n'est  pas  d'un  transport  de  guerre,  parmi  les 
chevaux,  les  canons,  les  tirailleurs  jouant  aux  cartes,  que 
nous  avions  rêVé  de  saluer  un  jour  les  bords  où  naquit  la 
beauté  que  nous  aimons.  Distributions,  service  de  veille, 
communiqués,  rencontres  et  incidents  de  mer,  voilà  ce  qui 
nous  occupe  sur  le  navire.  A  l'approche  de  ces  terres 
grecques,  quelquefois  à  peine  entrevues  d'ailleurs,  je  n'ai 
point  perçu  les  appels  espérés,  et  l'indifférence  de  ces 
artilleurs  de  Savoie,  au  milieu  desquels  pour  la  première  fois 
je  vis  le  cap  Sunium  et  qui,  le  cœur  plein  du  souvenir  de 
leurs  montagnes  vertes,  demeuraient  froids  devant  ces 
roches  inhospitahères  qui  passaient,  ne  m'a  point  étonné, 
puisque  j'éprouvais  moi-même  plus  de  curiosité  que  de 
ferveur. 

Pourtant,  hier  encore,  dans  le  grand  large,  devant  le 
spectacle  de  cette  matière  aveugle  s'épuisant  en  inutiles 
agitations,  on  se  sentait  prêt,  mesurant  toute  la  grandeur 
des  efforts  de  l'homme  sur  la  terre,  à  aimer  ses  plus  miséra- 
bles travaux. 

Ce  matin  des  taches  grises  émergent  de  l'horizon.  Terres  ? 
Vapeurs  ?  «  Matapan  »,  crient  les  marins  ;  dans  mon  cœur 
aucun  écho  ne  dit  «  la  Grèce  ».  Qu'importe  ?  Tout,  plutôt 
que  cette  mer  muette  et  désordonnée  où  je  ne  me  plais  que 
lorsque  la  nuit  la  dérobe  à  mes  yeux  et  que  le  grand  navire 
file  tous  feux  éteints  comme  une  bête  frémissante  et 
silencieuse,  cette  mer  où  nul  mouvement  ne  s'accorde  avec 
les  rythmes  que  la  Grèce  justement  nous  apprit  à  aimer,  où 
ne  se  dessinent  point  ces  belles  courbes  sonores  qu'imprime 
aux  flots  le  voisinage  de  la  terre.  Ah,  la  terre  !  La  bonne 

—  114  — 


terre,  boueuse,  revêche  si  l'on  veut,  mais  la  terre  à  qui  nous 
appartenons  comme  elle  nous  appartient  et  que  ne  rappel- 
lent point  ces  sillons  infertiles  dont  parlait  le  vieil  aède 
amoureux  d'efforts  utiles  et  harmonieux. 

Cependant  les  taches  grandissent,  s'animent  de  quelque 
couleur.  Mais  dans  le  lointain,  les  îles,  les  golfes,  les  caps  ne 
forment  qu'une  hgne  droite  et  continue.  Toutefois  des 
points  se  détachent  que  je  puis  enfin  repérer  sur  la  carte. 
Et  voici  mon  premier  étonnement  :  de  ces  rivages  que  les 
rêves  des  poètes  me  laissaient  pressentir  accueillants  et 
gracieux,  je  ne  vois  monter  que  tristesse  et  sévérité.  Sur 
ces  masses  bistrées,  aux  arêtes  sèches,  que  figurent  les 
Cyclades,  je  ne  retrouvai  rien  non  plus  des  promesses  que 
m'avaient  faites  la  lumière  heureuse  et  la  douceur  argentée 
des  \'isions  de  Puvis.  Pourtant,  vers  le  milieu  du  jour,  j'eus 
de  la  joie  à  voir  l'horizon  circulaire,  dont  elles  semblaient 
épouser  la  courbe,  se  peupler  de  leurs  profils  vermeils. 

Mais  bientôt  la  pointe  de  l'Attique,  nue  et  déchirée  par 
les  stries  d'un  minerai  verdâtre,  assombrie  par  la  fumée 
de  quelques  pauvres  usines,  allait  m'offrir  le  plus  morne 
spectacle,  que  la  vue  des  colonnes  lointaines,  roses  au 
coucher  du  soleil,  sur  le  promontoire  fameux,  ne  parvint 
pas  à  adoucir. 

C'est  à  Lemnos  pourtant  que  je  devais  connaître  le  der- 
nier terme  de  la  désolation.  Nulle  part  la  solitude  n'est  plus 
affreuse  :  par  un  jeu  de  la  nature,  elle  se  montre  ici,  dans  un 
cercle  de  colhnes,  le  plus  pur  peut-être  qu'on  puisse  voir, 
soumise  aux  lois  de  la  perfection.  Leurs  lignes  semblent 
suivre  un  rythme  et  se  fermer  de  manière  à  commander 
le  silence  et  serrer  le  cœur.  Terre  la  plus  propre  à  faire  du 

—  115  — 


misérable  que  le  cruel  Ulysse  y  jeta,  avec  ses  seules  flèches 
pour  se  défendre  des  bêtes  sauvages,  «  un  mort  parmi  les 
vivants  ^\ 

Après  Moudros  ce  fut  la  mer  encore.  Puis  des  sommets 
couverts  de  neige,  qui  ressemblent  à  nos  monts  d'Occident  : 
un  demi-salut  à  l'Olympe,  tranquille  sous  son  manteau 
blanc  et  azur,  un  demi-salut  seulement  parce  que  la  pre- 
mière fois  on  a  peur  de  se  tromper,  et  bientôt  on  jette 
l'ancre  dans  la  rade  de  Salonique.  Autour  de  nous,  une 
vaste  plaine  d'eau  verte  que  prolongent  des  pentes  de  terre 
brune  au  delà  desquelles  reposent  les  montagnes  neigeuses. 
Des  camps  de  marabouts  se  gîtent  au  creux  des  collines, 
et  des  villages  s'allongent  sous  le  soleil  comme  des  champs 
de  fleurs.  Les  molles  inflexions  du  sol  disent  la  paresse  de 
l'Orient  et  conduisent  l'œil  au  centre  où  la  ville  s'étage  sur 
le  coteau. 

La  première  fois  que  je  la  vis,  elle  se  dessinait  sans  rehef 
par  l'effet  de  la  brume,  évoquant,  avec  ses  tons  de  tapisserie 
fanée,  avec  l' aiguille  blanche  de  ses  minarets,  ses  maisons 
peintes  et  la  couronne  de  ses  forteresses  turques,  un  Car- 
paccio  amorti  et  voilé.  Mais  dans  les  claires  journées  d'hiver, 
quand  le  couchant  avivait  le  bleu,  le  rose,  le  jaune  de  ses 
façades,  je  pensais  à  des  visages  fardés  et  plats  de  femmes 
d'Orient. 

^f  L'Orient  !  Mirage  si  puissant  que  tout  de  suite  le  nom  de 
Salonique  a  pu  prendre  place  dans  la  mémoire  du  vigneron 
de  Toiiraine  comme  du  berger  des  Alpes  à  côté  des  noms  de 
Verdun  et  d'Arras,  et  leur  faire  espérer  que  ses  vieilles 
murailles  crénelées  enfermaient  le  charme  capable  d'ouvrir 
enfin  la  porte  où  les  gars  de  France  ensanglantent  leurs 

—  ii6  — 


doigts.  Dirai-je  qu'avec  le  grouillement  de  ses  foules  emplis- 
sant de  leurs  cris  ses  rues  nouvelles  d'où  sont  bannis  les 
bonnes  odeurs  et  le  bon  goût,  avec  le  calme  rustique  de  ses 
vieux  quartiers  sordides,  elle  ne  m'a  point  paru  adaptée  au 
destin  que  nos  rêves  lui  avaient  préparé  ?  Rien  en  elle  ne 
m'a  rappelé  la  Grèce,  rien  sauf  les  enseignes  barbares  des 
boutiques  et  l'offrande  que  sur  le  port  neuf  l'hellénisme 
pédantesque  d'un  constructeur  bavarois  voulut  dédier,  à 
Déméter  sous  les  apparences  d'un  silo  à  blé  en  forme  de 
temple,  dont  les  récipients  métalliques  figurent  les  colonnes. 
Au  moment  de  quitter  pour  la  première  fois  les  terres 
grecques,  le  hasard  pourtant  me  réservait  une  compensa- 
tion. Mile,  la  perle  des  Cyclades,  s'offrit  un  matin  à  mes 
yeux  qui  n'espéraient  plus,  avant  le  retour  en  Provence,  de 
voir  sourire  la  nature.  Les  matelots  eux-mêmes,  je  les  vis 
sensibles  à  la  grâce  de  ces  collines  encerclant  l'eau  la  plus 
belle.  Milo  partage  le  privilège  de  ces  Ueux  dont  l'àpreté 
naturelle  se  trouve  tempérée  par  les  effets  du  travail 
humain  qui,  tout  en  restant  discret  et  s'harmonisant  avec 
la  nature,  se  devine  partout,  au  point  que  la  lumière  même 
en  paraisse  changée,  plus  douce,  et  peuple  la  terre  de  ces 
mille  choses  rustiques  auxquelles  se  prend  notre  cœur. 
Un  village,  dont  les  maisons  blanches  comme  la  craie  et 
délicates  comme  un  jouet  d'enfant,  coiffent  l'un  des  caps 
à  l'entrée  de  la  baie,  fait  envier  un  bonheur  stable  à  celui 
qui  navigue  sur  la  mer  incertaine  et,  le  long  des  crêtes,  les 
moulins  à  vent,  dont  les  ailes  rayonnent  en  forme  d.e 
pétales  de  fleurs  et  non  point  de  voilure  comme  chez  nous, 
évoquent  les  biens  perdus  aujourd'hui,  labeur  facile  et 
simplicité  des  champs.  Est-ce  le  long  de  ce  petit  mur.  de 

—  117  - 


pierres  sèches  ou  près  de  ce  chemin  planté  d'oliviers  qu'un 
paysan  déterra,  voici  un  siècle,  la  forme  divine  à  laquelle 
le  pays  associa  son  nom  ? 

Peut-être  si  j'avais  pu  descendre  ici  et  m 'asseoir  sur  une 
souche  au  crépuscule  dans  la  campagne  violette,  oubliant 
les  musiques  de  cirque  dont  le  vaisseau-amiral  tout  le  jour 
avait  accompagné,  suivant  le  rite,  le  travail  du  charbon, 
aurais-je  entendu  enfin  chanter  les  souvenirs  harmonieux. 

Ce  plaisir  de  poser  le  pied  sur  une  terre  grecque,  je  devais 
le  goûter  à  Mytilène  au  printemps.  Mais  alors  la  nature 
renouvelée  était  trop  belle,  la  vie  nous  appelait  avec  trop 
de  douceur  après  les  épreuves  de  la  mer  dangereuse  pour 
ne  pas  étouffer  la  voix  du  passé.  Comment  soustraire  à 
l'heure  présente  une  parcelle  de  son  cœur  dans  cette  baie 
de  Poriéro,  profonde  et  verte,  où  les  oliviers  descendent 
en  troupes  gracieuses  et  légères  jusqu'à  la  mer  comme  pour 
accueillir  l'étranger  ?  Des  fillettes  aux  yeux  clairs  nous 
ayant  souhaité  la  bienvenue  d'un  «  kaliméra  »  gentil  et 
malicieux,  je  leur  distribuai  quelque  monnaie.  Me  prenant 
sans  doute  pour  un  seigneur  aussi  riche  que  généreux, 
elles  menaçaient  de  nous  suivre  jusqu'à  la  ville  sur  l'autre 
versant  du  coteau  ;  je  dus,  pour  les  mettre  en  fuite  de 
toute  la  vitesse  de  leurs  petites  jambes  nues,  cueillir  sur  le 
bord  de  la  route  un  coquelicot  et  le  leur  offrir.  L'aventure, 
symbolique,  me  mit  en  gaîté,  et  je  résolus,  négligeant  les 
suggestions  des  Uvres,  de  ne  me  préparer  dans  l'île  de  Lesbos 
que  le  souvenir  d'une  joiu-née  heureuse. 

Oserai-je  avouer,  d'ailleurs,  que  les  pèlerinages  aux  lieux 
consacrés  ne  sont  pas  ceux  qui  me  tentent  le  plus  et  que  les 
prières  retentissantes  me  paraissent  empreintes  de  quelque 

—  ii8  — 


vanité,  eussent-elles  pour  théâtre  le  rocher  de  l'Acropole 
d'Athènes  ?  Je  n'ai  point  vu  l'Acropole,  et  il  se  peut  qu'un 
jour  les  circonstances  me  donnent  un  démenti.  Mais  je  ne 
sais  s'il  est  bien  nécessaire  à  qui  croit  posséder  l'image 
complète  de  la  beauté  antique  de  la  confronter  avec  des 
débris  de  pierres.  Peut-être  pour  la  faire  resplendir  dans 
sa  grâce  vivante  et  sa  perfection,  la  clarté  du  ciel  de  l'At- 
tique  épandue  sur  des  figures  tronquées  n'a-t-elle  point 
la  vertu  des  seules  lumières  de  la  raison. 

En  présence  des  ruines  dorées  je  craindrais  d'éprouver 
surtout  le  plaisir  des  yeux,  de  penser  à  l'art  de  Claude 
Lorrain,  de  Corot,  ou  encore  de  me  trouver  intéressé  par 
une  fleur  qui  bougerait  au  pied  d'une  stèle,  distrait  par  une 
femme  qui  couvrirait  de  son  linge  blanc  les  fûts  renversés. 

C'est  pourquoi  je  ne  me  frapperai  point  la  poitrine  pour 
n'avoir  vu  dans  les  colonnes  dressées  sur  le  cap  Sunium,  un 
soir  d'hiver,  qu'une  tache  de  couleur. 

Maxime   Girieud. 


—  119  — 


CHŒUR  DES  OCEANIDES 


i\  peine  l'arc  doré  se  courbe 

Aux  mains  rapides  d'Apollon, 

A  peine  est  tracé  le  sillon 

Qui  de  la  plus  obscure  tourbe 

Va  tirer  cet  éclat  vermeil 

Dont  se  colore  le  réveil 

Des  eaux,  des  prés,  des  bois,  des  villes, 

A  peine  as-tu  fait,  ô  Soleil, 

La  mer  brillante  de  ses  îles. 

Que  sur  les  cimes  nous  venons, 
Anxieuses  de  ton  image, 
Nous  de  qui  le  sceptre  en  partage 
A  l'empire  des  flots  sans  noms, 
Filles  de  l'Océan,  du  père 
Nourricier  de  toute  la  terre, 
Gardien  prudent  de  tels  secrets 
Qu'il  n'en  ouvre  encor  le  mystère 
Qu'aux  voix  nocturnes  des  forêts. 

—   120  — 


Mais  tandis  qu'au  repos  il  cède, 
Sur  ses  lèvres  volent  souvent 
Quelques  mots  dans  le  fil  du  vent 
Qui  vont  se  perdre  sans  remède, 
Et  parfois  nous  l'avons  surpris 
Au  fond  reculé  d'un  pourpris, 
Attentives  à  ces  merveilles  : 
Rien  de  grand  reste-t-il  au  prix 
De  ce  qu'entendaient  nos  oreilles  ? 

Nous  allons  au-devant  du  jour... 
Si  les  choses  longtemps  celées 
Doivent  bien  être  révélées 
Elles  renferment  tant  d'amour, 
De  tant  de  rayons  enflammées. 
Qu'auprès  d'elles  ce  sont  fumées 
L'éther  et  l'azur  irréel  : 
Seul  Phébus  a  les  mains  armées 
De  la  claire  splendeur  du  ciel. 

Des  quatre  chevaux  la  crinière 
Déployée  au  vaste  horizon. 
Semble  flotter  sur  Phaéton 
Tant  il  en  jailht  de  lumière  ! 
Se  trouve-t-il  donc  aujourd'hui 
Quelqu'un  qui  plus  hardi  que  lui, 
Refrénant  leurs  dents  indomptées. 
Vers  des  régions  les  conduit 
Que  jamais  ils  n'avaient  tentées  ; 

—  121   — 


Qui,  d'un  psis  jadis  inégal, 

A  soumis  au  Nombre  leur  course, 

Et  qui  les  abreuve  à  la  source 

De  l'autre  aérien  cheval, 

Et,  luisants  des  ondes  du  Phase, 

Leur  donne  à  fouler  le  Caucase 

Dont  les  glaces  à  leurs  sabots, 

Sous  la  corne  qui  les  embrase. 

Brûlent  comme  autant  de  flambeaux  ? 

Tel  parfois  le  soir  illumine 
La  crête  des  monts  orageux, 
Et  l'on  voit  répondre  à  ces  feux 
Une  torche  sur  la  colline  : 
L'éblouissement  d'un  bûcher 
Etincelle  à  chaque  rocher. 
Astres  arrachés  de  la  nue. 
Qui  dans  les  rêves  du  nocher 
Plongent  leur  lueur  inconnue... 

Raymond  de  La  Tailhède. 


I 


—   122  — 


DE  L'ART  MODERNE 


11  est  plus  difficile  de  détinir  les  tendances  de  l'art 
moderne  que  de  préciser  le  caractère  d'une  grande  civili- 
sation du  passé  dont  l'unité  se  révèle  dans  les  moindres 
vestiges  qu'elle  nous  a  légués.  Or,  s'il  est  possible  de  décou- 
vrir dans  l'art  moderne  une  diversité  extraordinaire,  nous 
\'  chercherions  en  vain  cette  unité.  Les  peintres  et  les 
sculpteurs  sont  nombreux  de  nos  jours,  plus  nombreux 
peut-être  qu'aux  époques  de  suprême  épanouissement  de 
l'art.  Mais  l'art,  abandonné  à  un  individualisme  irrespon- 
sable, est  à  la  merci  des  entreprises  du  mauvais  esprit. 
,  Il  en  était  tout  autrement  dans  les  civilisations  anciennes. 
^Métier  était  synonyme  d'Art.  Les  mots  artisan  et  oiwrier 
d'art  définissent  le  mieux  ces  innombrables  constructeurs, 
peintres  et  sculpteurs  gothiques  organisés  en  des  corpora- 
tions soumises  à  une  stricte  discipHne  intérieure.  Partout 
où  l'on  voyait  au  travail  ces  maîtres-maçons,  ces  ouvriers 
du  pinceau  et  de  l'ébauchoir,  naissaient  écoles  et  traditions. 
Il  nous  suffira  de  citer  l'école  bourguignonne  de  Dijon,  les 
écoles  d'Amiens,  de  Reims,   de  Rouen,  de  Chartres,  de 

—  123  — 


Paris.  Ne  se  souciant  guère  de  sa  personnalité,  l'artiste 
mettait  dans  son  œuvre,  avec  une  ferveur  sacrée,  le  meilleur 
de  lui-même  et  unissait  son  effort  à  celui  de  ses  confrères 
dépourvus,  comme  lui,  de  tout  vain  amour-propre,  pour 
dresser  des  temples  dignes  de  la  Divinité.  Les  choses  se 
passaient  de  même  dans  le  monde  antique  :  chez  les  Egyp- 
tiens, les  Chaldéens,  les  Grecs  où  l'art  gravitait,  pour  ainsi 
dire,  autour  du  culte  des  dieux  et  des  héros.  La  production 
n'y  était  pas  Libre,  individuelle  :  obéissant  aux  plus  sévères 
disciplines,  elle  constituait  l'expression  du  génie  de  la  race. 
Aussi  bien  chez  les  anciens  que  dans  la  conception  des 
mosaïstes  byzantins  ou  des  maîtres  romans  et  gothiques, 
l'art  avait  un  caractère  éducatif  et  religieux.  Sous  peine 
d'ébranler  peut-être  dans  ses  assises  la  vie  des  peuples,  il 
ne  pouvait  se  soustraire  aux  règles  adoptées,  une  fois  pour 
toutes,  et  fondées  sur  une  parfaite  connaissance  des  lois  de  la 
nature.  Cette  intelligence  d'une  beauté  d'un  caractère  uni- 
versel persista  encore  à  travers  le  Moyen  Age.  Ceci  explique 
pourquoi  le  moindre  fragment  de  sculpture  d'une  cathé- 
drale gothique  est  empreint  de  plus  d'art  que  les  plus 
volumineuses  productions  de  la  statuaire  contemporaine. 
Il  y  a  là  le  sentiment  d'un  grand  style  qui  a  dégénéré  après 
la  Renaissance.  L'individualisme  outrancier  des  artistes 
modernes  l'a  fait  définitivement  disparaître. 

La  physionomie  de  l'art  a  subi  pendant  la  Renaissance 
une  transformation  complète.  La  scolastique  alors  cédait 
la  place  à  l'humanisme.  L'art  commença  à  jouir  d'une  plus 
grande  liberté  et  put  s'ouvrir  un  champ  plus  vaste  :  hbéré 
des  entraves  où  l'enserrait  le  Moyen  Age,  il  bénéficia 
des   richesses   nouvelles.    Affranchi    de   la   contrainte   de 

—  124  — 


l'Eglise,  l'artiste  put  donner  libre  cours  à  sa  fantaisie. 
Une  observation  plus  soutenue  du  monde  extérieur  lui 
permit  de  varier  et  de  m.ultiplier  les  sujets  des  œuvres  par 
lesquelles  il  cherchait  à  s'assurer  la  faveur  des  Mécènes. 
Mais  la  tradition  était  encore  trop  vivace  pour  qu'il  pût 
rompre  tous  les  liens  qui  le  rattachaient  au  passé.  11  décou- 
vrit un  monde  nouveau,  la  Grèce,  ce  qui  contribua  à  dégager 
son  art  de  la  tutelle  religieuse,  mais  dans  sa  vie  et  dans  la 
manière  de  concevoir  sa  vocation,  il  continua  de  suivre  la 
trace  des  imagiers  gothiques. 

Florence  abondait  à  cette  époque  en  ateliers  où  des 
maîtres  du  plus  grand  savoir  travaillaient  à  satisfaire  les 
besoins  de  luxe  des  grands.  La  plupart  de  ces  hommes 
excellaient  dans  tous  les  arts.  Verrocchio  quittait  son 
métier  d'orfèvre  pour  élever  des  monuments  à  des  condot- 
tieri, pour  dessiner  des  têtes  d'enfants,  sujet  qu'il  affec- 
tionnait particulièrement,  ou  pour  instruire  des  Léonard. 
Cependant  la  nouveauté  des  sujets,  pas  plus  que  le  caractère 
laïque  de  cet  art,  ne  purent  pervertir  le  goût  de  l'époque. 
On  créait  le  beau,  en  quelque  sorte,  naturellement,  et  le 
moindre  objet  usuel  pouvait  être  un  véritable  chef-d'œuvre. 
A  plus  forte  raison  l'art  éclatait-il  dans  les  statues,  les 
tableaux,  les  édifices. 

Les  Mécènes  ne  craignaient  pas  d'appeler  auprès  d'eux 
les  artistes  les  plus  hardis  que  d'ailleurs,  parfois,  d'habiles 
courtisans  parvenaient  à  supplanter.  Tel  fut,  entre  autres, 
le  cas  de  Poussin  dont  des  concurrents  envieux  réussirent 
à  empoisonner  l'existence.  Mais  de  tels  courtisans  n'étaient 
pas  toutefois  «  encanaillés  »  en  matière  d'art  au  point  où  le 
sont  aujourd'hui  les  favoris  du  goût  officiel.  Poussin  exécu- 

—  125  — 


tait,  certes,  ses  commandes  avec  plus  de  talent  que  tel 
peintre  bien  noté  à  la  cour,  mais,  encore  que  moins  doué 
par  la  nature,  ce  dernier  avait  tout  de  même  assez  de  tact 
pour  s'exprimer  avec  noblesse.  Tout  artiste  défendait  la 
dignité  de  l'art.  Que  fait-il  aujourd'hui  ? 

Une  œuvre  d'art  est,  de  nos  jours,  chose  de  moins  en 
moins  facile  à  rencontrer.  On  produit  uniquement  de  la 
bonne  ou  de  la  mauvaise  marchandise  pour  l'exposer  dans 
ce  qu'on  a  coutume  de  nommer  les  Salons,  dans  ces  foires 
qui  renouvellent  sans  cesse  leur  stock  inépuisable  et  où 
l'on  peut  voir  des  milliers  d'échantillons,  prétendant  à 
représenter  autant  de  personnalités  que  de  tendances.  Les 
neuf  dixièmes  de  ces  productions  sont  absolument  super- 
flues ;  elles  offensent  le  goût  et  le  sens  commun  par  leur 
ineptie  et  leur  trivialité  sans  bornes.  Cet  art  prétendu,  qui 
est  la  négation  de  l'art,  règne  aujourd'hui  partout  en  maître 
tout-puissant  et  cela,  n'hésitons  pas  à  le  constater,  grâce 
aux  Académies  qui  ont  faussé  la  tradition  et  aux  gouver- 
nements qui  le  favorisent. 

Il  ne  faut  point  s'étonner  que  le  gouvernement  accorde 
sa  protection  à  un  art  accessible  aux  masses,  et  à  ces 
œuvres  qui  ornent  les  édifices  publics  de  la  capitale  et  de 
la  province,  les  écoles,  les  préfectures,  les  mairies  où  le 
peuple  se  réunit  aujourd'hui  comme  il  se  réunissait  jadis 
à  l'église.  Mais  nulle  ressemblance  entre  ces  dernières  et 
celles  qui  paraient  autrefois  le  sanctuaire.  Il  ne  saurait  en 
être  autrement.  On  demande  aujourd'hui  au  tableau  et  à 
la  sculpture  de  donner  l'iUusion  de  la  plus  grossière  réalité, 
d'être  un  plagiat  photographique  ou  une  banale  illustration 
de  scènes  historiques.  Conçues  selon  un  rythme  à  peu  près 

—  126  — 


mécanique,  toutes  ces  compositions  ne  réussissent  qu'à 
encourager  la  paresse  de  l'esprit  ou  flatter  les  instincts 
inférieurs.  Tel  est  l'art  ofiîciel  dans  l'Europe  tout  entière. 
Mais  la  France,  étant  encore  le  pays  où  les  tendances  indé- 
pendantes se  manifestent  le  plus  librement  et  où  on  lutte 
réellement  pour  un  idéal  dans  l'art,  l'absurdité  de  la  pein- 
ture et  de  la  sculpture  officielles  s'y  étale  avec  plus  d'é\i- 
dence  que  partout  ailleurs. 

L'art  moderne  est,  dans  les  domaines  de  la  vie  spirituelle, 
celui  où  règne  aujourd'hui  la  plus  grande  anarchie.  Nulle 
part  certainement  la  licence  individuahste  n'a  fait  plus  de 
ravages  que  dans  les  arts  plastiques  :  elle  a  conduit  à  la 
ruine  du  savoir  basé  sur  des  lois  logiques,  nées  d'une 
expérience  séculaire. 

Même  ce  qu'on  peut  qualifier  d'art  authentique  manque 
aujourd'hui  de  caractère  général  et  ne  parle  qu'aux  sens 
plus  ou  moins  raffinés.  Le  grand  art  de  notre  époque 
exprime  surtout  la  révolte  contre  l'art  officiel,  contre  tous 
les  lieux  communs  et  tous  les  types  banahsés  du  beau. 

Le  caractère  de  l'art  a  indéniablement  changé,  mais 
comment  ses  lois  se  modifieraient-elles  ?  L'art  digne  de  ce 
nom  ne  conteste  pas  les  exigences  de  la  raison. 

La  vraie  culture  comporte  équilibre  et  harmonie,  et 
donne  à  ceux  qui  la  possèdent  le  sentiment  de  responsabilité 
devant  eux-mêmes,  devant  les  autres,  devant  l'histoire. 

Ce  sentiment  était  général  dans  l'antiquité  et  le  Moyen 
Age,  et  c'est  pourquoi  l'art  y  régnait  en  maître. 

Ceux  qui  ont  taillé  dans  la  pierre  les  puissantes  statues 
qui  se  dressent  sur  les  bords  du  Nil  et  dans  les  grottes  de 
l'Inde,  ceux  qui  ont  élevé  le  Parthénon  et  édifié  les  cathé 

—  127  — 


drales  tâchaient  à  produire  la  plus  grande  beauté,  comme 
les  ingénieurs  modernes,  dans  leurs  constructions  gigan- 
tesques, s'efforcent  de  réaliser  la  plus  grande  utilité.  C'est 
de  là  que  viennent  les  proportions  sublimes  de  leur  œuvre 
monumentale,  si  étrangères  à  notre  époque. 

3(<:     *     * 

On  peut  dire  que  toutes  les  conventions  en  usage  dans 
le  passé  régnent  dans  l'art  d'aujourd'hui. 

Jamais  le  problème  de  la  subordination  de  tous  les  arts 
à  l'architecture  n'a  été  plus  actuel,  jamais  on  n'a  cherché 
plus  fiévreusement  à  reher  entre  eux  les  différents  arts  et, 
par  ime  contradiction  singuhère,  jamais  la  nécessité  d'isoler 
les  formes  d'art  qui  ont  déjà  conquis  leur  autonomie  ne 
s'est  imposée  plus  impérieusement. 

Examinons  d'abord  les  rapports  qui  existent  entre 
la  peinture  et  l'architecture.  La  peinture  est  limitée  à  un 
seul  plan,  tandis  que  l'architecture  rempHt  l'espace.  La 
peinture  reproduit  le  monde  réel,  tandis  que  l'architec- 
ture exprime  des  sentiments  généraux  qui  ne  répondent 
à  rien  de  défini  dans  la  nature.  Elle  n'y  puise  qu'indirec- 
tement ses  formes  géométriques.  Et  ce  n'est  qu'en  s'y 
subordonnant  que  la  ligne  et  la  couleur  interviennent 
pour  décorer  ces  formes. 

Chez  les  Egyptiens,  les  Grecs,  au  Moyen  Age,  les  peintres, 
au  service  de  l'architecture  ou  obéissant  à  ses  lois,  rédui- 
saient la  représentation  de  la  nature  à  une  disposition 
schématique  des  lignes  basée  sur  des  principes  de  symétrie. 

Cette  tradition  persista  jusqu'à  Giotto  dont  l'école  usa, 
-  128     - 


V.  Vax  Gogh  —  Portrait  du  D''  Cachet 


Peintur-        ' 


Gauguin 


Photo  Druet. 


Dessin. 


T.   LaUTREC  Dessin. 


CiF.ORGES  SeURAT    —    I.CS  S(l/tïniha)!(/nes .  Dessin. 


pour  la  représentation  des  symboles  chrétiens,  des  mêmes 
formes  hiératiques,  de  la  même  composition  des  groupes 
que  nous  rencontrons  chez  les  mosaïstes  byzantins.  Il 
anima  toutefois  la  convention  byzantine  et  insuffla  à  cet 
art  une  âme  nouvelle  en  individuahsant  les  mouvements 
et  les  attitudes.  Peu  à  peu,  la  peinture  abandonna,  dans 
l'interprétation  de  la  nature,  le  schéma  architectural. 
Enfin,  elle  découvrit  les  lois  de  la  perspective,  et  rechercha 
un  modelage  plus  Ubre.  Les  peintres  des  xv^  et  xvi^  siècles 
penchent  déjà  vers  un  naturalisme  plus  accentué,  mais 
gardent  encore  la  majesté  des  st34es  anciens. 

Ce  n'est  que  dans  les  temps  modernes,  cependant,  que 
s'est  manifestée  invinciblement  la  tendance  à  exprimer, 
avec  une  science  nouvelle  de  la  lumière,  la  réahté  intégrale. 

Mais  voici  qu'après  s'être  affranchie  de  l'architecture, 
la  peinture  cherche  de  nouveau  à  renouer  les  liens  rompus. 
Par  quels  moyens  compte-t-elle  y  parvenir  ?  En  recourant 
à  l'archaïsme,  en  faisant  renaître  des  conventions  qui  ont 
perdu  tout  sens  vivant  ou  en  en  créant  de  nouvelles  ? 

C'est  sur  ce  point  que  les  opinions  diffèrent.  On  aurait 
tort  de  croire  que  ces  conflits  d'écoles  sont  nouveaux. 
A  ce  sujet,  l'éminent  archéologue,  ^I.  E.  Pottier,  écrit  cette 
page  instructive  :  <>  Ces  grandes  écoles  de  peinture  qui  se 
sont  partagé  la  faveur  du  public  athénien,  et  dont  les  dis- 
putes rappellent  celles  de  nos  classiques  et  de  nos  roman- 
tiques ont  fait  naître,  dans  l'ordre  industriel,  des  subdivi- 
sions et  des  groupements  analogues  à  ceux  qui  existaient 
dans  les  sphères  plus  hautes.  Dans  le  Céramique,  c'est-à-dire 
dans  le  faubourg  d'Athènes  où  étaient  rassemblées  les 
fabriques,  on  se  passionnait  pour  telle  méthode  de  peinture, 

—   I2Q  — 


pour  tel  procédé  de  dessin  mis  en  honneur  par  les  maîtres, 
comme,  il  y  a  soixante  ans,  les  partisans  d'Ingres  et  de 
Delacroix  discutaient  les  mérites  respectifs  du  dessin  et  de 
la  couleur.  Pendant  plus  d'un  siècle  les  potiers  antiques  ont 
eu  la  bonne  idée  de  signer  leurs  œuvres,  et  nous  connais- 
sons actuellement  une  centaine  de  noms  d'artistes  qui 
s'espacent  entre  la  fin  du  vii^  et  le  début  du  iv^  siècle.  On 
sait  aujourd'hui  distinguer  les  ateUers  de  céramistes  corres- 
pondant aux  principales  écoles  de  peinture  que  mentionnent 
les  auteurs.  Nous  avons  l'école  des  tableaux  en  silhouettes 
opaques,  dont  les  représentants,  les  plus  remarquables 
s'appellent  Clitias,  Amaxis,  Exékias.  Nous  avons  l'école 
éclectique  qui,  instruite  par ^;  les  anciens  maîtres,  mais  se 
ralliant  au  régime  nouveau,  a  peint  d'abord  en  silhouettes 
noires,  puis  s'est  mise  à  exécuter,  au  contraire,  les  person- 
nages en  clair,  suivant  le  procédé  qu'on  appelle  à  figures 
rouges.  Là  se  place  une  révolution  radicale  dans  la  céra- 
mique, dont  les  auteurs  se  ncmment  Nicosthenès,  Ando- 
kidès,  Pamphaïos,  Epiktetos,  Chachryhon.  Vient  ensuite 
l'école  triomphante  de  la  peinture  claire  avec  les  chefs- 
d'œuvre  d'Euphronios,  de  Douris,  de  Hiéron  et  de  Brygos. 
Mais,  dans  cette  dernière  catégorie,  on  distingue  encore 
des  nuances  d'opinions  :  tandis  que  les  uns  adoptent  fran- 
chement le  dessin  souple  et  varié,  les  sujets  familiers  pré- 
conisés par  les  partisans  du  progrès,  d'autres,  comme 
Euthymidès,  prétendent  rester  attachés  aux  vieux  prin- 
cipes, au  dessin  grave  et  sévère,  aux  motifs  rehgieux  et 
mythologiques.  Nous  lisons  sur  les  vases  des  inscriptions 
qui  sont  des  défis  lancés  par  l'un  des  partis  à  l'autre. 
Euthymidès,  après  avoir  décoré  une  amphore  d'une  scène 

—  130  — 


empruntée  à  l'Iliade,  l'armement  d'Hector  en  présence  de 
Priam  et  d'Hécube,  ajoute  fièrement  à  sa  signature  cette 
apostrophe  provocante  :  «  Jamais  Euphronios  n'en  a  fait 
autant.  » 

Aussi  bien  que  dans  l'Europe  moderne,  il  y  avait  dans 
l'ancienne  Grèce  des  peintres  d'expression,  des  peintres 
du  clair-obscur.  On  y  discutait  sur  la  ligne  droite  et  la 
ligne  courbe.  A  l'époque  archaïque,  on  y  voit  prédominer  la 
sévère  ligne  droite.  Ce  n'est  qu'au  siècle  de  Phidias  que 
se  produira  la  synthèse  des  deux  principes.  En  même 
temps  le  choix  de  la  matière  contribuait  à  l'élégance  de  la 
forme.  Est-ce  que  l'art  de  notre  temps  ne  devrait  pas 
prendre  ce  fait  en  considération  ?  La  déchéance  de  l'art 
est  due  en  partie  à  la  mauvaise  utilisation  de  la  matière 
première.  Car,  avec  la  décadence  de  l'esprit  corporatif, 
bien  différent  de  l'esprit  des  académies  modernes,  cette 
tradition  s'est  perdue  comme  les  autres.  Les  ateliers 
anciens  ne  se  bornaient  pas  à  concevoir  l'art  sous  l'aspect 
de  l'activité  créatrice  d'artistes  isolés,  leur  rôle  héréditaire 
était  d'enseigner  ce  qui  représentait  pour  eux  l'expression 
de  toute  une  civilisation.  Ils  n'inculquaient  pas  aux 
apprentis  l'art  de  rendre  des  illusions  d'optiques  (modèles, 
paysages  à  différentes  heures  de  la  journée  et  avec  des 
éclairages  divers),  c'est-à-dire  de  rivaliser  avec  un  appareil 
photographique,  ainsi  que  le  font  les  académies  qui  croient 
avoir  recueilli  leur  héritage.  Par  contre,  ils  initiaient  les 
jeunes  artistes  aux  vertus  de  la  matière,  àl'esprit  de  la  forme 
et  à  l'emploi  judicieux  de  l'outillage.  Les  apprentis  acqué- 
raient ainsi  la  connaissance  de  la  nature  de  la  pierre,  du 
métal  et  du  bois,  des  propriétés  des  couleurs  et  des  vernis. 

—  131  — 


Un  artiste  possédant  son  métier  savait  tenir  compte 
du  lieu  et  de  la  destination,  et  combinait  lignes,  couleurs 
et  volumes  en  conséquence. 

Pourquoi  l'art  de  notre  époque  se  montre-t-il  si  inapte 
à  faire  revivre  les  grandes  formes  ?  Pourquoi  avons-nous 
\u  disparaître  les  disciplines  qui  régnaient  en  Egypte,  en 
Grèce  et  au  Moyen  Age  ?  Pour  la  raison  que  nous  avons 
donnée  plus  haut  :  à  savoir  que,  depuis  la  Renaissance,  on 
exalte  la  personnalité  artistique  et  l'on  fait  passer  àl'arrière- 
plan  les  manifestations  collectives  du  génie  national. 
Aujourd'hui  principes  corrompus  et  traditions  faussées  ont 
leur  asile  à  l'Ecole  des  Beaux- Arts,  ce  qui  ne  contribue  pas 
peu  à  encourager  l'anarchie  qui  sévit  parmi  les  peintres  et 
les  sculpteurs  et  se  manifeste  jusque  dans  les  efforts  méri- 
toires de  la  jeune  génération.  Les  talents  les  plus  robustes 
ont  succombé  à  l'enseignement  de  l'Ecole  ;  seuls,  quelques 
évadés  cherchent  à  hâter  l'avènement  de  discipUnes  nou- 
velles, en  reniant  la  routine  académique  et  en  faisant  pro- 
fession d'une  indépendance  poussée  aux  extrêmes  limites. 


*   * 


Le  problème  du  rôle  de  l'art  décoratif  est  passé  au  premier 
plan  de  nos  préoccupations  présentes.  La  mission  française 
qui  s'était  rendue,  il  y  a  quelques  années,  à  Munich,  pour 
y  prendre  part  à  un  congrès  d'art  appliqué,  s'émut  grande- 
ment de  constater  quelle  activité  avait  été  déployée  en 
Allemagne  dans  ce  domaine.  ISIais  il  ne  faut  pas  oubher 
qu'elle  était  surtout  composée  de  personnages  officiels, 
assez   médiocres   architectes   et   professionnels   peu   mar- 

—  T32  — 


quants  du  pinceau  et  de  l'ébauchoir.  Le  riche  développe- 
ment de  l'art  décoratif  en  Allemagne,  où  le  gouvernement 
et  la  bourgeoisie  aisée  ne  ménagent  pas  aux  artistes  leurs 
encouragements,  les  avait  profondément  blessés  dans  leur 
amour-propre.  Sans  chercher  à  pénétrer  les  raisons  pro- 
fondes de  ce  phénomène,  ils  semèrent  l'alarme  dans  le 
public  français,  en  organisant  de  bruyantes  enquêtes.  ; 
La  déchéance  de  l'art  appliqué  en  France  est  un  fait 
indiscutable,  mais  il  n'y  a  pas  encore  lieu  de  désespérer. 
Tous  les  métiers  décoratifs,  il  estvrai,ysont  peu  florissants. 
Toute  nouveauté  choquante  ou  non  inquiète  d'autre  part 
le  Français  :  il  préfère  subir  la  servitude  des  siècles  passés 
qui  rétrécit,  certes,  l'horizon  de  sa  pensée,  mais  ne  dérange 
pas  ses  habitudes  familiales.  Quant  à  ce  que  les  Allemands 
produisent  de  mieux  aujourd'hui  en  matière  d'ameuble- 
ment et  de  décoration  intérieure  du  home,  ce  n'est,  en 
réahté,  qu'une  transposition  germanique  du  style  Louis- 
Phihppe  et  un  arrangement  de  leur  Biedermeier-style, 
conforme  au  goût  singulier  de  la  bourgeoisie  des  bords  de- 
là Sprée  et  de  l'isar.  Il  n'y  a  pas  dans  tous  ces  efforts 
d'activité  à  proprement  parler  rénovatrice.  Les  Allemands 
n'ont  abouti  qu'à  un  art  de  parvenus,  fait  du  mélange  de 
tous  les  styles,  mais  il  se  peut  que,  grâce  au  caporalisme 
qui  règle  chez  eux  toutes  les  manifestations  de  la  vie,  ils 
arrivent  à  créer,  mécaniquement,  un  style  nouveau.  Rien 
de  pareil  n'est  possible  en  France.  C'est  d'une  façon  spon- 
tanée, organique,  que  le  génie  français  a  enfanté  le  grand 
style  qui  a  dominé  partout  au  Moj'en  Age  et  dont  l'éclat  a 
persisté  à  travers  la  Renaissance  jusqu'à  la  chute  de 
l'ancien  régime. 

—  133  — 


En  effet,  la  notion  du  style  est  étroitement  liée  dans  la 
décoration  à  l'organisation  des  métiers  d'art.  Pareille- 
ment à  tous  les  autres,  ceux-ci  ont  été  tués  par  les  machines. 
Si  le  maître  et  l'apprenti  d'autrefois  n'ont  pas  encore 
disparu  de  la  surface  du  globe,  ils  deviennent  en  tout  cas 
de  plus  en  plus  rares.  L'ouvrier  moderne  qui  les  a  remplacés 
érige  en  principe  le  «  sabotage  »,  ce  produit  de  la  civilisation 
capitaliste.  L'art  décoratif  impersonnel  a  été  éclipsé  par 
un  art  individuel,  expressif,  qui  ne  cherche  plus  la  seule 
élégance  des  formes,  la  beauté  des  proportions,  la  cadence 
des  mouvements,  la  grâce  des  attitudes. 

De  même  de  nos  joiurs  l'architecture,  qui  doit  être  la 
synthèse  de  tous  les  arts,  est  dépourvue  de  style.  Elle 
semble  d'ailleurs  subordonner  l'esthétique  à  un  plat  utiUta- 
risme.  Par  réaction,  l'art  décoratif  semble  s'inspirer 
aujourd'hui  plutôt  de  la  fantaisie  individuelle  que  des 
besoins  sociaux.  Peut-être  la  dernière  évolution  de  la 
peinture  française,  qui  aspire  à  un  style  et  à  une  discipUne, 
exercera-t-elle  sur  lui  une  heureuse  influence.  Les  spécula- 
tions osées  des  jeunes  peintres  et  sculpteurs  français,  sui- 
vant sans  s'en  douter  l'esthétique  abstraite  de  l'architec- 
ture, ont  contribué  le  plus  à  orienter  les  esprits  vers  un 
grand  art  impersonnel. 

Un    Amateur. 


—  134 


FRAGMENT    DE     FALOURDIN 


Tu  les  connais,  ces  gens,  grands  éplucheurs  de  lois  : 

Ils  se  jettent  sur  tout  comme  fourmis  des  bois 

Qui,  de  l'aurore  au  soir,  de  ragoûts  sont  en  quête  ; 

Ils  soupçonnent  chacun  de  la  petite  bête, 

Et,  n'ayant  par  hasard  leur  ventre  aUmenté, 

Epouillent  les  Lauriers  de  l'Immortalité! 

Comme  rien  n'est  au  monde  où  leur  faim  ne  grignote- 

Sur  l'Univers  entier  ils  mettent  bas  culotte, 

Et  les  grègues  encor  pendantes  au  talon, 

Le  chef  plus  sourcilleux  que  Devins  d'Apollon, 

Sur  les  sales  papiers  que  je  ne  saurais  dire. 

De  leurs  digestions  ils  s'empressent  d'écrire. 

En  ont-ils  ingéré,  pilonné,  dévoré. 

Bâfré,  rongé,  lappé,  empiffré,  digéré, 

Plus  gloutons  que  le  dogue  et  l'hyène  et  le  cancre. 

Pour  ne  laisser  partout  que  des  chiures  d'encre  ! 

Comme  ils  n'aiment  rien  tant  que  s'emphr  l'estomac. 

Ils  piquent  au  hasard,  et  ab  hoc  et  ab  hac, 

—  135  — 


Tels  le  Gète  grossier,  le  Sarmate  ou  le  Scythe  ; 

La  beau  luth  delphien  n'est  plus  que  lèche-frite 

Quand  ils  en  ont  rogné  les  cordes  à  boyaux, 

Mais  les  scandales  frais  sont  de  bons  aloyaux, 

Qui  leur  font,  d'une  sorte  admirable  et  soudaine, 

Enfler  grotesquement  la  fale  et  la  bedaine  1 

Je  me  trompe,  Mary  :  ne  crois  pas,  toutefois. 

Que,  tantôt  de  travers  et  tantôt  de  guingois, 

Leur  goût  jamais  ne  tende  à  quelque  préférence. 

Car,  en  tête  des  mets  de  jeûne  ou  d'afïiuence, 

La  Morale  pour  eux  est  plat  de  tous  les  jours, 

Comme  le  Miel  d'Hymette  est  le  festin  des  ours... 

C'est  pour  eux,  mêmement,  qu'on  étrangle  ou  chourine, 

Pour  eux  que  le  Poison  retrouve  une  Agrippine, 

Et  tu  les  vois  grimper,  dès  le  patron-minet, 

Le  gluant  escalier  d'un  louche  estaminet 

Qui,  fécond  en  détours  comme  le  plan  d'un  crime, 

Les  mène  à  la  soupente  où  gît  une  victime. . . 

Quand  ils  sortent,  repus,  jouant  avec  un  jonc, 

Le  sang  d'une  catin  leur  fleurit  le  talon. 

Et  l'ivresse  brouillant  leurs  cerveaux  de  vampires, 

Ils  voudraient,  aussitôt,  démembrer  les  empires. 

Pour  achever,  enfin,  le  burlesque  et  l'affreux, 

Ces  goinfres  barbouilles  se  dévorent  entre  eux  ! 

Tandis  que  Falourdin  m'entraînait  en  conquête. 
J'entendais  sans  saisir,  comme  loin  d'une  fête 
On  perçoit  la  rumeur  des  rires  et  des  brocs, 
Tout  un  fracas  confus  d'hilares  jeux  de  mots, 
Si  bien  que  je  me  crus,  en  ce  bruit  insoUte, 

—  136  — 


Au  bourg  Athracien  où  noçait  le  Lapitlie. 
D'ailleurs,  laissant  parler  cet  autre  Pirithois, 
J'assimilai  bientôt  aux  centaures  pantois 
Des  êtres  essoufflés,  blêmes  comme  la  mie, 
Qui  semblaient  dévaller  de  chez  Hippodamie, 
Et  qui  faisaient  voler,  à  leurs  poings  de  fripons. 
Quelque  chose  de  blanc,  pareil  à  ses  jupons. 
Bref,  j'accrochais  déjà,  dans  la  ruelle  gueuse, 
Des  Gobehns  tissus  d'une  Fable  pompeuse. 
Quand  un  cri  jeta  bas  toute  ma  fiction  : 
«  L'Intran  !  La  Liberté  !  Deuxième  édition  !...  », 
Et  ces  monstres  chétifs,  jouant  de  l'espadrille. 
N'eurent  plus  de  Nessus  que  l'orde  souquenille 
Qui  rendit  Héraclès  de  poux  enguignonné, 
Et  fit  aux  Locriens  un  ciel  emboucané. 

Falourdin,  rayonnant,  riant,  sifflant,  allègre, 
Plastronnait  en  planteur  au  milieu  de  la  pègre, 
Et  la  Lithographie,  au  temps  de  Bernardin, 
Eût  popularisé  le  Colon  Falourdin, 
Avec  son  grand  chapeau  palpitant  sur  l'oreille, 
Tel,  au  sommet  d'un  pic,  un  autour  qui  surveille, 
Son  nez  bec-de-corbin,  sa  canne  de  bambou. 
Qui  vous  jette  à  plat  ventre  ou  vous  remet  debout, 
Sa  moustache  pointant  comme  le  fer  en  tierce, 
Son  ventre  de  l'avant,  son  torse  à  la  renverse, 
Et  ce  bel  air,  enfin,  de  forban  bien  vêtu. 
Oui  fait  croire  qu'il  couche  au  lit  de  la  vertu. 

Son  regard  s'épanchait,  humecté  de  tendresse. 
Sur  ces  vivants  haillons  chassés  avec  vitesse 

—  137  — 


Par  le  souffle  puissant  qui  pousse  dans  Paris 
Le  Camelot  sordide  et  les  autres  débris. 
Crient-ils  pas  sa  pensée  aussitôt  que  pondue  ? 
De  leurs  obscures  mains  sa  Lumière  est  tendue, 
Leurs  pieds,  qui  par  la  fuite  ont  le  bagne  évité, 
Sont  les  courriers  du  Droit  et  de  la  Liberté  ; 
Et  Falourdin  songeait  :  Sus,  Hérauts  anonymes  ! 
Puisse- je  quelque  jour,  à  la  page  des  crimes, 
Publier  vos  portraits,  jouxte  le  Jugement, 
Pour  vous  bailler  ainsi  de  l'anoblissement  ! 


Ferxand  Fleuret 


138  - 


LA  DRAMATURGIE  D'AUZIAS 


Pour  le  trois  centième  anniversaire  de 
la  mort  de  Shakespeare. 


Argument  :  Le  Théâtre  d'Avant- Garde.  —  Nouvelle  de 
l'Anglais  qui  se  fit  rôtir  vivant  pour  voir.  —  Conversation 
avec  Harold.  — Le  château  de  Blarney  et  le  don  de  hâblerie. 

—  Eloge  de  Shakespeare  défendu  contre  ses  admirateurs 
extravagants.  —  '<  Hamlet  »  et  «  Electre  ».  — Apologue  des 
Deux  Chênes.  —  De  l'Héroïsme.  —  Intermède  de  la 
Nymphe  de  Rocsalière.  —  «  Coriolan  »  et  «  Macbeth.   » 

—  Le  tragique  parfait  et  le  fantastique.  — Sur  Machinet. 


I 


Auzias  tira  son  journal  de  sa  poche.  Il  était  de  mauvaise 
humeur. 

«  Voyons  un  peu,  dit-il,  les  spectacles  annoncés  pour 
cette  semaine  :  Théâtre  d'Avant-Garde.  Qu'est-ce  que 
c'est  que  du  théâtre  d'avant-garde  ?  Je  voudrais  bien  que 

—  139  — 


tu  me  dises  si  Racine  et  Molière  sont  dans  l'avant-garde 
ou  dans  l'arrière-garde.  » 

Cette  question  me  fit  rentrer  en  moi-même. 

«  Et  ces  canards  sont  écrits  !  reprit-il  brusquement.  On 
dirait  qu'il  n'est  plus  aujourd'hui  permis  qu'aux  illettrés 
de  placer  de  la  copie  !  Ah  !  nous  sommes  dans  un  beau 
gâchis  !  Tout  est  vilain  et  sale  et  bête  comme  le  temps  qu'il 
fait.  Et  toi  aussi,  tu  es  insupportable,  tu  es  toujours 
sérieux  !  » 

Après  cette  sortie,  Auzias  se  tut,  renfrogné. 

«  Mon  cher  Auzias,  lui  dis-je,  te  voici  bien^méchant  ! 
Qu'est  devenue  la  fine  courtoisie  du  Provençal  confit, 
comme  dit  le  poète,  en  grâce  sarrasine  ?  Je  consens  que  tu 
haïsses  la  pluie  ;  considère  seulement  que  ce  n'est  pas  moi 
qui  fais  pleuvoir,  et  que,  sans  doute,  je  préfère  le  beau 
temps.  Que  fais-tu,  Auzias,  de  tes  doctrines  charmantes  ? 
Est-ce  la  parfaite  mesure  de  s'affliger  de  toutes  choses  ?  Ne 
cède  pas  aux  vapeurs  de  la  mélancolie,  et  dégage  ton  esprit 
de  ses  ombres.  Ne  médis  pas  des  journaux  qui  sont  rédigés 
par  des  Normaliens  qui  savent  l'allemand  ;  des  cafés, 
rendez-vous  des  fortes  têtes  esthétiques  ;  ni  du  théâtre 
d'avant-garde  qui  produit  les  inventions  de  nos  chercheurs 
épris  d'idéal,  de  ces  novateurs  qui  sont  allés 

Au  fond  de  l'inconnu  pour  trouver  du  nouveau! 

—  Voilà,  dit-il,  un  vers  passablement  grotesque. 

Oh,  toi,  repris-je,  tu  n'as  pas  la  passion  du  nouveau,       " 
que  veux-tu  !   Cette  passion  est  terrible  cependant,  elle 
entraîne  loin  parfois  ceux  qu'elle  possède.  Je  te  raconterai 

—  140  — 


à  ce  propos  une  histoire,  si  tu  veux  bien  souffrir  que  je  le 
fasse. 

—  Tu  n'auras  pas  la  patience,  dit-il. 

—  Prends  garde,  dis-je,  que  je  ne  lasse  la  tienne. 

—  Comment  s'intitule  ton  histoire  ? 

—  Nouvelle  de  l'Anglais  qui  se  fit  rôtir  vivant 
pour  voir. 

C'était,  î;ommençai-je,  par  une  nuit  de  Londres  des 
plus  lugubres  de  ce  mois  de  novembre  qui  est  celui  des 
brouillards,  dans  un  estaminet  du  Strand  où  les  Irlandais 
ont  coutume  de  se  rencontrer.  Lynch  et  Murphy  avaient 
eu  la  bonne  fortune  de  se  retrouver  devant  le  zinc,  après 
dix  ans  de  séparation.  Tous  les  deux  artistes,  ils  étaient 
venus  chercher  la  gloire  et  n'avaient  pas  beaucoup  réussi 
encore.  Ils  parlaient  du  bon  temps,  se  rappelaient  des 
drôleries  impayables,  évoquaient  des  figures  cocasses  et 
puis  ils  se  faisaient  le  récit  des  excessives  misères  qu'ils 
avaient  eu  à  souffrir,  depuis  le  jour  où,  forts  d'un  courage 
que  la  vie  avait  brisé  maintenant,  ils  s'étaient  dit  adieu 
sur  le  quai  de  Oueenstovvn.  Ils  lisaient  sur  le  visage  l'un  de 
l'autre,  la  tristesse  définitive  et  l'abattement  sans  remède 
causés  par  la  malchance  perpétuelle,  et  trop  d'années 
consumées  en  efforts  perdus.  Autour  d'eux,  dans  l'atmo- 
sphère de  brume  et  de  fumée,  des  compatriotes  qu'ils  ne 
connaissaient  pas,  sombres  comme  des  émigrants,  buvaient 
en  silence,  hommes  et  femmes,  leur  alcool  ou  leur  bière 
noire,  ou  considéraient  les  photographies  de  paysages 
hiberniens,  illustrant  les  affiches  des  chemins  de  fer  éten- 
dues sur  les  murs. 

Ljmch,  d'un  ton  de  voix  monotone  et  bas,  racontait  à 
^  141  — 


son  camarade  la  mort  affreuse  d'un  modèle  fille  de  seize 
ans  :  à  la  suite  d'une  discussion  avec  son  père,  elle  s'était 
jetée  sous  la  locomotive  du  métropolitain.  Puis  il  narrait 
l'agonie  d'un  de  leurs  amis,  le  plus  folâtre  de  leur  bande, 
qui  s'était  donné  la  mort,  du  chagrin  qu'il  avait  éprouvé 
de  voir  un  tableau  sur  lequel  il  comptait  un  peu,  une  assez 
bonne  chose,  refusé  au  Salon.  Et  ses  yeux  cernés,  dans  son 
visage  extrêmement  pâle,  exprimaient  une  pitié  profonde 
mêlée  de  terreur. 

Murphy,  à  son  tour,  se  mit  à  parler,  du  même  ton  de  voix 
bas  et  monotone.  «  J'ai  été  l'an  passé,  dit-il,  témoin  d'un 
spectacle  plus  douloureux  et  plus  horrible  encore  ;  et  vrai- 
ment c'était  un  spectacle  si  singulièrement  horrible  que  cela 
passe  toute  pitié.  »  Il  ralluma  son  brûle-gueule  sous  son 
petit  nez  de  singe,  et  poursuivit  :  «  J'avais  pour  voisin  un 
Anglais,  bohème  extraordinaire,  qui  écrivait  des  histoires 
pour  les  magazines.  Il  venait,  le  soir,  me  faire  la  lecture, 
tandis  que  je  brossais  à  la  chandelle  quelqu'une  de  ces 
originales  marines  dont,  à  force,  j'ai  fini  par  inonder  tous 
les  marchés  de  l'Empire.  Il  était  de  l'école  de  Poe,  et  il  se 
préoccupait  bien  moins  d'avoir  le  sens  commun  et  de  dire 
quelque  chose  que  d'inventer  quelque  nouvelle  sorte  d'hor- 
reur pour  impressionner  les  personnes  faibles  du  cerveau. 
Il  se  plaignait  de  sa  pauvreté  qui  l'empêchait  de  satisfaire 
sa  curiosité  du  rare  et  du  bizarre. 

Or  la  nuit  de  Noël,  désirant  me  passer  de  la  compagnie 
du  camarade,  je  sortis  sans  le  prévenir,  et  m'en  allai  au 
hasard,  à  travers  les  rues  de  la  ville.  J'arrivai  ici,  où  je  fis 
la  rencontre  de  deux  ou  trois  pays,  pauvres  hères  comme 
moi,  en  société  desquels  je  bus  tristement  aux  vieux  amis 

—  142  -- 


absents,  et  dispersés  dans  le  vaste  monde.  Il  va  sans  dire 
que  je  n'oubliai  pas  Lynch.  Je  repris  assez  tard  le  chemin  du 
taudis,  un  peu  moins  accablé,  non  pas  toutefois  aussi 
joyeux  qu'au  sortir  de  nos  bienheureuses  godailles  de  jadis. 
Où  est  le  temps,  me  disais-je  à  moi-même,  en  cheminant, 
que  nous  aUions,  Lynch  et  moi,  comme  deux  frères  pochards, 
devisant  au  clair  de  lune,  dos  à  dos,  par  les  rues,  l'un  sou- 
tenant l'autre  ?  Quand  j'arrivai  devant  la  maison,  je 
remarquai  que  la  fenêtre  du  camarade  aux  histoires  à 
retourner  les  sangs,  était  éclairée  d'une  lumière  plus  grande 
que  d'ordinaire. 

«  Tiens,  me  dis-je  tout  d'abord,  voilà  la  paillasse  du 
voisin  qui  flambe  !  »  Puis  l'idée  me  vint,  à  la  réflexion, 
qu'il  avait  illuminé  sa  turne  à  l'occasion  de  la  naissance  de 
Notre  Sauveur,  et  qu'un  festin  extraordinaire  avait  lieu 
chez  ce  meurt-de-faim.  Cette  falote  idée  se  confirma  dans 
ma  tête,  lorsque  je  montai  l'escalier  où  se  répandait  une 
agréable  odeur  de  rôti. 

«  Le  misérable  !  m'écriai-je,  il  ne  m'a  point  prié  !  Voilà 
comme  on  se  comporte  dans  l'abondance  avec  des  compa- 
gnons de  misère  ?  Ah,  voisin,  cela  n'est  pas  honnête,  et  que 
vous  en  soyez  content  ou  non,  je  serai  de  la  fête  !  »  J'ouvtIs 
alors  brusquement  la  porte  ;  une  odeur  de  brûlé  me  prit  à 
la  gorge  :  «  Holà,  compère,  m'écriai-je,  vous  laissez  brûler 
le  rôt  !  »  Mais  tout  à  coup,  horreur  !  j'aperçus,  gisant  devant 
le  foyer,  tout  nu,  le  malheureux  en  partie  cuit,  et  commen- 
çant à  fumer  !    » 

«  Seigneur!  »,  s'écria  Lynch,  pâHssant  encore. 

Pendant  un  instant  les  deux  Irlandais  se  regardèrent 
en  silence,  puis  Lynch  reprit  : 

—  143  — 


«  Comment  ce  malheur  était-il  arrivé  ?  Pourquoi  se 
trouvait-il  ainsi,  nu,  devant  le  feu  ?  Avait-il,  frappé  de 
congestion,  roulé  ainsi  par  terre  ?  Mais  sans  doute  ce  qui 
s'est  passé  est  demeuré  un  mystère  ? 

—  On  l'a  su,  dit  Murphy,  car  il  y  avait  un  témoin.  Mon 
voisin,  comme  je  l'ai  dit,  était  un  curieux  de  frissons  d'art 
nouveaux  ;  le  témoin  par  lequel  je  fus  mis  au  fait  de  ce  qui 
s'était  passé  est  un  cahier  de  papier  que  j'ai  volé,  et  sur 
lequel  notre  homme  avait  noté  les  effets  de  la  flamme,  à 
mesure  qu'il  se  sentait  cuire.  En  effet,  il  s'était  fait  rôtir 
volontairement,  par  curiosité,  satisfait  de  quitter  une  vie 
aussi  banale,  d'une  si  originale  façon,  et  de  laisser  après 
lui  l'ouvrage  le  plus  étrange  qu'on  ait  écrit  jamais.  »  Voilà 
mon  histoire,  dis- je  en  terminant. 

—  Eh  bien  !  fit  Auzias.  » 

Il  se  leva  et  fut  à  la  fenêtre.  La  pluie  avait  redoublé. 

«  Il  me  semble,  dit-il,  qu'il  pleut  moins  et  que  le  ciel 
se  dégage.  Il  fera  beau  après  dîner.  Je  t'emmène  à  ce  théâtre 
d'Avant-Garde.  Tu  as  besoin  de  te  distraire  un  peu  des 
idées  noires  qui  te  hantent  !   « 


II 


«  Vous  n'êtes  pas  Irlandais,  au  moins  ?  demanda  Auzias 
au  beau  Harold  que  je  venais  de  lui  présenter. 

—  Je  suis  Anglais,  répondit  le  jeune  homme  ;  pourquoi 
me  faites- vous  cette  question  ? 

—  J'aime  autant  savoir   ».  fit  Auzias  en  abaissant  les 
sourcils. 

—  144  — 


Cliché  BTnheiin-Jeuni'. 


SiGNAC 


Aquarelle 


Photo  Druei . 


Maurick  Denis 


Dessin. 


fiONNARD 


Clichés  Beroheim-Jeune. 


Dessins. 


r    ' 

j 

ri  J 


>  ■  l^^^^ 


^^-. 
n 


VUILLARD 


Cliché  Bernheim-Jeune. 


Dessin. 


^Iarval 


">hoto  Druet. 


Marque r 


Dessin. 


Harold  tourna  vers  moi  son  tendre  \asage  de  fille,  légè- 
rement étonné. 

«  C'est,  dis-je,  que  je  lui  ai  fait  un  conte  dans  le  goût 
de  ces  insulaires  et  qu'il  se  méfie. 

—  Ce  sont,  en  effet,  de  grands  craqueurs,  dit-il. 

—  Connaissez- vous  le  château  de  Blarney  ?  dis-je. 

—  Rien  que  par  l'image. 

—  Je  regrette  beaucoup,  dis-je,  de  ne  pas  avoir  fait  ce 
pèlerinage. 

—  De  quoi  parlez-vous  ?  demanda  Auzias. 

—  Le  château  de  Blarney,  dis-je,  qui  se  trouve,  je  crois. 
aux  environs  de  Cork,  possède  une  pierre  que  l'on  vient 
dévotement  baiser  de  tous  les  points  de  l'Empire  et  qui 
confère  le  don  de  hâblerie. 

—  J'irai,  dit  Auzias. 

—  Je  ne  garantis  pas,  dit  Harold,  que  les  étrangers  qui 
vont  baiser  la  pierre  fassent,  par  la  suite,  d'aussi  excellents 
menteurs  que  les  Irlandais  le  sont  par  grâce  naturelle  ! 

—  En  tous  cas,  prends  garde  de  faire  comme  ce  Paddy. 

—  Que  lui  advint-il  ? 

—  En  se  penchant,  dis-je,  pour  atteindre  la  pierre  élo- 
quente, il  tomba  du  haut  de  la  tour.  Au  reste,  étant  ivre, 
il  ne  lui  arriva  point  de  mal.  Un  arbre,  qui  se  trouva 
dessous  fort  à  propos,  le  reçut  dans  ses  branches  et  le 
laissa  doucement  gUsser  à  terre. 

—  Eh  bien,  dit  Auzias  l'intrépide,  je  prendrai  donc  la 
même  précaution  que  lui  avant  de  monter  !  » 

Ce  disant,  il  sucra  son  tilleul. 

H  Le  mot  pèlerinage,  repris-je,  me  rappelle  celui  de 
l'Américaine  au  tombeau  de  Shakespeare. 

—  140  — 


—  Que  fit-elle  ?  dit  Auzias. 

—  Elle  fit  preuve  de  beaucoup  de  lyrisme.  Elle  ôta  tout 
à  coup  ses  bottines,  enjamba  la  balustrade  et  se  planta 
debout  sur  la  pierre  tombale,  en  disant  :  «  Me  voilà  debout 
sur  sa  tombe  !  » 

—  Elle  avait  raison  !  fit  Auzias  : 

Mieux  vaut  goujat  debout  qu'empereur  enterré. 

—  Les  Américains,  dit  Harold,  sont  de  fort  extravagants 
admirateurs  de  Shakespeare.  N'ont-ils  pas  voulu  acheter  le 
cottage  où  est  née  sa  femme,  pour  le  transporter  chez  eux  ? 

—  On  n'imagine  pas,  dis-je,  que  La  Fontaine  et  Racine 
puissent  jamais  avoir  de  pareils  admirateurs  ! 

—  Que  pensez-vous,  interrogea  Auzias,  de  l'engouement 
du  public  français  pour  le  théâtre  de  Shakespeare  ?    » 

Il  regardait  avec  une  expression  ambiguë  de  plaisir  et 
de  souffrance  le  bel  athlète  au  candide  visage,  qui  se  tenait 
affalé  de  travers  sur  sa  chaise,  et  qui  fumait  une  affreuse 
pipe. 

«  Il  m'étonne,  je  l'avoue,  répondit  le  beau  garçon. 
Shakespeare  me  paraît  admirable  surtout  par  la  merveille 
de  son  style  et  de  son  vers  ;  et  le  pubhc  français  ne  le  con- 
naît en  général,  j'imagine,  que  par  les  faibles  traductions 
qu'on  lui  en  donne.  Otez  cela,  cependant,  il  ne  reste  plus 
que  des  images  et  des  sentiments  qui  sont  la  matière  com- 
mune des  poètes,  et  tous  ses  défauts  devenus  plus  sensibles. 
Pour  moi,  parce  que  j'aime  la  poésie,  je  hais  les  traductions. 

—  Notre  admiration  pour  Shakespeare,  dit  Auzias,  est 
quelquefois  une  face  de  notre  muflerie  ;  mais  dites-moi,  se 

—  146  — 


I 


\-oit-il  en  Angleterre  des  fortes  têtes  qui  méprisent  Shakes- 
peare ? 

—  Oh,  sans  doute  !  répondit  Harold  ;  il  se  ^trouve  des 
délicats  qui  affectent  de  lui  préférer  Maeterhnck. 

—  Eh  bien  donc,  dit  Auzias,  il  n'y  a  pas  que  les  Français 
(]ui  ont  l'esprit  large. 

—  -  Est-ce  par  les  beautés  de  son  style,  mon  cher  Harold, 
repris-je,  et  par  la  perfection  de  son  rythme,  que  Shakes- 
peare charme  le  public  anglais,  comme  il  vous  plaît  à  vous  ? 

—  Non  vraiment  !  dit  Harold  ;  au  contraire,  c'est  bien 
cela  précisément  qui  rebute  le  plus  grand  nombre,  à  mon 
avis. 

—  Eh  quoi,  dis-je,  Shakespeare  n'est-il  donc  pas  chez 
vous  un  auteur  extrêmement  populaire  ? 

—  Oh  !  certainement,  dit  Harold,  populaire,  il  l'est  ! 
Comme  le  héros  de  qui  l'on  voit  tous  les  jours  la  statue  en 
passant  sur  la  place  publique  ;  il  n'y  a  personne  qui  ne 
sache  son  nom,  mais  peu  savent  ce  qu'il  a  fait  exactement. 

—  L'élévation  de  leur  langage,  de  même,  éloigne  le 
public  de  nos  classiques,  dis-je  ;  mais,  je  présume,  il  y  a 
encore  autre  chose  :  notre  tragédie  est  trop  sévère  et  trop 
nue  ;  Shakespeare  doit,  malgré  ce  qu'il  a  de  meilleur,  con- 
server plus  d'admirateurs.  Son  théâtre,  son  art  frappe 
davantage  l'imagination  et  les  sens.  Il  me  semble  que  le 
pubUc  le  moins  cultivé  doit  toujours  s'attacher  par  quelque 
côté  à  ses  drames.  Macbeth,  en  méchante  prose,  produit  dans 
nos  faubourgs  incomparablement  plus  d'effet  qu'Athalie. 

—  En  vérité  !  dit  Harold  ;  mais  chez  nous,  le  populaire, 
je  vous  assure,  préfère  le  gros  drame  bête  aux  pièces  de 
Shakespeare  ! 

—  147  — 


—  Eh  bien  !  dis-je,  si  le  beau  style  détourne  le  public 
de  Shakespeare  en  Angleterre,  la  mauvaise  prose  des  traduc- 
teurs le  lui  ramène  en  France,  comme  vous  voyez. 

—  Alors,  dit  Auzias,  le  moyen  de  faire  admirer  aux 
Français  leurs  tragiques  est  bien  simple.  Le  directeur  de 
rOdéon,  qui  aime  beaucoup  les  traductions,  n'a  qu'à  faire 
tourner  Horace  et  Phèdre  en  méchante  prose  par... 

—  Chut  !  fis-je,  il  est  peut-être  dans  ce  café. 

—  On  présenterait  cela ,  reprit  Auzias,  comme  une  évolu- 
tion du  genre  tragique. 

—  Puisque  nous  parlons  de  Shakespeare,  dis-je,  au  lieu 
de  nous  demander  ce  que  les  autres  aiment  ou  haïssent  en 
lui,  voulez-vous,  mon  cher  Harold,  que  nous  recherchions 
ensemble  ce  que  la  droite  raison  nous  oblige  à  en  penser 


nous-mêmes 


-> 


— •  Je  veux  bien,  dit-il. 

—  Et  d'abord,  repris-je,  est-il  vrai  que  ce  poète  soit 
tombé  de  la  lune  dans  son  berceau  ? 

—  Je  ne  l'ai  pas  entendu  dire,  répondit  Harold. 

—  C'est,  dis-je,  une  légende  qui  a  trouvé  chez  nous 
quelque  créance  ;  mais  passons.  A  votre  gré,  il  est  donc  un 
homme,  et  il  n'est  pas  impossible  à  un  autre  homme,  un 
Anglais ,  par  exemple ,  de  le  comprendre  et  après  cela  de  le  j  uger . 

—  Il  me  semble  bien  que  ce  n'est  pas  impossible,  dit-il. 
i  — -  Et  croyez- vous,  dis-je,  que,  bien  que  vous  soyez  né 
au  delà  de  la  Manche  et  que  je  le  sois  en  deçà,  il  suffira  que 
l'un  de  nous  ait  raison  pour  que  nous  nous  accordions 
aussitôt  ? 

—  Allons,  dit-il  gaiement,  j'espère  que  c'est  là  notre 
juste  éloge  \ 

—  148  — 


—  Appelleriez- vous  savant,  repris- je,  celui  qui  soutien- 
drait que  Shakespeare  est  tout  à  fait  à  part  dans  la  poésie 
moderne  ? 

—  Assurément  non,  dit-il. 

—  -  Tenez-vous  vraiment  beaucoup  à  ce  que  la  poésie 
moderne  et  l'antique  nous  paraissent  différer  comme  du 
blanc  au  noir  ? 

—  Je  n'y  songe  point  !  dit-il. 

—  Qui  nous  empêchera  de  dire,  repris-je,  qu'il  n'y  a  depuis 
Homère  jusqu'à  nous  qu'une  seule  poésie  dont  Homère  est 
la  source,  et  que  nous  appellerons  la  poésie  moderne  ? 

—  Cette  vue  me  plaît,  dit-il. 

—  Donc,  repris-je,  notre  Shakespeare  est  un  homme,  un 
poète  comme  les  autres  et  la  même  raison  sufifit  pour  le 
comprendre  et  le  juger,  que  pour  les  autres. 

—  Naturellement,  fit  le  beau  Harold. 

—  Je  savais  bien,  m'écriai-je,  que  quelque  Anglais  fini- 
rait bien  un  jour  par  m 'accorder  ce  point  ! 

—  Le  moyen  de  le  nier  ?  fît-il. 

—  Nombre  de  fortes  têtes,  en  France,  le  trouvent,  dis-je. 
Mais  pensez-vous  avoir  fait  un  plein  éloge  de  Shakespeare 
quand  vous  avez  loué  son  style  et  son  rythme,  ou  si  vous 
êtes  d'avis  qu'ils  seraient  moins  beaux  si  la  matière  de  son 
art  était  moins  belle  ? 

—  Il  est  vrai,  dit-il  ;  mais  je  disais  que  c'est  la  matière 
commune  à  tous. 

—  Estimez- vous,  demandai- je,  qu'on  puisse  être  doué 
pour  la  poésie  et  manquer  de  sens,  exprimer  des  sentiments 
faux  et  dire  des  bêtises  ? 

Je  le  pense,  dit-il. 

—  i4q  — 


—  Cela  ne  me  paraît  pas  arriver  à  Shakespeare,  dis- je.  Il 
est  toujours  vrai,  clairvoyant  ;  il  est  ennemi  juré  de  la  chi- 
mère. Il  faut  donc  dire  que,  si  ce  n'est  point  là  la  matière 
des  poètes  médiocres,  il  est  un  poète  supérieur. 

— ■  Nous  en  sommes  d'accord,  dit-il. 

—  Oui,  répondis-je  ;  nous  sommes  tout  à  fait  d'accord 
sur  la  louange  ;  mais  le  serons-nous  aussi  bien  sur  le 
blâme  ?... 

—  L'éloge  que  tu  viens  de  faire  de  Shakespeare,  dit 
Auzias,  me  plaît  extrêmement,  je  le  trouve  sage  et  beau. 
Voilà  qui  me  rafraîchit  le  sang  !  Shakespeare  n'est  pas 
l'esprit  confus  et  trouble  que  les  esprits  troubles  et  confus 
se  figurent  admirer  dans  son  œuvre  ;  mais  il  est  plein  de  sens 
et  de  clairvoyance.  Ah!  la  bonne  tête  que  c'est  !  Il  connaît 
le  cœur  de  l'homme,  sa  condition  misérable,  et  le  cruel 
destin.  Oui,  son  âme  de  poète  est  pure  comme  l'or.  Platon 
a  dit  :  «  L'opinion  vraie  sur  le  beau,  le  juste,  le  bien  et  leurs 
contraires,  quand  elle  est  solidement  assise  dans  les  âmes, 
je  rappelle  divine.  »  Eh  bien,  dire  que  l'essence  de  la  poésie 
de  Shakespeare  est  le  vrai,  n'est-ce  pas  le  placer  au  nombre 
des  poètes  que  l'on  peut  appeler  divins  ?  Il  est  au-dessus  de 
l'admiration  aussi  bien  que  de  l'envie  du  vulgaire.  Couvrons 
de  ridicule  et  perçons  de  traits  amers  ceux  qui  s'exaltent 
et  s'enthousiasment  devant  lui  sur  leur  propre  sottise.  Ne 
crie-t-on  pas  à  tout  bout  de  champ  que  voilà  du  Shakes- 
peare, la  grâce  et  la  fantaisie,  la  profondeur  shakespea- 
riennes pour  les  plus  grossiers  ouvrages  et  le  plus  dénués 
d'éclat,  de  signification  et  de  charme  ?  Il  sufht  qu'un  drame 
soit  écrit  dans  une  prose  dure  et  hargneuse,  et  qu'il  soit 

—  150  — 


injouable,  pour  être  déclaré  shakespearien.  Qu'est-ce  qu'un 
drame  qui  n'est  pas  jouable  ?  Les  Grecs  en  ont-ils  jamais 
rêvé  ?  Ils  ont  le  dialogue  qui  est  tout  autre  chose.  On  con- 
çoit qu'un  drame  ne  soit  pas  joué,  fût-il  le  plus  beau  du 
monde  ;  mais  un  drame  injouable,  qu'est-ce  que  c'est  que 
ce  monstre  ?  Donc,  gentlemen,  ajouta-t-il  en  posant  sur 
nous  son  regard  riant,  je  vous  écoute  avec  une  grande 
attention,  et  je  me  réjouis  d'avance  des  bonnes  choses  que 
je  vais  entendre. 

—  L'éloge  est  fait,  dit  Harold,  passons  au  blâme. 

—  Blâmer  Shakespeare  !  mais  qui  suis-je  ? 

—  Allons,  dit  Auzias,  ne  nous  prends  pas  pour  des  sots  ! 

—  Shakespeare,  continuai-je,  a  bien  représenté  la 
vérité  :  voyons  s'il  a  su  lui  donner  son  plus  subhme  carac- 
tère. 

—  Comment  ?  dit  Harold. 

—  Nous  y  parviendrons,  si  vous  consentez  à  me  suivre. 
Il  paraît  que  vous  êtes  un  grand  alpiniste  ;  je  verrai  si  vous 
gravirez  avec  courage  le  mont  sacré  des  Muses. 

—  En  route,  dit-il  en  souriant. 

—  D'abord,  nous  ne  faisons  que  passer  les  yeux  avec 
dédain  sur  les  défauts  d'importance  secondaire  pour  des 
critiques  tels  que  nous.  Accordons  aux  détracteurs  et  aux 
admirateurs  quand  même,  quant  à  son  goût  et  à  son  sys- 
tème dramatique,  tout  ce  qu'ils  veulent. 

—  Les  voilà  bien  attrapés,  dit-il. 

—  Il  faut,  repris-je,  que  je  m'assure  d'une  chose.  Som- 
mes-nous d'accord  sur  les  principes  ?  La  raison  existe-t-elle 
dans  la  nature  au  même  titre  que  la  déraison  ? 

—  Sans  doute. 

-  151  - 


—  La  civilisation,  la  perfection  ne  sont-elles  pas  égale- 
ment dans  la  nature  au  même  titre  que  la  barbarie  et 
l'ébauche  ?  Ou  bien  croyez-vous  qu'elles  en  sortent  ? 

—  Impossible. 

—  Eh  bien,  je  vois  que  nous  n'aurons  pas  de  dispute. 
Nous  sommes  convenus  que  l'essence  de  la  poésie  de  Sha- 
kespeare est  parfaitement  pure  et  nous  l'avons  sauvée  de 
toutes  les  critiques.  Mais  que  penseriez-vous  de  l'œuvre 
d'un  sculpteur  qui,  voulant  personnifier  dans  une  forme  de 
femme  la  nation  anglaise,  la  rendrait  parfaitement  belle, 
mais  lui  donnerait  l'expression  de  la  folie  ? 

—  Peut-être  aurait-il  raison  ;  ce  serait  beau  quand 
même  et  en  tout  cas  fort  drôle,  mais  par-dessus  tout  extrê- 
mement choquant,  et  aussi  peu  convenable  que  possible 
pour  un  monument  national,  et  cet  ouvrage  ne  devrait  pas 
sortir  de  l'atelier  de  son  auteur. 

—  Fort  bien,  répondis-je.  Et  si  un  artiste  prétendait 
représenter  par  une  statue  de  ce  genre,  non  pas  seulement 
la  nation  anglaise,  mais  bien  l'humanité  tout  entière,  en 
seriez-vous  moins  scandalisé  ? 

—  C'est  étrange,  dit-il  ;  je  sens  que  cette  idée  me  scan- 
dalise moins,  et  toutefois,  je  discerne  fort  bien  par  raison 
que  c'est  absurde  et  que  j'ai  tort. 

—  Etes-vous  sujet  au  vertige  ?  demandai- je. 

—  Excelsius  !  répondit-il. 

—  Shakespeare,  poursuivis-je,  représente  l'homme 
comme  l'esclave  de  ses  fureurs  et  le  jouet  du  destin  ;  il  ne 
voit  dans  tout  ce  qui  le  regarde  que  dérision  et  il  s'aban- 
donne à  un  désespoir  sans  mesure.  Il  ne  détache  pas  son 
esprit  de  la  misère  de  l'homme  et  méconnaît  sa  grandeur. 

—  152  — 


Le  ciel  n'a  pas  accordé  à  l'homme  ce  qu'il  appelle  bonheur, 
sans  bien  savoir  ce  qu'il  veut  dire  ;  qu'importe,  s'il  lui  a 
donné  la  force  de  supporter  tous  ses  maux  ?  Et  c'est  cela 
la  grandeur.  Nous  n'ignorons  pas  que  l'homme  fort  ne 
peut  rien  contre  la  Fortune,  mais  il  est  positif  et  nullement 
imaginaire  qu'il  se  met  au-dessus  de  tout  ce  qui  peut  lui 
arriver.  C'est  cela  la  raison.  Shakespeare  en  est  plein,  mais 
il  ne  la  met  pas  à  sa  place,  de  façon  qu'elle  répande  son 
rayonnement  sur  tout  le  reste  de  ce  qui  est  pour  nous  la 
réalité.  Son  œuvre  nous  offre  le  spectacle  déplorable  de  la 
raison  perpétuellement  blasphémée  par  elle-même.  Aussi 
n'a-t-il  point  de  majesté.  Comparez  Hamlet  avec  l'Electre 
(le  Sophocle,  c'est  en  somme  le  même  sujet  ;  vous  verrez  la 
pauvre  petite  chose  que  devient  le  drame  anglais  à  côté  de 
la  tragédie  grecque.  Eh  quoi,  l'homme  fera-t-il  si  peu  de  cas 
des  biens  qu'il  a  reçus  du  Ciel,  et  principalement  de  la 
raison,  qui  est  le  plus  divin  ?  Mais  n'adore-t-il  pas,  en  effet, 
cette  raison,  n'est-elle  pas  son  idéal  ?  (A  moins  toutefois 
que  vous  ne  pensiez  que  l'idéal,  au  contraire,  c'est  l'extra- 
vagance, ou  bien  l'azur,  les  nuages  ?)  La  raison  ne  nous 
éclaire  pas  toujours,  il  est  vrai,  et  elle  nous  manque  bien 
parfois  au  grand  besoin,  mais  si  elle  n'est  pas  reine  absolue 
dans  toutes  les  choses  humaines,  elle  peut  et  doit  l'être 
dans  l'art.  La  raison  parfaite  est  le  vrai  jour  de  la  beauté. 
La  poésie  tire  d'elle  son  caractère  le  plus  subhme  qui  est, 
dans  tous  les  genres,  la  décence.  Tel  est  celui  du  double 
théâtre  de  la  civiHsation  parfaite,  de  la  cité  idéale. 

—  Qu'il  ne  faut  pas  confondre,  fît  observer  Auzias,  avec 
la  cité  future. 

—  Je  suis  un  peu  étourdi,  dit  Harold,  car  vous  ave/. 

^53  - 


ramassé  en  peu  de  paroles  beaucoup  d'idées  qui  sont  nou- 
velles pour  moi.  C'est  vraiment  le  chemin  des  chèvres  que 
nous  avons  tenu.  Mais,  dites-moi,  ce  tragique  parfait 
n'existe-t-il  pas  dans  notre  Uttérature  ? 

—  Non,  répondis- je. 

—  Vous  pensez,  reprit-il  gaîment,  que  si  les  Anglais 
possédaient  un  Racine,  ils  ne  s'aviseraient  pas  de  le  mettre 
au-dessus  de  Shakespeare  ? 

—  Quoi  ?  s'écria  Àuzias  effrayé,  si  jeune  et  si  pervers  ? 

—  Shakespeare,  continua  le  jeune  milord,  est  un  sau- 
vage ;  il  aurait  pu  aussi  bien,  tel  qu'il  est,  être  le  poète  de 
ces  Britons  qui  se  peinturaient  le  visage  en  bleu  pour  faire 
peur  aux  soldats  de  César.  Quand  même,  je  l'adore,  et  je 
voudrais  m'accorder  que,  sinon  par  l'esprit,  du  moins  par 
les  richesses  poétiques,  il  est  aussi  grand  prince  qu'aucun 
autre. 

—  Courage,  mon  cher  alpiniste,  dis-je,  je  vais  vous 
indiquer  par  ici  un  endroit  délicieux  où  vous  pourrez  éten- 
dre vos  membres  fatigués.  Voilà.  Cela  consiste  à  penser 
qu'il  faut  tout  admirer  dans  la  nature  et  principalement  ce 
qui  est  fort  et  désordonné,  non  pas  ce  qui  est  fort  et  par- 
fait. Cela  s'appelle  de  nos  jours  avoir  l'esprit  critique,  et 
c'en  est  le  contraire.  Non,  mon  cher  Harold,  il  ne  nous  est 
pas  possible  de  ne  pas  préférer  la  raison  à  la  déraison,  la 
civiHsation  à  la  barbarie,  la  perfection  à  l'ébauche  :  telle 
est  la  loi  divine.  Je  vous  proposerai  une  comparaison. 
Figurez-vous  deux  chênes  forts  et  beaux  ;  le  premier  qui 
frappe  votre  vue  est  étrangement  puissant,  il  est  vaste, 
élevé  ;  mais  en  l'examinant  davantage,  vous  sentez  que 
c'est  ce  qu'il  a  de  sauvage,  de  tourmenté,  de  difforme  qui 

—  154  - 


vous  a  donné  de  l'étonnement.  L'autre  paraît  d'abord 
moins  extraordinaire  et  moins  puissant  ;  mais  en  y  regar- 
dant mieux,  vous  vous  rendez  compte  qu'il  n'est  pas  infé- 
rieur au  premier  dans  ses  proportions,  mais  qu'elles  sont 
plus  heureuses.  Telle  est  l'image  du  génie  sauvage  et  du 
génie  parfait.  Le  second  de  ces  génies  est  le  plus  bel  ouvrage 
de  la  nature  et  le  seul,  en  définitive,  qui  soit  digne  d'arrêter, 
de  retenir  notre  esprit. 

— -  Tout  cela  me  plaît  beaucoup,  dit  Harold  ;  je  vous 
remercie,  et  je  vais  travailler  à  approfondir  et  à  embellir 
l'idée  nouvelle  que  vous  m'avez  donnée  de  la  beauté 
poétique.  » 

III 

Harold  était  songeur. 

»  What  are  y  ou  dreaming  ahout  ?  lui  dis-je. 

—  Je  pense,  répondit-il,  à  Shakespeare. 

—  Serait-il  en  danger  ? 
Je  ne  crois  pas. 

—  Qu'est-ce  qui  vous  tourmente  ? 

—  J'ai  réfléchi  à  ce  que  vous  disiez  l'autre  jour  et  à 
votre  comparaison  des  deux  chênes. 

—  Ah! 

—  Je  reconnais  la  justesse  de  votre  critique... 
--  Ah  !  Ah  ! 

—  Mais  je  dois  vous  avouer  une  chose... 
— -  Dites,  je  vous  en  prie. 

—  Eh  bien,  tout  cela  m'est  égal  ! 

—  Et  donc  ?  dit  Auzias. 

—  155  — 


-^ —  Je  veux  dire  que  malgré  tout  -je  l'aime. 

—  Hélas,  dit  Auzias,  nous  connaissons  tous  par  expé- 
rience les  faiblesses  de  l'amour  ! 

—  J'ai  relu  Hamlet  : 

'tis  a  consumation 
Devoutly  to  be  wish'd.  To  die,  to  sleep; 

Je  trouve  cela  très  beau  :  «  la  tête  fatiguée  se  pose 
doucement  sur  l'oreiller  pour  dormir  »,  to  die,  to  sleep. 

—  Evidemment,  dis-je. 

—  Moi  aussi,  dit  brusquement  Auzias,  j'ai  médité  la 
question  et  je  vais  te  proposer  une  objection  formidable. 
Peut-on  soutenir  qu'il  n'y  a  point  d'héroïsme  dans  le 
théâtre  de  Shakespeare  ?  Que  dis-tu  de  son  Coriolan  ? 
J'y  trouve,  quant  à  moi,  un  accent  guerrier,  une  taratan- 
tare  de  tous  les  diables,  et  je  ne  sache  pas  de  poésie  qii 
exalte  davantage  en  moi  les  instincts  belliqueux. 

—  Cela  ne  m'étonne  point,  lui  dis-je,  tu  as  toujours 
été  un  grand  batailleur.  Je  me  souviens  de  ta  vaillance, 
quand  nous  nous  battions  à  coups  de  pierres  avec  les 
galopins  de  la  paroisse  Saint-Elzéar,  sur  la  place  de  la 
Bouquerie.  Tu  t'élançais,  les  mains  vides,  sur  les  frondeurs 
ennemis  et  tu  les  faisais  fuir  comme  une  volée  d'étour- 
neaux,  jusque  dans  les  gouttières  et  dans  les  mitres  des 
cheminées. 

—  J'en  porte  encore,  dit-il,  au-dessus  de  l'œil,  une 
glorieuse  marque  à  montrer  au  peuple  romain,  quand  je 
serai  candidat. 

—  Te  souviens-tu  de  ce  méchant  mitron  que?... 

—  156  — 


-—  Ne  pense  pas  m 'échapper  ;  il  s'agit  maintenant  de 
Shakespeare;  nous  parlerons  un  autre  jour  de  nos  cam- 
pagnes. 

—  Que  disions-nous  ? 

—  Hé,  hé  ! 

—  Ou'as-tu  à  rire  ? 

—  Te  voilà  confondu  ! 

—  Pourquoi  ? 

—  Il  y  a  de  l'héroïsme  dans  Shakespeare. 

—  Eh  bien  ? 

—  Le  nieras-tu  ? 

—  Mais  non  ! 

—  Ergo,  ton  système  s'écroule. 

—  Il  faut  s'entendre. 

—  Subtilité  ! 

—  La  question... 

—  Argutie  ! 

—  Est  de  savoir... 

—  Finesse  ! 

—  De  savoir... 

—  Vaine  chicane  ! 

—  Si  pour  l'auteur  à'Hamlet  l'héroïsme  dont  tu  parles, 
n'est  pas  simplement  un  aspect  de  la  folie  humaine. 

—  Je  le  crois,  dit  Harold,  et  je  pense  comme"  lui 
que  la  destinée  est  absurde  et  que  tous  les  hommes  sont 
fous. 

—  Il  y  a  du  vrai,  dit  Auzias. 

—  Et  vous  en  concluez,  dis- je. 
— •  To  die,  to  sleep,  dit  Harold. 

—  Qu'attendez-vous  ? 

—  157  — 


—  Je  me  pendrai,  dit-il,  un  jour  qu'il  fera  beaucoup  de 
brouillard  à  Londres. 

—  Vous  serez  bien  vilain,  pendu,  dit  Auzias  ;  pourquoi 
ne  pas  vous  faire  rôtir  tout  vif  devant  un  grand  feu,  le  soir 
du  réveillon  ?  J'ai  ouï  dire  que  la  chose  se  pratique  assez 
couramment  en  Angleterre. 

—  Non,  dit  Harold,  ça  sentirait  mauvais  et  ferait  un 
esclandre  inutile.  La  corde  permet  de  se  retirer  plus  discrè- 
tement. 

—  Vous  réveillez  en  ma  mémoire,  dit  Auzias,  l'un  des 
plus  charmants  souvenirs  de  mon  adolescence.  Lorsque 
l'amour  s'établit  pour  la  première  fois  dans  mon  pauvre 
cœur  (lequel  depuis  en  a  vu  bien  d'autres),  il  y  opéra  de  si 
épouvantables  ravages  que  j'en  arrivai  à  ne  plus  désirer 
autre  chose  au  monde  que  la  mort. 

Un  jour  je  me  promenais,  solitairement,  sur  les  bords 
de  la  Margarita,  méditant  mon  chagrin,  quand  une  belle 
jeune  Nymphe,  couronnée  de  violettes,  m'apparut  et 
d'abord  me  dit  d'un  air  riant  et  d'une  voix  mélodieuse  : 
u  Auzias,  tu  veux  mourir  ?  » 

Je  lui  répondis  :  «  Oui,  mademoiselle.  » 

—  Parce  que,  dit-elle,  tu  aimes  un  laideron  qui  se  moque 
de  toi  ? 

—  Ah  !  lui  dis- je,  ne  parlez  pas  ainsi  de  mes  amours. 
Elle  se  moque  de  moi,  sans  doute,  mais  elle  est  belle  comme 
le  jour. 

—  Qu'en  sais-tu  ?  reprit-elle.  As-tu  jamais  osé  la  regar- 
der en  face  ? 

—  Non,  je  l'avoue. 

—  Veux-tu  guérir  ?  reprit-elle. 

-  158  - 


—  Je  veux  mourir,  et  viens  ici  dans  le  dessein  de  me 
noyer. 

—  Nigaud,  dit  la  Nymphe,  quelle  idée  te  fais-tu  donc 
du  séjour  des  morts,  pour  désirer  si  prématurément  y 
descendre  ? 

—  Je  me  le  figure,  lui  répondis-je,  plus  beau  que  la 
Provence.  Là,  point  de  bise  et  point  de  chaleurs  excessives. 
Le  soleil  se  lève  toujours  au  même  orient,  et  poursuit  sa 
route  dans  un  ciel  toujours  bleu  et  constamment  ventilé. 
Une  saison  unique,  tempérée,  et  tenant  à  la  fois  du  prin- 
temps et  de  l'automne,  fait  épanouir  ensemble  toutes  les 
fleurs  et  mûrir  tous  les  fruits.  Là,  ni  le  tonnerre,  ni  la  grêle 
n'interrompent  le  chant  des  oiseaux.  Là,  plus  de  vains 
désirs  ;  et  les  amants  qui,  comme  moi,  moururent  malheu- 
reux et  fidèles,  jouissent  d'une  félicité  et  d'un  bonheur 
inaltérables  ;  ils  ne  rencontrent  plus  de  cruelles  et  donnent 
la  cotte  verte  à  toutes  les  plus  gentilles,  vendangeuses, 
magnanarelles,  cueilleuses  de  figues,  d'olives,  de  lavande, 
et  botteleuses  de  foin.  » 

La  Nymphe  de  RocsaHère  se  prit  à  rire  :  «  Plaisant  fol, 
dit-elle,  rentre  au  logis  et  prends  de  l'ellébore,  vrai  spéci- 
fique de  la  mélancoHe  amoureuse.  Apprends  que  dans 
l'autre  monde,  non  plus  qu'en  celui-ci,  il  n'y  a  point  de  plus 
délicieuses  campagnes,  ni  de  plus  accortes  jeunes  filles 
que  celles  de  la  Provence.  Outre  la  rive  sombre,  plus  de 
vendanges,  plus  d'olivades,  plus  de  fenaisons,  plus  d'ébats 
lascifs,  plus  de  fleurs,  plus  de  soleil,  plus  de  symphonies 
bocagères,  plus  de  rêveries  sous  la  courtine  verte,  au  bord 
de  l'eau.  » 

L'écoUer  de  la  Margarita  se  tut. 
—  150  — 


Mon  âme  regrettait  les  pentes  chéries  de  Rocsalière  où 
murmurent  des  fontaines. 

«  J'aime  votre  fable,  dit  Harold  ;  mais  y  avait-il  une 
profondeur  d'eau  suffisante  pour  vous  noyer  ? 

— -  Un  peu  !  répondit  Auzias.  La  Margarita  est  l'un  des 
affluents  les  plus  considérables  du  Calavon,  nommé  aussi 
Coulon  parce  qu'il  lui  prend,  de  temps  à  autre,  la  fantaisie 
de  passer  en  volant  par-dessus  les  ponts  comme  un  pigeon 
ramier  des  Alpes. 

—  Vous  me  faites  souvenir,  dit  Harold,  d'un  vers  de  Keats. 

—  A  la  gloire  du  Calavon  ?  demarda  Auzias. 

—  Non,  mais  il  s'applique  très  bien  à  vovis. 
— ■  Voyons  un  peu. 

— ■  Il  dit  que  nous  sommes  attachés  à  la  terre  par  des 
chaînes  de  roses. 

— -  Oui-dà,  fit  Auzias.  C'est  en  effet  très  anacréontique. 

— ■  Ne  vous  fiez  pas,  Harold,  à  l'apparence.  Auzias  est 
un  sombre  pessimiste  ;  je  l'ai  entendu  faire  contre  l'amour 
de  terribles  sorties. 

—  Jamais  !  dit  Auzias. 

—  Fais  maintenant  amende  honorable. 
— ■  Mais  jamais... 

— -  Que  si  ! 

—  Où  ça  ? 

— -  Dans  ce  même  café,  à  cette  même  table. 
— -  Je  veux  bien  te  croire  ;  mais  alors  j'étais  entre  deux 
vins,  car  je  n'ai  pas  à  me  plaindre  de  ce  gentil  dieu. 
Harold  se  mit  à  bourrer  une  pipe. 

—  Moi  aussi,  dit  Auzias,  j'ai  envie  de  fumer.  Excusez- 
moi,  je  vais  jusqu'au  bureau  de  tabac.  » 

—  i6o  — 


J.  Marchand 


C^^ 


Flandrin 


Dessin. 


Henri  Matisse 


IV 


«  Ici,  mon  cher  Auzias,  je  rapporterai  les  beUes  choses 
que  tu  n'as  pas  entendues,  et  je  me  flatte,  mon  beau  petit 
faune  enguirlandé  de  roses,  que  tu  ne  les  trouveras  pas  tout 
à  fait  oiseuses. 

De  nouveau  Harold  tenait  son  jeune  visage  penché  sur 
l'onde  plutonienne. 

«  Perchafice  to  dream  !  »  lui  dis-je. 

Il  sourit,  disant  :  «  Hamlet,  prince  de  Danemark,  est  tant 
soit  peu  un  amateur,  comme  beaucoup  de  moralistes. 

—  Il  me  paraît  sentir  avec  assez  de  profondeur,  au  con- 
traire. 

—  En  a-t-il  meilleure  tête  pour  cela  ? 
— •  Je  ne  sais, 

—  Croyez-vous  que  la  peur  de  quelque  chose  après  la 
mort  retienne  les  désespérés  ? 

—  Il  faut  bien  penser  que  non. 

1      —  J'aime  mieux  ce  que  dit  des  chaînes  de  roses  l'auteur 
,j  é'Endymion. 

\      —  Mais  lorsque  les  roses  sont  flétries  ? 
j      —  Nous  restons  liés  par  les  ronces,  et  à  leur  tour,  elles 
îj  nous  semblent  belles  et  intéressantes.  » 

A  cet  instant  Ménalque  fit  son  entrée. 
1     II  nous  donna  le  bonjour  d'un  air  joyeux,  et  s'assit  à  la 
i  place  d'Auzias. 

«  Nous  parUons  de  Shakespeare,  lui  dis-je. 

—  L'appelez- vous,  comme  Schlegel,  «  le  Titan  de  la 
tragédie  qui  attaque  le  ciel  et  menace  de  déraciner  la 
terre  ?  » 

—  i6i  — 


—  Le  mépris  de  Gœthe  nous  dispense  de  juger  ce  calom- 
niateur de  la  grande  scène  française. 

—  Avez-vous  lu  le  livre  de  Tolstoï  ? 

—  En  vaut-il  la  peine  ? 

—  Certes. 

—  Mais,  dit  Harold,  il  se  place  au  point  de  vue  de  la 
doctrine  chrétienne. 

—  De  là,  dit  le  critique,  il  domine  Shakespeare  commo- 
dément. 

—  Sans  doute. 

—  Il  n'eût  pas  été  moins  à  son  aise  assis  au  sommet  de 
la  philosophie  tragique  des  anciens. 

—  Ah  !  nous  avons  dit  là-dessus  des  choses  profonde^, 
il  y  a  quelques  jours,  dit  Harold. 

—  Je  le  crois. 

—  Harold  se  moque,  dis-je. 

]\Iénalque  reprit  :  «  Le  célèbre  cordonnier  russe  envisage 
aussi  le  poète  et  le  dramaturge. 

—  Est-il  juste  ? 

—  A  la  rigueur,  il  le  reconnaît  pour  un  bon  écrivain,  un 
assez  bon  versificateur. 

—  C'est  gentil  de  sa  part,  dit  Harold. 

—  Le  regarde-t-il,  lui  aussi,  comme  le  plus  grand  peintre 
de  l'humanité,  ou  s'est-il  aperçu  que  l'on  ne  saurait  trouver 
dans  son  théâtre,  des  caractères  supérieurs  d'hommes, 
tels  que  le  Thésée  d'Œdipe  à  Colone,  par  exemple,  ou  le 
grand-prêtre  dans  Aihalie. 

—  Il  découvre  davantage  :  que  Shakespeare  n'a  jamais 
peint  de  caractères  du  tout. 

~  Oh,  oh  ! 

^-  t62  — 


—  Je  crois,  en  effet,  que  Shakespeare  n'a  tracé  que  des 
rôles  et  des  scènes,  mais  que,  pour  la  peinture  des  carac- 
tères, il  n'a  rien  d'un  Racine,  d'un  Corneille  ou  d'un  Molière. 

—  Est-ce  l'opinion  de  Tolstoï  ? 

—  Pas  en  ce  qui  concerne  la  tragédie  française  :  il  ne 
fait  que  répéter  les  sottises  que  nous  avons  nous-mêmes 
répandues  en  Europe. 

—  A  la  bonne  heure  ! 

—  Il  ignore  notre  littérature  et  croit  que  c'est  Gœthe 
qui  a  fait  connaître  Shakespeare. 

—  Mais  Shakespeare  fut  représenté  en  Allemagne  dès  le 
xviie  siècle. 

—  Si  l'on  veut  parler  de  celui  qui  rendit  la  réputation 
de  Shakespeare  européenne,  il  faut  nommer  Voltaire  et  non 
pas  Gœthe.  A  l'époque  où  Voltaire  mettait  Francfort  en 
émoi,  le  futur  auteur  de  Werther  jouait  avec  ses  petits 
ménages,  et  depuis  vingt  ans  les  Lettres  anglaises  couraient 
le  monde. 

—  Notre  ami  Auzias,  dis- je,  nous  faisait  tout  à  l'heure 
im  magnifique  éloge  de  C ortolan... 

—  Votre  ami  Auzias,  qui  est-ce  ? 

—  Vous  l'avez  vu  plusieurs  fois,  notamment  le  soir  que 
votre  ami  Clitandre  et  l'astronome  eurent  ce  grand  débat  au 
sujet  du  mauvais  goût,  du  mauvais  sens,  et  cœtera.  C'est  un 
bel  homme,  avec  une  belle  barbe  noire  et  des  yeux  vifs. 

— •  Je  sais,  je  me  souviens  maintenant  ;  une  belle  barbe 
noire,  et  la  mine  la  plus  sympathique  du  monde, 

—  Parfaitement. 

—  Il  n'a  pas  du  tout  l'air  d'un  sot. 

—  J'espère  bien. 

—  163  — 


—  Je  m'y  connais  un  peu  ;  j'en  ai  tant  vu,  principale- 
ment dans  ce  café. 

—  De  quel  pays  est-il  ?  dit  le  maître. 

—  D'Apt  en  Vaucluse. 

—  D'Apt  en  Vaucluse  ;  j'y  ^^i  mangé  des  truffes  exquises. 

—  J'en  suis  ravi. 

—  Coriolan,  reprit-il  après  avoir  un  instant  rêvé,  me 
paraît  l'un  des  meilleurs  ouvrages  de  Shakespeare  pour  la 
qualité  de  la  matière.  Je  tiens  qu'il  fait  plus  d'honneur  à 
son  génie  que  Macbeth  par  exemple. 

—  Ce  que  vous  dites  là  fâcherait  bien  des  gens. 

—  Que  voulez-vous  !  Shakespeare  ne  serait  plus  Shakes- 
peare et  le  débat  n'existerait  plus  si  l'on  regardait  comme 
son  chef-d'œuvre  une  pièce  dont  il  a  pris  le  sujet  dans  l'his- 
toire romaine,  comme  Corneille. 

—  Je  comprends. 

—  Macbeth,  reprit-il,  n'a  rien  de  tragique. 

—  Oh,  oh  !  dit  Harold. 

—  Macbeth  n'est  qu'un  conte  fantastique  dans  le  genre 
d'Edgar  Poe. 

—  Vous  êtes  dur. 

— •  Je  plaisante  ;  les  contes  d'Edgar  Poe  sont  de  simples 
niaiseries  ;  je  veux  dire  que  le  terrible  de  Macbeth  peut 
frapper  l'imagination,  mais  qu'il  ne  touche  point  le  cœur. 

—  Eh  !  quoi,  dis-je,  le  cœur  ne  me  bat-il  pas  à  grands 
coups  lorsque  Macbeth  aperçoit  le  spectre  de  Banquo  assis 
à  sa  place  ?  Et  lorsque  lady  Macbeth,  en  chemise,  se  frotte 
la  main,  en  disant  :  «  Tous  les  parfums  de  l'Arabie...  », 
n'avez-vous  pas  la  chair  de  poule  ? 

—  Oui,  ma  foi. 

—  164  — 


—  Je  vous  envie  ;  mais  ne  vous  sentez-vous  pas  plus 
sérieusement  ému  dès  les  premiers  vers  d'Œdipe  â  Colone  ? 

—  J'en  demeure  d'accord.  Le  tragique  de  Shakespeare, 
ou  le  terrible,  si  vous  préférez,  s'apparente  plutôt  à  celui 
d'Eschyle,  dans  les  Erinnyes  du  moins, 

—  Les  sorcières  avec  leurs  chaudrons  ne  ressemblent  pas 
mal  aux  soeurs  infernales,  filles  de  la  Terre  et  de  la  Nuit,  à 
la  différence  que  celles-ci  disent  des  choses  admirables  et 
non  des  calembredaines. 

—  Croyez-vous,  dit  Harold,  que  lorsque  les  Erinnyes 
entrèrent  en  scène,  vêtues  de  leurs  robes  noires  avec  leurs 
ceintures  rouges,  criant  :  «  Hou  !  hou  !  »  et  secouant  leurs 
torches,  il  y  eut  vraiment  des  femmes  qui  accouchèrent  et 
des  petits  enfants  qui  tombèrent  en  convulsions  ? 

—  Je  l'ignore  ;  mais  si,  comme  je  le  crois,  l'anecdote 
est  inventée,  elle  contient  une  spirituelle  critique  de  ce 
genre  d'effets  tragiques.  Qu'en  pensez-vous  ? 

—  Ils  peuvent,  quand  même,  servir  à  produire  de  grandes 
beautés  poétiques. 

—  Pensez-vous  que  Sophocle  soit  inférieur  à  Eschyle  ? 

—  Je  pense  tout  le  contraire,  bien  que  le  xix^  siècle 
ait  découvert  que  Sophocle,  tout  parfait  qu'il  soit,  le  cède 
à  Eschyle  avec  tous  ses  défauts. 

—  Le  xix^  siècle  a  fait  plusieurs  découvertes  de  ce 
genre  !  Si  vous  sentez  la  perfection  de  Sophocle,  vous  sentez 
de  même  que  le  fantastique  est  im  élément  nuisible  à  la 
perfection  de  l'œuvre  tragique. 

—  Oui. 

—  Le  tragique  parfait  nous  touche  par  la  peinture  vraie 
de  nos  sentiments  dans  les  grandes  catastrophes  de  la  vie  et 

-  165  - 


ne  cherche  pas  à  effrayer  les  femmes  et  les  enfants  par  des 
épouvantails  ridicules. 

—  Je  conviens  de  tout  cela  ;  cependant  Macbeth  ne 
me  laisse  pas  indifférent  ;  sauriez-vous  m'en  donner  la 
raison  ? 

—  Vous  êtes  ému  comme  moi  sans  doute  par  la  poésie 
et  le  mouvement  des  scènes. 

—  Mais  les  actions  des  personnages  elles-mêmes  ? 

—  Ne  nous  intéressent  pas  le  moins  du  monde,  car  le 
poète  ne  nous  fait  pas  entrer  dans  leurs  sentiments. 

—  Que  dites-vous  ? 

—  Pensez-y. 

—  Quoi,  Macbeth  ?  Quoi,  la  fameuse  lady  Macbeth  ? 

—  Vaines  ombres. 

—  Pauvre  Shakespeare,  dit  Harold. 

—  Voilà,  dis-je,  la  critique  anglaise  qui  se  moque  de 
nous. 

—  Pauvre  jeune  homme,  dit  Ménalque,  nous  le  faisons 
souffrir. 

—  Au  contraire,  dit  Harold. 

—  Voyez-vous  ça  !  dit  Ménalque. 

—  Il  endure  son  supphce,  dis-je,  avec  beaucoup  de 
fermeté. 

—  Notre  intention,  reprit  Ménalque,  n'est  pas  de  rabais- 
ser le  génie  de  Shakespeare. 

—  Il  le  sait  bien. 

—  Nous  admirons  tous  Macbeth  ;  mais  si  l'on  nous 
demandait  :  pourquoi  Macbeth  et  son  mari  assassinent-ils 
leur  prince,  leur  hôte,  leur  ami,  que  répondrions-nous  ? 

—  Mais  pour  prendre  sa  place  ! 

—  i66  — 


—  Donc,  par  ambition,  et  qu'arrive-t-il  ? 

—  Nous  voyons  les  conséquences  funestes  de  cette 
passion. 

—  Macbeth  est  donc  la  tragédie  de  l'ambition  ? 

—  Sans  doute. 

—  Dites-moi  donc  en  quel  endroit  se  trouve  la  peinture, 
l'explication  psychologique  de  cette  ambition  déréglée  de 
Macbeth. 

—  Mais  partout  ! 

—  Citez-moi  une  seule  parole  de  Macbeth  qui  vous  fasse 
comprendre  ce  que  c'est  que  cette  passion  et  par  quels 
sophismes  elle  entraîne  l'homme  au  crime. 

—  Harold,  venez  à  mon  secours. 

—  Sans  doute,  dit-il,  un  tragique  français  eût  procédé 
autrement. 

—  Mais,  Macbeth  n'agit  que  sous  l'inspiration  de  sa 
femme. 

—  Que  dit-elle  ? 

—  <(  Tu  es  trop  plein  du  lait  de  la  tendresse  humaine  )> 
et  «  Mon  épouse  !  «  et  «  Ne  me  donne  que  des  fîls  ». 

—  Si  vous  comparez  cette  dame  avec  la  fille  de  Clytem- 
nestre,  j'ai  bien  peur  que  tout  cela  ne  vous  paraisse  pas 
suffisamment  sérieux.  Et  qu'est-ce  que  ses  paroles  vous  font 
comprendre  de  l'ambition  et  du  crime  ? 

—  Je  commence  à  m'apercevoir  que  j'ai  eu  tort  de  me 
croire  ému  par  tout  ce  sang  versé. 

—  Vous  n'avez  jamais  été  ému  de  tous  ces  meurtres, 
parce  que  vous  ne  vous  êtes  pas  senti  capable  d'en  com- 
mettre de  pareils. 

—  Que  sais-je  ? 

—  167  — 


—  Vous  dites  cela  parce  que  vous  rentrez  en  vous-même 
après  le  spectacle  ou  le  livre  fermé  et  que  vous  discernez  en 
vous  des  instincts  pervers  ;  vous  faites  alors  l'analyse  des 
sentiments  que  le  poète  a  négligé  de  faire. 

—  Nos  tragiques,  c'est  certain,  nous  ont  donné  des 
habitudes... 

—  Osons  dire  une  idée  supérieure  de  la  tragédie,  que 
nous  ne  nous  serions  pas  formée  si  nous  n'avions  jamais  lu 
que  les  histoires  de  Shakespeare. 

—  Mais  qu'en  pense  la  critique  anglaise  ? 

—  Oh  !  répondit  Harold,  il  me  suffit  que  Shakespeare 
soit  un  bon  poète  et  un  assez  bon  versificateur. 

—  Ah  !  voilà  votre  ami,  dit  Ménalque,  en  apercevant 
Auzias  à  la  porte  du  café.  » 

Auzias,  après  lui  avoir  serré  la  main  par-dessus  la  table, 
s'assit  et  tira  de  ses  poches  une  pipe  de  terre  rouge  et  un 
paquet  de  caporal. 

«  Vous  avez  là,  dit  Ménalque,  une  bien  belle  pipe  !  » 

Auzias  la  lui  tendit  afin  qu'il  pût  l'admirer  tout  à  son 
aise,  mais  je  ne  sais  trop  comment  la  chose  arriva  :  lorsque 
le  psychologue  la  voulut  rendre,  par  sa  faute  ou  par  celle 
d'Auzias,  elle  tomba  sur  le  marbre  et  se  rompit  en  deux 
morceaux. 

'(  Quel  malheur  !  m'écriai-je. 

—  Ce  n'est  rien,  dit  Auzias,  elle  peut  encore  servir.  » 
Cette    petite    émotion    passée,    je   tâchai    de   remettre 

Shakespeare  sur  le  tapis,  afin  de  procurer  à  Auzias  le  plaisir 
de  philosopher  que  nous  venions  d'avoir. 

«  Savez- vous,  dit  IMénalque,  qui  je  comprends,  mieux 
que  Macbeth  et  sa  femme,  les  deux   meurtriers  soudoyés 

—  i68  — 


par  Macbeth  pour  assassiner   Banque.  Du  moins,  ceux-là 
m'expliquent  leur  état  d'âme. 

—  Que  disent-ils  ?  Je  ne  m'en  souviens  pas. 

—  L'un  : 

I  am  one,  my  liège, 
Whom  the  vile  blows  and  buffets  of  the  world 
Hâve  to  incensed,  that  I  am  reckless  vvhat 
I  do  spite  the  world. 

L'autre  : 

And  I  another 
So  weary  with  disasters,  tugg'd  with  fortune, 
That  I  would  set  my  hfe  on  any  chance, 
To  mend  it,  or  be  rid  on't. 

Harold  se  prit  à  songer. 

«  Quoi  qu'il  en  soit,  continua  Ménalque,  Shakespeare 
n'en  demeure  pas  moins  l'un  des  plus  grands  poètes 
modernes,  et  nous  nous  couvririons  de  ridicule,  si  nous 
insistions  sur  ses  défauts  et  ses  lacunes  ;  il  vaut  mieux 
après  tout  ne  voir  de  parti-pris  que  ce  qu'il  a  de  bon  et 
quand  même  vos  restrictions  seraient  les  plus  justes  et  les 
mieux  motivées,  ceux  qui  l'admirent,  voire  de  façon  extra- 
vagante, comme  Le  Tourneur,  Schlegel,  etc.,  auront  tou- 
jours le  beau  rôle.  Au  reste,  il  s'agit  bien  de  nous  défendre 
contre  l'influence  d'un  Shakespeare  et  la  mauvaise  critique 
étrangère,  aujourd'hui  que  nos  grands  maîtres  sont  des 
Machinets  ! 

—  Comment,  dit  Auzias,  vous  n'admirez  pas  Machinet  ? 
Je  le  trouve  bien  supérieur  à  Shakespeare,  vous  savez. 

—  169  — 


—  Je  connais  des  personnes,  dit  Ménalque,  qui  l' élèvent 
même  au-dessus  des  Muses. 

—  Je  suis  de  ce  nombre,  dit  l'autre. 

—  Vous  nous  faites  une  charge. 

—  Je  parle  sérieusement  ! 

—  C'est  votre  affaire  ! 

—  Vous  m'étonnez,  car  enfin  vous  êtes  un  homme  de 
goût,  un  pur  classique  ;  vous  ne  pouvez  pas  ne  pas  admirer 
le  grand,  le  subhme  Machinet,  que  l'Angleterre  vous  envie, 
comme     Harold  peut  en  témoigner.  >^ 

Harold  sourit  sans  mot  dire. 

«  Je  sais  bien,  reprit  Auzias  avec  chaleur,  qu'il  n'est 
pas  à  la  portée  de  tout  le  monde.  «  Il  demande  pour  être 
compris  un  effort  dont  les  intelligences  laborieuses  et  har- 
dies lui  savent  gré  :  il  a  le  plein  midi,  il  a  le  plein  minuit, 
mais  de  quatre  heures  à  neuf  heures  il  y  a  un  trou,  c'est 
l'abîme.  Son  style  est  un  modèle  de  style  tendu  et  porte 
l'empreinte  de  l'effort  musculaire  dans  l'effort  viril.  La 
sensation,  chez  lui,  est  fiévreuse,  paroxystique.  Bref,  il  est 
abrupt,  coruscant,  et  fume  comme  une  torche  tombée  dans 
l'eau.  »  Voilà  Machinet  et  de  quel  style  on  doit  en  parler. 

—  Tout  à  fait  !  dit  Ménalque.  »  (i) 

Emile   Godefroy. 


(i)  Extraits  du   Voyage   d'Auzias,    dialogues    du  temps    (1910-1917),  à 
paraître. 

—   170  — 


LA  SAINTE  PROMENADE  DE  BRUNO 

ou 

LA  SYMPATHIE  UNIVERSELLE 


Tout  le  ciel  à  l'instant  vient  de  descendre  en  moi. 
Mon  dieu  me  remplit  tout  de  sa  grande  lumière 
Et  j 'anticipe  en  lui  la  récompense  entière 
Promise  par  l'Esprit  à  ceux  de  bonne  foi  ! 

Je  n'imaginais  pas,  vraiment,  cœur  si  peu  droit, 
Que  l'àme  pût  à  l'Etre  ouvrir  telle  carrière 
Et  je  m'étonne  encor  que  si  peu  de  poussière 
Réponde  de  si  bas  au  Très-Haut  que  je  voi. 

Je  goûte  en  ce  moment  de  si  pures  déUces 
Que  tout  le  fiel  s'en  va  de  toutes  mes  malices 
Et  que  tout  le  vieil  homme  en  est  renouvelé  ! 

Je  siège,  parfumé  de  la  robe  des  roses, 

Et  je  m'unis,  aux  yeux  du  grand  site  assemblé, 

A  la  divine  main  qui  caresse  les  choses  ! 

Maurice  du  Plessys. 
—  171  — 


COMMENT  JE  FIS  LA  CONNAISSANCE 
DE  RENOIR 


C'était  au  printemps  de  ] 'année  1895.  Je  désirais  savoir 
le  nom  du  modèle  qui  avait  posé  pour  un  tableau  de  Manet 
que  je  venais  d'acquérir.  Le  tableau  représentait  im 
homme  d'âge  moyen  avec  un  chapeau  gris,  une  jaquette 
mauve,  im  gilet  jaune,  un  pantalon  blanc,  et  des  escarpins 
vernis  noirs;  j'allais  oublier  une  rose  à  la  boutonnière. 
Ajoutons  que  ce  singulier  modèle  était  campé  au  milieu 
d'une  allée  du  Bois  de  Boulogne.  On  m'avait  dit  :  «  Renoir 
doit  savoir  qui  c'est.  »  J'allai  donc  chez  Renoir,  qui,  en  ce 
temps-là,  habitait  à  Montmartre  une  vieille  maison  appelée 
le  Château  des  Brouillards.  Dans  le  jardin,  devant  la 
maison,  une  bonne,  avec  tout  l'air  d'une  bohémienne, 
berçait  un  enfant.  Elle  me  fit  entrer  dans  le  couloir  de  la 
maison,  et  me  dit  d'attendre.  Survint,  quelques  instants 
après,  une  dame  encore  jeune,  pleine  de  rondeur  et  de 
bonhomie,  me  rappelant  certains  pastels  de  Perroneau 
quand  il  représentait  les  bourgeoises  du  temps  de  Louis  XV. 
C'était  Mme  Renoir. 

—  172  — 


—  Comment  !  on  vous  a  laissé  là,  par  cette  humidité, 
on  ne  vous  a  pas  fait  entrer  ?  Gabrielle  ! 

Alors  la  bonne,  très  surprise  des  reproches  que  lui  faisait 
sa  maîtresse  : 

—  Mais  c'est  plein  de  boue,  dehors  !  (Elle  regardait  mes 
souliers.)  Et  puisque  la  Boulangère  a  oublié  de  remettre 
le  paillasson  devant  la  porte  ! 

Mme  Renoir  me  fit  entrer  dans  la  salle  à  manger,  et 
alla  prévenir  son  mari.  En  attendant  la  venue  de  Renoir, 
je  pus  examiner  et  admirer  à  mon  aise  les  toiles  accro- 
chées au  mur,  les  plus  beaux  nus  de  femmes  que  j'eusse 
jamais  vus. 

Mais,  d'ailleurs,  Renoir  ne  tarda  pas  à  venir.  J'avais 
devant  moi  un  homme  maigre,  aux  yeux  extraordinai- 
rement  pénétrants,  très  nerveux,  donnant  l'impression  de 
ne  pas  pouvoir  rester  en  place. 

—  Je  suis  très  pressé,  me  dit-il  ;  en  quoi  puis-je  vous 
être  utile  ? 

Je  lui  dis  ce  qui  m'amenait. 

—  Votre  homme,  c'est  sûrement  M.  Brun,  un  ami  de 
Manet  1 

Puis,  sans  transition  : 

—  Mais  nous  serons  mieux  pour  causer  là-haut  !  Voulez- 
vous  monter  à  mon  atelier  ? 

C'était  un  atelier  des  plus  ordinaires  :  quelques  meubles 
disparates,  un  fouillis  d'étoffes,  quelques  chapeaux  de 
paille  que  Renoir  avait  coutume  de  chiffonner  entre  ses 
doigts  avant  d'en  coiffer  ses  modèles  ;  de  tous  côtés,  des 
toiles  tournées  les  unes  contre  les  autres.  J'observai  en 
outre,  près  de  la  chaise  du  modèle,  une  pile  de  numéros 

—  173  — 


d'une  revue,  ayant  encore  leurs  bandes.  Je  m'approchai  : 
c'était  la  Revue  Blanche,  une  revue  de  «  jeunes  »,  qui  avait 
alors  son  heure  de  célébrité. 

—  Voilà  une  publication  bien  intéressante  !  dis-je  à 
Renoir,  car  je  me  souvenais  d'y  avoir  lu  maints  éloquents 
éloges  de  l'art  impressionniste. 

—  Ma  foi,  oui,  répondit  Renoir,  et  je  suis  très  reconnais- 
sant aux  jeunes  gens  qui  veulent  bien  m'en  faire  le  service. 
Je  vous  avoue  que  je  ne  l'ai  jamais  ouverte  ;  mais  elle  me 
sert  admirablement  pour  y  appuyer  le  pied  de  mon  modèle. 

Renoir  s'était  assis  devant  son  chevalet,  et  avait  com- 
mencé par  ouvrir  sa  boîte  à  couleurs.  J'avais  déjà,  à  cette 
date,  eu  l'occasion  de  visiter  plusieurs  ateliers  de  peintres, 
et  tout  de  suite  je  fus  frappé  de  l'extraordinaire  propreté 
de  l'intérieur  de  cette  boîte  à  couleurs  de  Renoir.  La  palette, 
les  pinceaux,  et  jusqu'aux  tubes  aplatis  et  roulés  au  fur  et 
à  mesure  qu'ils  se  vidaient,  tout  cela  avait  une  apparence 
de  netteté  quasiment  féminine,  ou  plutôt  telle  que  devaient 
l'offrir,  je  suppose,  les  ustensiles  professionnels  des  peintres 
mondains  du  xviii^  siècle.  Pas  une  éclaboussure,  pas  une 
tache  sur  le  bois  des  pinceaux,  non  plus  que  sur  les  manches 
du  veston  du  peintre. 

(Et  combien  cette  impression  devait  se  trouver  encore 
fortifiée  en  moi,  lorsque,  l'année  suivante,  et  précisément 
par  l'entremise  de  Renoir,  j'allais  être  admis  dans  l'intimité 
de  Cézanne,  qui,  lui,  ne  pouvait  s'empêcher  de  répandre  au 
moins  autant  de  couleurs  sur  ses  pinceaux  et  ses  vêtements 
qu'il  en  mettait  sur  ses  toiles!) 

Je  dis  à  Renoir  le  ravissement  que  m'avaient  causé 
les  nus  qui  décoraient  sa  salle  à  manger. 

—  174  — 


—  Ce  sont  des  études  d'après  mes  bonnes!  me  répondit-il. 
J'en  ai  eu  quelques-unes  d'admirablement  faites,  et  qui 
posaient  comme  des  anges.  Mais  il  faut  ajouter  que,  sur  ce 
chapitre,  je  ne  suis  pas  difficile.  Je  m'arrange  très  bien  du 
premier  cul  crotté  venu...,  pourvu  que  je  tombe  sur  une 
peau  qui  ne  repousse  pas  trop  la  lumière.  Je  ne  sais  pas 
comment  font  les  autres,  pour  arriver  à  peindre  de^  chairs 
faisandées  !  Ils  appellent  ça  l'élégance  mondaine  !  Mais  les 
vraies  femmes  du  monde  elles-mêmes,  combien  il  est  rare 
de  leur  trouver  des  mains  qui  donnent  envie  de  peindre  ! 
C'est  si  joli  à  peindre,  des  mains  de  femme,  mais  des  mains 
qui  se  livrent  aux  travaux  du  ménage  !  A  Rome,  à  la  Far- 
nésine,  il  y  a,  de  Raphaël,  une  Vénus  qui  vient  demander 
quelque  chose  à  Jupiter  ;  elle  a  de  gros  bras,  c'est  délicieux  ; 
on  sent  une  bonne  grosse  commère  qui  va  retourner  à  sa 
cuisine,  ce  qui  faisait  dire  au  fameux  Stendhal  que  les 
femmes  de  Raphaël  sont  communes  et  lourdes  !  Celui-là, 
évidemment,  rêvait  aussi  de  carcasses  distinguées  ! 

Le  reste  de  mon  entretien  de  ce  jour-là  avec  Renoir  dut 
être  assez  banal,  car  le  fait  est  que  je  n'en  ai  gardé  aucun 
souvenir.  Je  me  rappelle  seulement  que,  bientôt,  ma  visite 
se  trouva  terminée  par  l'arrivée  d'un  modèle.  Mais  avant 
de  prendre  congé,  je  demandai  au  peintre  si  je  pouvais 
revenir  le  voir. 

—  Tant  que  vous  voudrez  !  me  répondit-il.  Mais  venez  de 
préférence  à  la  tombée  de  la  nuit,  quand  j'ai  fini  ma  besogne 
de  la  journée  ! 

C'est  que  l'existence  de  Renoir  était  réglée  comme 
celle  d'un  employé.  Il  allait  à  l'atelier  avec  la  même  ponc- 
tualité que  le  commis  à  son  bureau.  J'ajouterai  qu'il  se 

—  175  - 


couchait  de  bonne  heure,  après  une  partie  de  dames  ou  de 
dominos  avec  Mme  Renoir.  Il  aurait  trop  craint,  en  veil- 
lant, de  compromettre  sa  séance  du  lendemain.  Toute  sa 
vie,  peindre  a  été  son  seul  plaisir,  son  seul  délassement. 

Je  me  souviendrai  toujours,  à  ce  propos,  de  la  rencontre 
que  je  fis,  vers  1911,  de  Mme  Renoir  sortant  précipitam- 
ment d'une  maison  de  santé  où  Renoir  devait  subir,  ce 
même  joiir,  une  certaine  opération  assez  déUcate. 

—  Comment  va-t-il  ? 

— L'opération  aété  remise  à  demain,  médit  Mme  Renoir, 
mais  je  suis  très  pressée,  car  mon  mari  m'envoie  chercher 
sa  boîte  à  couleurs.  Il  veut  peindre  des  fleurs  qu'on  lui 
a  offertes  ce  matin. 

Renoir  travailla  à  ces  fleurs  toute  la  journée,  il  y  travail- 
lait encore  le  lendemain,  quand  on  vint  le  chercher  pour 
le  transporter  sur  la  table  d'opérations. 

Une  autre  fois,  en  1916  (Renoir  avait  alors  75  ans 
sonnés),  au  cours  d'un  séjour  que  je  fis  chez  lui  à  Gagnes, 
je  fus  frappé  tout  à  coup  de  son  air  pensif  et  de  l'inquiétude 
de  son  regard.  Quelques  heures  auparavant,  je  l'avais 
laissé  presque  gai,  et  je  le  retrouvais  si  sombre  !... 

Le  lendemain,  il  avait  au  déjeuner  la  même  figure.  La 
faute  n'en  était-elle  pas  encore  à  cette  épouvantable  guerre, 
dont  il  me  souvenait  del'avoirvu  souvent  très  préoccupé?... 
Mais  dans  l'après-midi,  la  bonne  vint  me  chercher  au 
jardin  : 

—  Monsieur  vous  prie  de  monter  tout  de  suite  à 
l'atelier  ! 

Je   trouve    Renoir    devant    son    chevalet    un    Renoir 
—  176  — 


p.  Picasso  —   Portrait  de  M.  .A.  Vollard. 


rayonnant.  Il  avait  le  pinceau  à  la  main  et  s'escrimait  sur 
des  dahlias. 

—  J'étais  depuis  deux  jours,  me  dit-il,  à  me  demander 
si  la  peinture  n'était  pas,  décidément,  un  art  trop  difficile 
pour  moi  :  mais  regardez  un  peu  ce  que  je  viens  de  faire  ! 
Dites,  n'est-ce  pas  que  c'est  presque  aussi  brillant  qu'une 
bataille  de  Delacroix?...  Ah!  je  crois  bien  que,  cette  fois,  je 
tiens  enfin  le  secret  de  la  peinture  !...  (i) 

Ambroise    Vollard. 


(I)  Extrait  de  La  Vie  et  l'Œuvre  de  P. -A.  Renoir,  pair  Ambroise  Vollard 
(en  préparation). 

—  177  — 


1 


NARCISSE 


Je  hais  ceux  qui,  mêlés  aux  rondes  des  sorcières, 
Piétinent  sans  pudeur  les  nocturnes  bruyères. 
Et  par  des  mots  affreux,  un  exécrable  encens, 
Evoquent  les  esprits,  les  forcent  gémissants 
A  soudain  condenser  leurs  voltigeants  atomes  ; 
Je  n'irai  pas  furtif  pour  épier  les  gnomes 
Quand  la  lune  en  son  plein  monte  de  l'horizon 
Et  que  brille  un  minuit  qu'ils  croient  sans  trahison. 
Car,  Sagesse,  tu  fuis  loin  des  âmes  obscures  ; 
Il  faut  pour  t'approcher  un  cœur  droit,  des  mains  pures 
Je  laisse  son  trépied  à  la  veuve  d'Endor  ! 
Je  ne  cueillerai  pas  même  le  rameau  d'or 
Qui  sut  faire  accourir  le  vain  peuple  des  Mânes, 
Et  ces  chœurs  bienheureux  qui  loin  des  yeux  profanes. 
D'une  flûte  menés,  vont  en  frappant  des  mains. 
Les  dieux  ont  dispensé  la  lumière  aux  humains 
Comme  elle  convenait  à  leur  infirme  vue. 
Que  l'âme  d'un  impie  et  d'audace  pourvue 
Dans  les  chemins  maudits  s'engage  vers  la  mort  ; 

—  178  — 


Ou  qu'un  héros  pieux  par  un  suprême  effort 

Achève  un  grand  dessein  que  le  Ciel  favorise, 

Je  ne  tenterai  pas  une  telle  entreprise  ! 

l'2st-ce  qu'en  ma  poitrine  un  sang  déjà  glacé 

X 'enfante  qu'un  courage  avant  d'agir  lassé  ? 

je  me  résigne  encor.  Ma  faiblesse  est  humaine. 

Si  je  ne  puis  des  dieux  usurper  le  domaine, 

Je  veux  les  honorer  d'un  cœur  fidèle  et  sûr. 

Assis,   environnés  d'incorruptible   azur, 

Ils  voient  en  un  seul  point  leur  naissance  et  leur  vie  ; 

Leur  breuvage  est  nectar,  leurs  banquets  ambroisie 

Et  la  force  qui  rit  sur  leurs  front»  florissants 

Ne  croît  pas  pour  décroître  avec  le  cours  des  ans. 

Leur  seule  volonté  maintient  l'ordre  du  monde, 

A  leur  geste  s'émeut  le  ciel,  la  terre  et  l'onde. 

Immortels,  sans  souci  du  chaos  ténébreux, 

Leur  ancêtre,  et  sans  crainte,  ils  régnent  bienheureux. 

Pour  qui  n'est  pas  le  fruit  de  divines  caresses 

Il  est  vain  d'espérer  la  couche  des  déesses. 

Et  croire  qu'il  pourra  dans  d'augustes  palais, 

Convive  des  grands  dieux,  surprendre  leurs  secrets. 

Nous  donc  que  le  temps  presse  et  dont  la  destinée 

Tout  entière  est  enclose  en  la  même  journée. 

Que  nous  plaisent  toujours  les  rustiques  travaux. 

L'eau  souple  qui  se  plisse  autour  des  fins  roseaux, 

Le  tilleul  qui  résonne  aux  ailes  des  abeilles, 

Notre  petit  jardin  tout  rouge  de  groseilles. 

O  transparents  plaisirs  !  vrais  biens  !  ô  royauté  ! 

Qu'environne  l'ardeur  splendide  de  l'été, 

\^ous  avez  couronné  le  vieillard  d'Œbalie  ; 

—  179  — 


Que  la  même  couromie  à  ma  tempe  se  plie. 

Heureux  s'il  m'est  permis,  Muses,  de  vous  prier 

Que  s'y  mêle  l'honneur  de  votre  beau  laurier  ! 

Vous  vous  réjouissez,  Lybethrides,  Camènes, 

Des  antiques  forêts  et  du  chant  des  fontaines, 

Et  souvent  il  vous  plaît  de  descendre  des  cieux 

En  traversant  la  nuit  d'un  vol  silencieux. 

Vous  entourez  parfois  un  pâtre  solitaire 

Qui  s'éveille  comblé  quand  vous  quittez  la  terre. 

Sans  porter  dans  mon  cœur  un  si  rare  trésor. 

Muses,  vers  les  forêts  dirigez  mon  essor. 

Qu'à  ma  voix  s'épaississe  un  ténébreux  ombrage  ! 

Qu'une  eau  dorme  et  qu'auprès,  abusé  d'un  mirage, 

Narcisse  aime  Narcisse  !  Aussitôt  que  les  bords 

Se  couvrent  de  ces  fleurs,  images  de  son  corps, 

Et  que  son  dernier  souffle  animant  la  nature, 

Faible  soupir  des  eaux,  feuillage  qui  murmure 

S'efforce  à  nous  parler,  vaine  et  confuse  voix 

Qui  toujours  nous  invite  et  toujours  nous  déçoit. 

Par  ce  midi  désert,  au  gai  loisir  propice, 

Je  veux  chanter  Echo,  Liriope  et  Narcisse. 


*   *   * 


L'aube  fait  déborder  sur  l'ombre  sa  clarté. 
L'étoile  a  disparu  dans  le  flot  argenté, 
Le  haut  sommet  des  monts  se  nimbe  de  lumière 
Et  la  flamme  du  jour  semble  créer  la  terre. 

—  180  — 


I 


La  mer  blanchit  au  loin...  et  plus  près,  les  épis 
Brillants  d'opale  et  d'or,  scintillent  assoupis. 
Le  fleuve  aux  lents  détours  dans  son  onde  immobile 
Reflète  la  douceur  d'un  ciel  pâle  et  tranquille  : 
Et,  mirant  ses  frontons,  ses  marbres,  ses  piliers 
A  travers  les  roseaux  et  les  noirs  peupliers, 
Dans  la  moire  sans  plis  de  cette  eau  rose  et  grise, 
Eclate  la  blancheur  du  palais  de  Céphise. 
Comme  un  sombre  nuage  où  l'éclair  dormirait, 
Bleuâtre,  à  l'horizon  se  traîne  la  forêt. 
Prompt,  Narcisse  a  déjà  saisi  sa  javeline, 
Son  arc,  et,  respirant  une  audace  divine, 
Jeté  sur  son  épaule  un  sonore  carquois. 
Le  beau  palais  s'emplit  de  turbulents  abois, 
Les  chevaux  hennissant  se  cabrent  vers  l'espace  ; 
Le  signal  retentit  du  départ  pour  la  chasse  ; 
Les  portes  s'ouvrent.  Mais  quel  peuple  vient,  pliant 
Sous  quelle  peine  et  lève  un  rameau  suppliant. 
Qui  devant  le  chasseur,  lamentable,  se  presse  ? 
Nymphes  du  Cithéron  à  l'éclatante  tresse, 
Naïades  aux  cheveux  mollement  déployés. 
Jeunes  Béotiens,  pourquoi  vos  yeux  noyés 
D'une  sombre  langueur,  et  tournés  vers  la  terre  ? 
Tout  bas  vous  murmurez,  tristes,  cette  prière  : 
«  Narcisse,  prends  pitié  d'un  misérable  amour  ; 
Prends  pitié  d'un  désir  qui  devance  le  jour. 
Non,  tu  n'es  pas  issu  des  glaces  du  Caucase 
Pour  rester  insensible  au  tourment  qui  m'embrase  ; 
Est-ce  qu'une  tigresse  à  ses  flancs  t'a  nourri  ? 
Ta  mère  à  ton  berceau,  Narcisse,  t'a  souri. 

—  i8i  — 


Sans  abreuver  ta  grâce  avec  un  lait  farouche. 

Mon  amour,  ma  douleur,  n'est-il  rien  qui  te  touche  ? 

Et  l'ai-je  mérité  l'affront  de  ton  dédain  ? 

Par  toi,  blessé,  je  meurs  et  je  t'implore  en  vain. 

Que  ne  suis- je  l'oiseau  transpercé  par  ta  flèche  ? 

Tu  le  prends  dans  ton  sein.   Innocent,  ton  chien  lèche 

Ta  main  ;  et  moi  toujours  te  serai-je  odieux 

Pour  ne  t'avoir  parlé  que  comme  on  parle  aux  dieux  ?   » 

De  leurs  cœurs  agités  par  l'espoir  et  la  crainte 

S'envole  dans  les  airs  une  inutile  plainte. 

Avides,  l'un  sur  l'autre,  ils  se  pressent  pour  voir 

Narcisse  qui  les  joue  et  rit  de  son  pouvoir. 

Liriope  à  son  tour  qu'anime  ce  reproche, 
Liriope,   aux  beaux  yeux  pleins  de  larmes,  s'approche  : 
«  Mon  enfant,  de  mes  jours  seule  félicité, 
Redoute  la  fureur  de  l'amour  irrité  : 
Un  excès  de  mépris  engendre  la  colère, 
La  menace  bientôt  succède  à  la  prière. 
Ah  !  crains  de  succomber  sous  ta  propre  rigueur  : 
Prends  pitié  de  leurs  maux  ;  apaise  cette  humeur 
Sauvage  ;   qu'un  regard  vienne   adoucir    leurs  peines 
Et  rafraîchir  le  feu  qui  tourmente  leurs  veines. 
Jadis,  je  le  fuyais  à  travers  les  roseaux, 
Ton  père  ;  mais  soudain  dans  les  replis  des  eaux 
Il  entrave  mes  pas  ;  je  tombe  sur  la  rive  ; 
Aussitôt  il  m'atteint  et  je  suis  sa  captive. 
Ma  fuite  ainsi  nouait  un  éternel  lien 
Où  depuis  mon  amour  sut  égaler  le  sien. 
Narcisse,  don  charmant  du  ciel  à  ma  tendresse, 

—  182  -^ 


Chaque  instant  de  ta  vie  ajoute  à  ma  détresse. 
Lorsque  las  de  jouer  tu  cédais  au  sommeil, 
Je  retenais  mon  souffle,  épiant  ton  réveil  ; 
Je  disais,  caressant  les  boucles  de  ta  tête, 
(Car  le  cœur  d'une  mère  aisément  s'inquiète)  : 
«  Heureuse  Liriope,  heureux  ton  enfant  dort 
Ignorant  des  travaux  que  réserve  le  sort 
Aux  héros  fils  des  dieux.  Parcourra-t-il  la  terre 
Egorgeant  les  lions  et  vainqueur  de  Cerbère  ? 
Le  verrai- je  s'asseoir,  fameux,  entre  les  rois, 
Sage,  riche,  honoré  ?  Qu'importent  ses  exploits, 
O  dieux,  si  ces  cheveux,  ce  front  que  je  caresse 
Traversent,  respectés,  une  longue  vieillesse  !  » 
Je  te  disais  :   «  Ah  !  dors  d'un  sommeil  innocent  ; 
Trop  tôt  tu  grandiras,  jeune  homme  florissant, 
Le  plus  noble  trésor  du  domaine  prospère, 
La  merveille  sans  prix  du  palais  de  ton  père. 
Lorsqu'il  fondra  du  ciel,  ardent  à  te  saisir. 
Trop  tôt  tu  languiras  sous  l'ongle  du  désir. 
Je  verrai  de  tes  yeux  s'effacer  mon  image. 
Ton  réveil  se  tourner  vers  un  autre  visage.    » 
Je  m'étais  résignée  à  ce  déchirement  ; 
Mais  te  faut-il  sans  cesse  accroître  mon  tourment  ! 
Absente  de  ton  cœur  et  loin  de  ta  pensée 
Par  quel  monstre  sans  nom  dois- je  être  rem.placée 
Pour  qui,  dis-moi,  pour  qui  se  soulève  ton  sein  ? 
Qui  donne  à  ton  regard  cet  éclat  inhumain  ? 
Qui  te  fait  mépriser  et  ton  père  et  ta  mère 
Et  moquer  de  tes  soeurs  la  tremblante  prière  ? 
Silencieux,  tout  pâle  et  les  cheveux  épars, 

-  183- 


Tes  retours  aussi  las  que  sont  fiers  tes  départs. 

Ce  dédain  souriant  plus  cruel  que  la  haine... 

Quel  orgueil  insensé  palpite  dans  ta  veine  ! 

Ah  !  malheureux,  sur  nous  l'oracle  est  suspendu 

Qui  par  Tirésias  autrefois  fut  rendu, 

Quand  déployant  l'essor  de  son  puissant  génie, 

Il  lisait  l'avenir  aux  peuples  d'Aonie. 

Pour  qu'il  me  rassurât,  j'implorai  le  vieillard 

Aveugle  et  clairvoyant  de  porter  son  regard 

Jusqu'à  l'extrême  point  où  parviendrait  ta  vie. 

Alors  Tirésias,  décevant  mon  envie. 

Enferma  dans  ces  mots  ton  sort  et  mon  malheur  : 

«  Sans  se  connaître,  il  vit  ;  s'il  se  connaît,  il  meurt. 

A  chacun  de  tes  pas,  dans  chacun  de  tes  gestes 

Je  tremblais  d'observer  les  présages  funestes 

Qui  devaient  m' annoncer  le  terrible  moment 

Où  de  l'oracle  obscur  luirait  le  dénoûment. 

Mais  aujourd'hui  je  vois,  je  vois  la  route  ouverte 

Qui  doit,  loin  de  mes  bras,  te  conduire  à  ta  perte. 

Narcisse,   épargne-nous  d'éternelles  douleurs  ; 

Ah  !  fais  mentir  l'oracle  ;  enfant,  cède  à  mes  pleurs.  » 

L'image  de  la  mort  qu'elle  évoque,  enveloppe 
Et  glace  jusqu'au  cœur  la  triste  Liriope. 
Ses  beaux  traits  sont  ternis  d'un  nuage  odieux  ; 
Une  funèbre  nuit  se  répand  sur  ses  yeux  ; 
Inerte,  dans  les  bras  de  Céphise,  elle  tombe. 
Narcisse  ne  voit  pas  sa  mère  qui  succombe. 
D'une  main  négUgente  il  flatte  son  cheval. 
Regarde  soucieux  dans  le  ciel  matinal 

—  184  — 


Croître  l'éclat  du  jour.  Alors  le  vieux  Céphise  : 
a  Va,  barbare,  poursuis  ta  superbe  entreprise  ; 
Ajoute  à  tes  hauts  faits,   pour  qu'il  n'y  manque  rien 
Ton  trépas,  et  celui  de  ta  mère,  et  le  mien  ! 
Raidis  dans  ta  poitrine  un  cœur  inexorable  : 
C'est  ainsi  qu'on  moissonne  une  gloire  durable, 
C'est  par  de  tels  exploits  que,  justement  vanté, 
Un  grand  nom  retentit  dans  la  postérité. 
Nymphes  ni  jeunes  gens,  son  père  ni  sa  mère 
N'ont  jamais  pu  fléchir  une  tête  si  fière, 
Dira-t-on,  mais  Eros  dont  il  bravait  la  loi 
Environna  ses  jours  de  silence  et  d'effroi, 
Et  frappé  par  un  dieu  le  malheureux  expie 
Par  ses  propres  excès  une  conduite  impie. 
Crime  toujours  puni  de  s'égaler  aux  dieux  ; 
Sans  haine  et  sans  amour  de  s'enfermer  comme  eux 
Dans  l'ivresse  et  l'ennui  de  se  plaire  à  soi-même  ! 
De  sa  froide  splendeur  le  dieu  s'évade  ;  il  aime. 
Il  goûte  les  langueurs  et  les  tendres  élans 
Dont  il  trouble  la  nymphe  ou  la  vierge  aux  beaux  flancs  ; 
Il  se  penche  envieux  sur  l'humaine  tendresse 
Que  fait  s'épanouir  l'éclair  d'une  caresse 
Où  l'éphémère  seul  se  donne  tout  entier. 
Où  l'immortalité  voudrait  se  renier. 

Mais  le  souhait  d'un  dieu,  quoique  imprudent,  enferme 
A  jamais  dans  le  sein  de  ses  enfants  le  germe 
Vivace  de  la  mort.  Comme  un  feu  qui  s'éteint 
A  demi  consumé,  le  principe  divin 
Jadis  brillant  se  perd  dans  les  ombres  humaines. 
Inlassable  Océan  qui  puissamment  enchaînes 

-  185  - 


Et  ceins  de  toute  part  d'un  invincible  bras 
Ton  épouse  féconde,  ô  toi  qui  m'engendras, 
Immortel,  ton  égal  et  l'égal  de  ma  mère, 
Vois,  ma  divinité  languissante  s'altère  : 
Je  meurs,  lorsque  ces  eaux  verront  tarir  leur  cours, 
Je  meurs,  si  las  de  vivre,  excédé  de  mes  jours. 
Le  désir  du  néant  s'infiltre  dans  mon  âme. 
Les  Parques  à  ma  noce  ont  dit  l'épithalame 
Et  chanté  mon  hymen,  célébrant  les  travaux 
Par  où  mon  sang  croîtrait  les  fatals  écheveaux 
Que,  pesants  ou  légers,  leur  noir  fuseau  dévide, 
Narcisse,  ton  destin  court  sous  leur  doigt  rapide  ; 
Hâte-toi  d'en  jouir  avant  qu'il  soit  trop  tard. 
Seul  un  semblant  de  vie  entoure  le  vieillard  ; 
En  vain  vers  le  passé  son  souvenir  s'efforce 
Lorsqu'il  a  dissipé  sa  jeunesse  et  sa  force. 
Ne  te  prépare  pas  un  éternel  regret 
A  vouloir  pénétrer  quelque  divin  secret  ; 
Sois  homme  et  ne  va  pas  écraser  ton  audace 
Contre  un  but  interdit  à  tous  ceux  de  ta  race.  » 
Ainsi  parle  Céphise  à  Narcisse  distrait 
Qui  contemple  l'azur  profond  de  la  forêt. 
Là-bas  volent  tes  yeux  et  ton  cœur,  ô  Narcisse  ! 
Par  avance  tu  bois  longuement  le  délice 
Qui  bientôt  descendra,  solitaire  et  divin. 
Des  lents  feuillages  balancés  dans  le  matin. 
Sur  ta  face  tu  sens  déjà  la  fraîche  haleine 
Du  vent  non  respiré  par  une  lèvre  humaine. 
Et  tu  te  réjouis  du  silence  des  bois 
Qui  jamais  n'est  troublé  par  une  humaine  voix  ; 

—  i86  — 


I 


Tu  te  sens  caressé  par  la  branche  et  la  feuille  ; 

Rieuse,  la  forêt  virginale  t'accueille 

Et  referme  sur  toi  ses  bras  souples  et  forts. 

Nymphes  et  jeunes  gens,   ah  !   cessez  vos  transports  ! 

Vainement  à  ses  pieds  sa  mère  se  lamente. 

Narcisse  entend  frémir  l'appel  de  cette  amante 

Qui  saura  lui  verser  l'ivresse  d'être  seul, 

Tisser  autour  de  lui,  verdoyant,  un  linceul 

Impénétrable  au  bruit  importun  de  vos  plaintes, 

L'enlacer  d'un  réseau  de  subtiles  étreintes, 

Inonder  tous  ses  sens  du  philtre  de  l'oubli, 

Le  bercer  dans  l'extase,  en  elle  enseveli. 

«  Plus  de  retard,  dit-il  ;  mes  compagnons,  en  chasse  !    » 

Et  comme  un  vol  sifflant  d'oiseaux  glisse  et  s'efface. 

Le  galop  des  chasseurs  sur  le  bord  de  la  mer 

S'enfuit  et  disparaît.  Par  le  désir  amer 

Les  amants  sont  étreints,  et  taisent  leur  souffrance. 

La  jeune  Ocyrrhoé,  rompant  ce  lourd  silence. 

Lève  les  mains  au  ciel  :    «  Qu'il  aime  !  Et  qu'à  son  tour 

Il  chérisse  un  objet  rebelle  à  son  amour  !  » 

Elle  dit.  La  déesse  honorée  à  Rhamnuse 

Qui  jamais  n'est  trompée  et  jamais  ne  s'abuse. 

Patiente,  mais  qui  ne  rétracte  jamais 

L'inflexible  dessein  de  ses  justes  arrêts, 

Entend  cette  parole,  et  d'un  sourcil  sévère 

Exauce,  Ocyrrhoé,  ta  plainte  et  ta  colère. 

LÉON   GUILLOT. 

Ce  poème  inachevé  est  le  dernier  ouvrage  de  Léon  Guillot,  né  le  17  avril 
1882  à  Macomay  (Franche-Comté),  auteur  des  Victoires  (Paris,  1911),  «  mort 
joyeusement  pour  son  pays  »  à  Marbotte  (Meuse),  le  20  mai  1915.  Exclu  de 
la  liste  des  prix  décernés  par  l'Académie  aux  écrivains  mobilisés. 

—  187    — 


BOUT-DE-CANARD 


CONTE   POPULAIRE 


Bout-de-Canard  était  tout  petit,  et  c'est  pour  cela  qu'on 
l'appelait  Bout-de-Canard.  Mais,  tout  petit  qu'il  fût,  il 
avait  de  la  tête  et  il  s'entendait  à  son  affaire,  car  après 
avoir  commencé  avec  rien,  il  avait  fini  par  amasser  cent 
écus.  Or  le  roi  du  pays,  qui  était  très  dépensier  et  qui 
n'avait  jamais  d'argent,  ayant  appris  que  Bout-de-Canard 
en  avait,  s'en  vint  un  jour  en  personne  le  lui  emprunter  ; 
et,  dame,  dans  les  premiers  temps,  Bout-de-Canard  n'était 
pas  qu'un  peu  fier  d'avoir  prêté  de  l'argent  au  roi.  Mais 
lorsqu'au  bout  d'un  an  et  de  deux  ans,  il  vit  qu'on  ne  son- 
geait même  pas  à  lui  payer  ses  intérêts,  il  commença  à 
s'inquiéter,  tellement,  qu'à  la  fin,  il  résolut  d'aller  lui-même 
trouver  Sa  Majesté  pour  se  faire  rembourser.  Et  un  beau 
matin  voilà  Bout-de-Canard  bien  pimpant  et  gaillard  qui 
se  met  en  route  en  chantant  :  «  Quand,  quand,  quand 
me  rendrez- vous  mon  bel  argent  ?  » 

Il  n'avait  pas  fait  cent  pas  qu'il  rencontra  compère  le 
Renard,  en  tournée  par  là. 

—  i88  — 


«  Eh!  bonjour,  voisin,  dit  le  compère,  où  donc  allons-nous 
si  matin  ? 

—  Je  vais  chez  le  roi,  chercher  ce  qu'il  me  doit. 

—  Oh,  prends-moi  avec  toi  !  » 

Bout-de-Canard  se  dit  :  «  On  n'a  jamais  trop  d'amis...  » 
«  Je  veux  bien,  lui  dit-il,  mais  avec  tes  quatre  pattes, 
tout  à  l'heure  tu  seras  las.  Fais-toi  tout  petit,  entre  dans 
mon  gosier,  va  dans  mon  gésier  et  je  te  porterai. 

—  Eh  !  la  bonne  idée  !  »  dit  compère  le  Renard. 

Il  prend  ses  cliques  et  ses  claques  et,  leste,  le  voilà  passé 
comme  une  lettre  à  la  poste. 

Et  Bout-de-Canard  repart  tout  pimpant  et  gaillard, 
et  toujours  chantant  :  «  Quand,  quand,  quand  me  rendrez- 
vous  mon  bel  argent  ?  » 

Il  n'avait  pas  fait  cent  pas  qu'il  rencontre  ma  commère 
l'Echelle  accotée  à  son  mur. 

(I  Eh  !  bonjour  donc,  mon  petit  caneton,  lui  dit  la  com- 
mère, où  donc  vas-tu  si  résolu  ? 

—  Je  vais  chez  le  roi,  chercher  ce  qu'il  me  doit. 
— •  Oh  !  prends-moi  avec  toi  !  » 
Bout-de-Canard  se  dit  :  «  On  n'a  jamais  trop  d'amis...  » 

—  Je  veux  bien,  lui  dit-il,  mais  avec  tes  jambes  de  bois 
tout  à  l'heure  tu  seras  lasse.  Fais-toi  toute  petite,  entre 
dans  mon  gosier,  va  dans  mon  gésier,  et  je  te  porterai. 

—  Oh  !  la  bonne  idée  !  »  dit  ma  commère  l'Echelle. 
Et,  preste,  elle  prend  ses  cliques  et  ses  claques  et  s'en 

va  tenir  compagnie  à  compère  le  Renard. 

Et,  quand,  quand,  quand  !  Bout-de-Canard  repart  en 
chantant,  gaillard  comme  devant. 

Cent  pas  plus  loin,  il  rencontre  sa  bonne  amie  ma  com- 
—  189  — 


mère  la  Rivière,  qui  se  promenait  tranquillement  au  soleil. 
«  C'est  toi,  mon  chérubin,  lui  dit-elle,  où  vas-tu  donc  si 
seul,  la  queue  en  trompette,  par  ce  vilain  chemin  ? 

—  Je  vais  chez  le  roi,  tu  sais,  chercher  ce  qu'il  me  doit. 

—  Oh  !  prends-moi  avec  toi  !  » 

Bout-de-Canard  se  dit  :  «  On  n'a  jamais  trop  d'amis...  « 

—  Je  veux  bien,  lui  dit-il,  mais  toi  qui  dors  en  marchant, 
tout  à  l'heure  tu  seras  lasse.  Fais-toi  toute  petite,  entre 
dans  mon  gosier,  va  dans  mon  gésier,  et  je  te  porterai. 

—  Ah  !  la  bonne  idée  !  «  dit  ma  commère  la  Rivière. 
Elle  prend  ses  cliques  et  ses  claques  et  glou,  glou,  glou, 

elle  s'en  va  se  loger  entre  compère  le  Renard  et  ma  commère 
l'Echelle. 

Et,  quand,  quand,  quand  !  Bout-de-Canard  repart  en 
chantant. 

Un  peu  plus  loin,  il  rencontre  le  camarade  Guêpier  qui 
faisait  manœuvrer  ses  guêpes. 

«  Eh,  bonjour  donc,  camarade  Canard,  dit  le  camarade 
Guêpier,  où  donc  va-t-on  si  pimpant,  si  gaillard  ? 

—  Je  vais  chez  le  roi  chercher  ce  qu'il  me  doit. 

—  Oh  !  prends-moi  avec  toi  !  » 

Bout-de-Canard  se  dit  :  «  On  n'a  jamais  trop  d'amis...  » 

—  Je  veux  bien,  lui  dit-il,  mais  avec  ton  bataillon  à 
traîner,  tout  à  l'heure  tu  seras  las.  Fais-toi  tout  petit,  entre 
dans  mon  gosier,  va  dans  mon  gésier  et  je  te  porterai. 

—  Parbleu,  c'est  une  idée  !   »  dit  le  camarade  Guêpier. 
Et,  «  par  file  à  gauche  !  »,  il  s'en  va  par  le  même  chemin 

retrouver  les  autres  avec  tout  son  monde.  Il  n'y  avait  plus 
grand'place,  mais  en  se  serrant  un  peu...  Et  Bout-de-Canard 
reprend  sa  course  et  sa  chanson. 

—  190  — 


Il  arriva  ainsi  à  la  capitale  et  enfila  tout  droit  la  grande 
rue,  toujours  courant  et  chantant:  «  Quand,  quand,  quand 
me  rendrez-vous  mon  bel  argent  ?  » ,  au  grand  étonnement 
des  bonnes  gens,  jusqu'au  palais  du  roi. 

Il  frappe  du  marteau  :  Toc,  toc  ! 

«  Qui  est  là  ?  demande  le  portier  en  passant  la  tête 
par  son  guichet. 

—  C'est  moi,  Bout-de-Canard.  Je  veux  parler  au  roi. 

—  Parler  au  roi...,  c'est  bientôt  dit.  Le  roi  dîne  et  il 
n'aime  pas  qu'on  le  dérange. 

—  Dis-lui  que  c'est  moi,  et  que  je  viens  il  sait  bien  pour- 
quoi ». 

Le  portier  referme  son  guichet  et  monte  dire  cela  au  roi, 
qui  venait  justement  de  se  mettre  à  table,  la  serviette  au 
cou,  avec  tous  ses  ministres. 

«  C'est  bon,  c'est  bon,  dit  le  roi  en  riant,  je  sais  ce  que 
c'est  ;  qu'on  le  fasse  entrer  et  qu'on  le  mette  avec  les  din- 
dons et  les  poulets.  » 

Le  portier  redescend  : 

«  Donnez-vous  la  peine  d'entrer. 

—  Bon!  se  dit  Bout-de-Canard,  je  vais  voir  comment  on 
mange  à  la  cour. 

— •  Par  ici,  par  ici,  fait  le  portier.  Encore  un  pas...  là... 
vous  y  êtes. 

—  Comment  !  comment  !  A  la  basse-cour?   » 
Pensez  si  Bout-de-Canard  était  vexé  ! 

«  Ah!  c'est  comme  ça  !  dit-il.  Attendez,  je  vous  forcerai 
bien  à  me  recevoir.  Quand,  quand,  quand  me  rendrez- 
vous  mon  bel  argent  ?  » 

Mais  les  dindons  et  les  poulets  sont  des  bêtes  qui  n'aiment 
—  191  — 


pas  qu'on  soit  autrement  qu'elles  ;  lorsqu'ils  virent  le 
nouveau  venu,  comme  il  était  fait,  et  qu'ils  l'entendirent 
crier  ainsi,  ils  commencèrent  à  le  regarder  de  travers. 
«  Qu'est-ce  que  c'est  ?  Que  veut  celui-là  ?  »  Finalement, 
ils  coururent  sur  lui  tous  ensemble  pour  l'abîmer  à  coups  de 
bec. 

«  Je  suis  perdu!  »  se  disait  déjà  Bout-de-Canard,  lorsque 
par  bonheur  il  se  rappela  son  ami,  compère  le  Renard,  et 
il  s'écria  : 

<(  Renard,  Renard,  dépêche  et  sors,  ou  je  suis  un  Bout- 
de-Canard  mort  !  » 

Aussitôt  compère  le  Renard,  qui  n'attendait  que  ce  mot-là, 
se  dépêche  de  sortir,  il  se  jette  sur  la  méchante  volaille  et 
couic,  couac  !  il  l'étrangle  à  belles  dents,  si  bien  qu'au  bout 
de  cinq  minutes  il  n'en  restait  pas  une  en  vie. 

Et  Bout-de-Canard,  bien  content,  se  remet  alors  à  chan- 
ter :  «  Quand,  quand,  quand  me  rendrez-vous  mon  bel 
argent  ?  » 

Quand  le  roi,  qui  était  encore  à  table,  entendit  ce  refrain 
et  que  la  gardeuse  d'oies  vint  lui  apprendre  dans  quel  état 
était  sa  basse-cour,  il  se  fâcha  terriblement.  Il  commanda 
qu'on  jetât  ce  maudit  Bout-de-Canard  dans  le  puits  pour 
en  finir  avec  lui. 

Et  ce  fut  fait  comme  il  avait  dit. 

Bout-de-Canard  désespérait  déjà  de  se  retirer  d'un  trou 
si  profond,  lorsqu'il  se  rappela  son  amie,  ma  commère 
l'Echelle. 

«  L'Echelle,  l'Echelle,  s'écria-t-il,  dépêche  et  sors,  ou 
je  suis  un  Bout-de-Canard  mort  !» 

Ma  commère  l'Echelle,  qui  n'attendait  que  ce  mot-là, 

—  192  — 


Emile-Oihon  I'riesz  —  La   Trapéziste  à  Medraiw. 


Df^-û. 


se  dépêche  de  sortir,  elle  appuie  ses  deux  bras  sur  la  mar- 
gelle du  puits,  Bout-de-Canard  grimpe  alors  lestement  sur 
son  dos  et  hop  !  le  voilà  dans  la  cour,  où  il  se  remet  à 
chanter  de  plus  belle. 

Quand  le  roi,  qui  était  encore  à  table  et  qui  riait  du  bon 
tour  qu'il  avait  joué  à  son  créancier,  l'entendit  de  nouveau 
réclamer  son  argent,  il  entra  dans  une  colère  bleue. 

Il  commande  qu'on  chauft'e  le  four  et  qu'on  y  jette  ce 
Bout-de-Canard  maudit,  qui,  bien  sûr,  devait  être  sorcier. 

Le  four  fut  bientôt  chaud,  mais  Bout-de-Canard,  cette 
fois,  n'avait  pas  si  peur  ;  il  comptait  sur  sa  bonne  amie,  ma 
commère  la  Rivière. 

«  Rivière,  Rivière,  s'écria- t-il,  dépêche  et  sors,  ou  je 
suis  un  Bout-de-Canard  mort  !  » 

Ma  commère  la  Rivière  se  dépêche  de  sortir  et,  rrrouf  ! 
elle  s'élance  dans  le  four,  qu'elle  inonde  avec  tous  les  gens 
qui  l'avaient  allumé  ;  puis  elle  se  répand  en  grondant  dans 
la  cour  du  palais  à  plus  de  quatre  pieds  de  haut. 

Et  Bout-de-Canard  bien  content  se  met  à  nager  en  chan- 
tant à  tue-tête  :  «  Quand,  quand,  quand  me  rendrez-vous 
mon  bel  argent  ?  » 

Le  roi  était  toujours  à  table  et  se  croyait  bien  sûr  de  son 
affaire  ;  mais  lorsqu'il  entendit  de  nouveau  chanter  Bout- 
de-Canard  et  qu'on  lui  eut  appris  tout  ce  qui  s'était  passé, 
il  devint  furieux  et  se  leva  de  table  en  brandissant  les  poings. 

«  Qu'on  me  l'amène,  et  que  je  lui  coupe  le  cou  !  s'écrie- 
t-il,  qu'on  me  l'amène  vite  !  » 

Et  vite,  deux  valets  courent  chercher  Bout-de-Canard. 

«  Enfin  !  se  disait  le  pauvret  en  montant  les  grands 
escaUers,  on  se  décide  donc  à  me  recevoir  !  » 

—  19.3  — 


Imaginez- vous  son  effroi,  lorsqu'en  entrant  il  voit  le  roi 
rouge  comme  un  coq  et  tous  ses  ministres  qui  l'attendaient 
debout,  le  sabre  à  la  main.  Il  crut  que  cette  fois  c'en  était 
fait  de  lui.  Heureusement  il  se  souvint  qu'il  lui  restait  encore 
un  ami,  et  il  s'écria  d'une  voix  mourante  : 

«  Guêpier,  Guêpier,  mon  brave,  dépêche  et  sors,  ou  je 
suis  un  Bout-de-Canard  mort  !   » 

Mais  c'est  ici  que  tout  va  changer  de  face  ! 

Bs  !  bs  !  A  la  baïonnette  !  Le  brave  Guêpier  débouche 
avec  toutes  ses  guêpes.  Elles  s'élancent  sur  l'enragé  de  roi 
et  ses  ministres  et  les  piquent  si  furieusement  au  visage 
qu'ils  en  perdent  la  tête  et  que,  ne  sachant  où  se  fourrer,  ils 
sautent  tous  pêle-mêle  par  la  fenêtre  et  se  cassent  le  cou  sur 
le  pavé. 

Voilà  Bout-de-Canard  bien  étonné,  tout  seul  dans  la 
grande  salle  et  maître  du  terrain.  Il  n'en  revenait  pas. 

Bientôt  pourtant  il  se  rappela  ce  qu'il  était  venu  faire 
au  palais  et,  profitant  de  l'occasion,  il  se  mit  à  la  recherche 
de  son  cher  argent.  Mais  il  eut  beau  fouiUer  dans  tous  les 
tiroirs,  il  ne  trouva  rien  :  tout  avait  été  dépensé. 

En  furetant  ainsi  de  chambre  en  chambre,  il  arriva  à 
celle  où  était  le  trône,  et  se  sentant  fatigué,  il  s'assit  dessus 
pour  rêver  à  son  aventure. 

Cependant  le  peuple  avait  trouvé  son  souverain  et  ses 
ministres  les  quatre  fers  en  l'air  sur  le  pavé,  et  il  s'était 
répandu  dans  le  palais  pour  savoir  comment  cela  était  arrivé. 

Lorsque  en  entrant  dans  la  salle  du  trône,  il  vit  qu'il 
y  avait  déjà  quelqu'un  sur  le  siège  royal,  il  éclata  en  cris 
de  surprise  et  de  joie  :  «  Le  roi  est  mort,  vive  le  roi  !  C'est 
le  Ciel  qui  nous  l'envoie.  » 

—  194  — 


Bout-de-Canard,  qui  ne  s'étonnait  plus  de  rien,  accueillit 
les  acclamations  de  la  foule  comme  s'il  n'eût  jamais  fait 
que  cela  de  sa  vie. 

Quelques-uns  murmuraient  bien  que  ce  serait  un  beau  roi 
qu'un  Bout-de-Canard  ;  ceux  qui  le  connaissaient  répon- 
dirent qu'un  Bout-de-Canard  bon  ménager  valait  encore 
mieux  pour  roi  qu'un  panier  percé  comme  celui  qui  gisait 
sur  le  pavé. 

Bref,  on  courut  ôter  la  couronne  de  la  tête  du  défunt  et 
DU  en  coiffa  Bout-de-Canard,  à  qui  elle  allait  comme  de  cire. 

C'est  ainsi  qu'il  devint  roi. 

«  Et  maintenant,  dit-il  après  la  cérémonie,  mesdames 
ît  messieurs,  allons  souper  !  je  me  sens  l'estomac  creux.  » 

Recueilli  en  Champagne. 


195  - 


POESIES 


Fleurs. 

Sous  la  poussière  d'or  qui  tombe  des  tilleuls 
L'air  lucide  flamboie  ainsi  qu'une  verrière 
Transparente  où  la  souple  et  féline  lumière 
Rôde  autour  des  rosiers,  des  lys  et  des  glaïeuls. 

Fleurs  !   songes  enflammés  de  la  terre  !   armoiries 
Dont  l'azur  qui  triomphe  a  marqué  les  gazons, 
Vos  luxes  tour  à  tour  insultent  les  prairies 
Et  sont  une  fourrure  aux  pieds  de  nos  maisons. 

Ames  du  Feu  !  esprits  dangereux  des  Essences  ! 
Que  ne  puis-je,  vaincu  par  vos  fauves  puissances, 
Dans  la  tranquille  ardeur  d'un  grand  midi  vermeil, 

Au  jardin  reflétant  la  clarté  qui  l'arrose 
Et  tissant  mon  linceul  de  soie  et  de  soleil 
Mourir  sous  la  caresse  éclatante  des  roses  ! 
—  196  — 


Sur  la  fuite  de  l'Eté 

Ce  bel  Eté  va  fuir  qui  depuis  de  longs  mois 
Les  grâces  à  son  char  maintenait  enchaînées, 
Et  qui,  fidèlement,  selon  de  justes  lois, 
De  joie  et  de  lumière  emplissait  nos  journées. 

Rien  ne  le  retiendra,  ni  vous  suprêmes  fleurs. 
Ni  vous  qui  périssez  abeilles  innocentes, 
Ni  votre  deuil  jardins,  fontaines  ni  vos  pleurs. 
Hélas  !  ni  vous  forêts  vainement  gémissantes. 


Stances. 

Du  temps  qui  m'est  compté  la  dernière  heure  atteinte. 
Lorsque  m'apparaîtra  la  face  de  la  Mort, 
Quittant   l'humain   séjour  sans   tristesse   ni   plainte, 
J'irai  d'un  pas  serein  vers  le  funèbre  bord, 

Si  je  puis  élever,  Muses  !  sur  les  décombres 
Un  nom  remph  de  gloire,  et  vous  qui  souriez 
Amours  !  si  de  par  vous  j'emporte  chez  les  ombres 
Quelques  beaux  souvenirs  flottants  dans  mes  lauriers 

Vincent  Muselli. 


—  197 


LES  TROMPES  DE  LA  BISE 


La  froide  bise  accourt  en  tordant  les  broussailles, 
Clame  ici  :  «  Ferme  l'huis,  vieillard  ratatiné  !  » 
Passe,  et  plus  loin  persifle  :  «  A  Son  doigt  satiné 
Viens-tu  glisser  l'anneau,  l'anneau  des  épousailles  ?    » 

Au  clocher  elle  éveille  un  bruit  de  funérailles 
Et  meugle  :  «  A  qui  le  tour  ?  vieillard  ou  nouveau-né  ?  > 
Dieu  !  quels  cris  !  mais  changeant  de  trompe  elle  a  corné  : 
«  C'est  un  porc,  un  bon  porc  dont  on  fera  ripaille  !  » 

Et  la  voici  qui  prend  son  plus  rauque  buccin 

Et  gronde  à  ma  croisée  :  «  En  ce  temps  de  Toussaint, 

Sur  l'office  des  morts,  courbe-toi,  pauvre  aïeiole  !   » 

Mais,  brusque,  une  fanfare  éclate  :    «  Au  bois  !   taïaut 

Siffle  et  couple,  chasseur,  Brifaut  et  Carillot, 

Et  pars,  le  camier  plein  de  bons  harnois  de  gueule  !  » 

Annibal  de  Monchanut. 
—  198  — 


SECTEUR  133 


A    H.  Saunier. 

Le  Volontaire  était  aux  tranchées  depuis  cinq  jours.  Il 
n'en  avait  aucune  vision  exacte,  s'accoutumant,  toutefois, 
très  bien  à  l'oubli  de  la  notion  de  l'étendue,  par  l'effet  des 
pare-éclats  qui,  tous  les  dix  mètres,  brisent  les  lignes. 

Le  premier  soir,  son  capitaine,  un  homme  du  monde, 
passionné  de  peinture  et  de  psychologie,  et  qui  pouvait 
cultiver  une  négligence  artiste  sans  traîner  après  soi  aucune 
des  vulgarités  du  bohémanisme,  à  cause  d'un  titre  distingué 
et  d'une  fortune  considérable,  l'avait  mis  à  l'aise  avec 
beaucoup  de  bonté  ;  d'autre  part,  il  l'avait  embarrassé  au 
plus  haut  point  en  l'invitant  à  confesser  ses  impressions. 

Gentilhomme  d'essence  napoléonienne,  assez  enclin  aux 
fantaisies  démagogiques,  empruntant  ses  traits  les  meilleurs 
au  répertoire  des  grands  comiques  italiens,  le  capitaine  lui 
apparaissait  ainsi  qu'une  sorte  de  héros  stendhalien,  mais, 
en  ce  cas,  un  peu  fatigué  des  manies  de  son  maître. 

Le  Volontaire  s'espérait  d'une  santé  militaire  suffisante. 
La  question  du  capitaine  ne  pouvait  être  pour  l'éprouver. 
Son  courage,  sa  fermeté  n'étaient  point  en  cause.  La  ques- 

-  199  — 


toin  se  rapportait  évidemment  aux  lieux  eux-mêmes.  Assez 
sottement,  il  répondit  qu'il  se  représentait  tout  cela  dans 
un  sens  exagéré  de  la  profondeur  et  qu'il  avait  été  déçu. 

Ce  n'était  pas  cela  du  tout. 

Il  ne  sut  rien  dire  du  seul  paysage  d'étendue  qu'il  eût 
entrevu  depuis  le  matin  :  un  rectangle  d'herbe  séchée  et 
d'argile  bouleversée  par  les  obus,  aperçu  au  périscope,  en 
s' agenouillant  sur  la  banquette  de  tir,  et  surtout  —  sur- 
tout !  —  cinq  cadavres  de  fantassins,  alignés  très  correcte- 
ment sur  le  ventre,  ainsi  que  s'alignait  son  escouade  à  la 
manœuvre,  sur  le  polygone  de  Vincennes  ou  sur  les  glacis 
du  fort  de  Rosny,  sous  l'œil  des  filles  amusées  qui  se  tor- 
daient de  rire.  Un  ancien  l'avait  de  suite  renseigné  : 

—  Ça  n'est  pas  de  chez  nous.  C'est  de  la  biffe  ;  une 
patrouille  tombée  sur  un  bec  de  gaz.  On  pense  qu'ils  sont  là 
depuis  le  mois  d'octobre,  les  frères.  Quand  on  a  fait  le 
troisième  bond  en  avant,  le  bataillon  s'est  arrêté  juste 
devant  eux...  Mais  pour  les  enterrer,  gars,  c'est  macache. 
Essaye  donc  pour  voir,  la  nuit  !  Des  fois,  en  patrouille,  on 
se  cogne  dedans  Ça  m'est  arrivé.  J'ai  cru,  car  il  faut  te  dire 
que  je  m'étais  perdu  d'avoir  trop  zigzagué,  j'ai  cru  que  je 
retrouvais  les  copains  et  j'ai  parlé  à  l'oreille  d'un...  Tu  com- 
prends ?...  Tout  bas,  comme  de  juste...  C'est  en  le  touchant 
que  j'ai  reconnu  seulement  que  c'était  un  macchabée. 

Les  cinq  cadavres  faisaient  dans  le  gazon  misérable  de 
grosses  taches  incertaines,  mais  la  capote  du  cinquième 
s'était  retroussée,  sans  doute  un  jour  de  grand  vent  et,  de 
celui-là,  on  voyait  le  fond  de  la  culotte  garance,  ces  morts 
étant  des  soldats  des  premiers  combats. 

Le  martyr  anonyme  semblait  ainsi  nous  montrer  cyni- 

—  200  — 


Raoul  Dufv  —  Avignon. 


Peinture. 


DUNOVER  DE  SeGONZAC 


Dessiu. 


Luc-Albert  Moreau 


Dessin. 


quement  son  derrière.  Ceux  qui  n'ont  pas  contemplé  un 
lambeau  d'univers  par  la  fente  d'un  créneau,  dans  la  ligne 
de  tir  d'une  mitrailleuse  bavaroise,  ne  peuvent  soupeser 
le  sublime  angélique  d'un  détail  si  grossier.  Le  grotesque  est 
divin  s'il  plaît  à  Dieu  ! 

Comme  on  ne  le  connaissait  pas  encore  assez  pour 
l'oublier  et  qu'on  avait,  dès  lors,  pitié  de  lui,  bien  qu'il 
n'eût  pas  assez  souffert,  parce  que  le  secteur  était  à  peu 
près  calme  et  que  ce  Volontaire  semblait  de  distinction, 
on  lui  donna  licence,  le  matin  du  cinquième  jour,  de  tra- 
verser la  seconde  ligne  et  d'aller  faire  toilette  au  pays. 

Le  Volontaire  marcha  sans  rien  voir.  Il  s'était  accoutumé 
très  vite  à  ne  pas  lever  la  tête  ;  il  découvrit  toutes  sortes  de 
bestioles  nouvelles  et  qui,  probablement,  ne  se  plaisent 
jamais  à  la  surface  du  sol.  On  doit  croire  qu'il  s'adaptait 
aussi  à  la  malpropreté  héroïque  ;  en  effet,  ses  ablutions  ne 
lui  procurèrent  aucune  jouissance. 

Sans  abuser  de  la  permission  pour  flâner  dans  le  village, 
des  cuisines  de  sa  compagnie  au  poste  des  agents  de  liaison 
du  bataillon,  le  Volontaire  rem.onta  en  ligne,  et  s'égara. 

Une  route  départementale  coupait  transversalement  les 
tranchées.  Il  la  suivit,  la  parcourant  d'une  centaine  de  pas 
environ. 

Au  long  du  fossé,  quelques  planches  moisies,  des  rondins, 
une  porte  de  boutique  peinte  en  vert  clair,  aux  carreaux 
cassés,  un  bénitier  fêlé  contenant  encore  un  morceau  de 
savon  rose,  attestaient  qu'une  cabane,  selon  toute  vrai- 
semblance un  abri  d'ofïïcier,  s'était  dressée  là,  peu  de  temps 
auparavant. 

A  quinze  mètres,  un  fauteuil  encombrait  la  route  même  ; 

—   201   — 


un  fauteuil  de  velours  grenat  et  de  bois  doré  sur  lequel  il 
avait  beaucoup  plu. 

En  face,  une  croix  noire  très  haute,  peinte  de  lettres 
blanches  ;  un  képi  bleu  à  passepoils  jaunes,  avec  un  chiffre 
jaune  en  écusson,  frissonnant  au  sommet. 

Alors,  encore  qu'il  ne  ressentît  aucune  fatigue  et  bien 
que  la  chose  n'eût  pour  lui  aucun  caractère  de  facétie,  sans 
qu'il  s'expUquât  cette  fantaisie,  le  Volontaire  s'installa 
commodément  dans  le  fauteuil  de  cérémonie,  les  bras 
ballants  chevauchant  les  bras  du  fauteuil  ;  les  jambes 
allongées,  les  pieds  dans  la  boue  et,  tout  de  suite,  une  balle 
lui  siffla  aux  oreilles.  Une  autre  passa,  deux  secondes  plus 
tard,  qui  ne  siffla  point  et  tinta  ainsi  qu'ime  guimbarde  entre 
des  dents  serrées. 

Le  Volontaire  ne  rencontrait  pas  en  son  voyage  immobile 
le  li\'ide  \asage  de  la  peur.  Il  riait,  content  de  se  vautrer  en 
un  fauteuil  pompeux,  devant  ce  calvaire  qui  ne  l'obsédait 
pas,  cette  croix,  au-dessus  d'une  tom.be,  cette  croix  cou- 
ronnée d'un  képi  sur  lequel  un  loriot  fientait  ! 

Il  vit,  en  un  parfait  panorama,  la  seconde  et  la  première 
lignes,  les  branches  tendues  comme  des  arcs,  à  cause  de 
leur  faiblesse  et  des  fils  téléphoniques  qui  les  unissaient. 
Il  vit,  au  delà,  la  ligne  crayeuse  des  ouvrages  de  l'ennemi  ; 
il  vit,  plus  près,  tout  près,  surpris  de  le  découvrir  si  tard,  un 
arbre  dominant  le  tableau,  tout  près  mais  tel  qu'il  paraissait 
au  centre  de  la  morne  plaine  ;  un  arbre  déchiqueté  par  les 
rafales  d'artillerie,  si  bien  qu'on  l'eût  pu  croire  déchiré  par 
les  griffes  de  chats  monstrueux,  enragés  mais  patients. 

Une  balle  imita,  à  deux  enjambées  de  son  siège,  le  cla- 
quement du  fouet  d'un  cocher  faraud. 

—  202  — 


Il  respirait,  avec  une  avidité  sensuelle  dont  il  ne  s'étonna 
que  bien  longtemps  après  et  quand  il  eut  depuis  longtemps 
quitté  ces  lieux,  l'effroyable  odeur  de  pourriture  qui  s'éle- 
vait de  la  plaine  ;  l'infâme  odeur  des  belles  graines  germées, 
mûries  et  dédaignées,  l'odeur  des  récoltes  pourries  au  ventre 
de  la  glèbe.  De  cette  ordure  distillée,  le  Volontaire  se  saoulait, 
voluptueusement.  Seul  accident  pensant  sur  ce  plan  désolé, 
allongé  au  creux  d'un  trône  municipal  doré  mais  trempé  de 
pluie,  il  se  sacrait  nonchalamment  roi  de  cette  dérision. 

Sa  royauté  ?  La  vigilante  sentinelle  qui  le  visait  cons- 
ciencieusement pour  le  manquer  de  si  peu  la  confirmait 
indubitablement. 

Le  Volontaire  ne  sut  jamais  quelle  force  lui  commanda 
de  se  lever,  de  se  remettre  en  marche. 

Il  obéit,  néanmoins,  roi  d'un  instant  éternel,  tout  à  fait 
désorienté,  rejoignant  au  pas  accéléré  son  petit  poste  par 
la  route,  à  découvert,  au  vu  de  toutes  les  sentinelles  enne- 
mies, sans  le  savoir,  sans  rien  voir  au  delà  d'une  certaine 
hauteur,  inquiet  seulement  des  courses  et  des  jeux  d'in- 
sectes éclatants  dont,  en  dépit  de  sa  cruauté,  il  ne  pouvait 
écraser  un  seul. 

Il  arriva  juste  assez  tôt  pour  ramasser  son  écuelle 
émaillée,  chue  dans  la  paille  du  gourbi,  et  la  tendre  preste- 
ment au  caporal  qui  distribuait  la  soupe  fumante  par  un 
geste  robuste,  d'une  eurythmie  débonnaire,  ou  bien  d'une 
cordiale  emphase,  et  dont  le  véritable  symbole  se  trouve 
inscrit  quelque  part,  en  quelque  autre  livre. 

André  Salmon. 
—  203  — 


MON  CHER  LUDOVIC 

CONTE 


C'est  mon  cher  Ludovic  qui  a  inventé  l'art  du  tact,  du 
contact  ou  du  toucher.  L'idée  lui  est  venue  il  y  a  une 
quinzaine  d'années  et  depuis  il  n'a  cessé  d'explorer  un 
domaine  où  il  a  pénétré  le  premier. 

Dès  les  débuts  du  nouvel  art  j'eus  l'honneur  d'être  invité 
à  ses  soirées  du  jeudi.  Il  demeurait,  à  cette  époque,  rue 
Princesse,  une  vieille  maison  qui  sentait  mauvais,  mais  où 
les  appartements  étaient  spacieux. 

On  se  réunissait  vers  huit  heures  et  demie,  et  dès  neuf 
heures  personne  ne  manquait  de  la  douzaine  d'amis  en  qui 
il  avait  confiance.  L'art  tactile  nous  attirait,  certes.  Moins 
cependant  que  la  nudité  savoureuse  de  la  femme  légitime 
de  notre  cher  Ludovic  ;  car  pour  éveiller  en  nous  le  senti- 
ment de  la  beauté,  il  faisait  poser  sa  moitié  toute  nue,  sur 
la  table  où  il  nous  versait  du  vin  de  Gaillac  acheté  chez  le 
bougnat  le  plus  proche.  La  femme  de  mon  cher  Ludovic 
était  d'une  grande  beauté  et  d'une  honnêteté  parfaite.  Nul 
de  nous  n'aurait  osé  effleurer  sa  nudité,  fût-ce  dans  le  but 
d'une  expérience  touchant  le  lyrisme  du  contact,  mais  on 

—  204  — 


se  rinçait  l'œil  cependant  que  notre  main  droite  ou  gauche, 
selon  le  cas,  ou  parfois  toutes  les  deux  éprouvaient  les  déli- 
rantes sensations  artistiques  pour  lesquelles  nous  étions 
conviés. 

Je  ne  vous  donnerai  point  le  détail  des  effleurements, 
chatouillis,  coups  de  toutes  sortes  et  de  toute  force  dont 
mon  cher  Ludovic  fit  sur  nous  l'expérience,  et  que,  les  yeux 
fixés  sur  le  corps  grassouillet  et  gracieux  de  sa  femme, 
nous  avions  la  patience  de  subir. 

t  Toutefois,  il  entre  dans  mon  plan  de  vous  dire  que  cet 
art  dont  les  règles  et  la  technique  sont  aujourd'hui  dans 
tout  leur  développement  est  fondé  sur  la  façon  différente 
dont,  selon  leur  nature,  les  objets  affectent  le  sens  du  tou- 
cher. Le  sec,  l'humide,  le  mouillé,  tous  les  degrés  du  froid 
et  du  chaud,  le  gluant,  l'épais,  le  tendre,  le  mou,  le  dur, 
l'élastique,  l'huileux,  le  soyeux,  le  velouté,  le  rêche,  le 
grenu,  etc.,  etc.,  mariés,  rapprochés  de  façon  inattendue, 
forment  la  riche  matière  où  mon  cher  Ludovic  puise  les 
combinaisons  subtiles  et  sublimes  de  l'art  tactile.  Musique 
muette  qui  exacerbait  nos  nerfs,  cependant  que  nos  yeux 
charmés  ne  quittaient  point  le  corps  exquis  auquel,  pour 
rien  au  monde,  nous  n'aurions  osé  toucher  et  qui  portait  des 
fruits  plus  appétissants,  j 'en  suis  sûr,  que  tous  les  pommiers 
de  Tantale. 

Mon  cher  Ludovic  professait  que  tous  les  genres  de 
contacts  ressentis  simultanément  procureraient  la  sensation 
du  vide,  car,  ajoutait-il,  «  on  ne  l'ignore  plus  depuis  long- 
temps: la  nature  a  horreur  du  vide,  et  ce  que  l'on  prend  pour 
le  vide,  c'est  le  sohde  même  ». 

Mais  nous  n'entrions  pas  dans  ces  détails,  lorsqu'une  fois 
—  205  — 


par  semaine  nous  laissions  s'exercer  sur  nos  doigts  une 
fantaisie  qui  parfois  allait  jusqu'à  une  inconsciente  cruauté. 

Une  faillite  le  priva  de  la  petite  place  qui  le  faisait  vivre. 
Confiant  dans  l'avenir  de  son  art,  il  occupa  ses  loisirs  forcés 
à  la  construction  d'un  «  cercle  des  contacts  )\  travail  qu'il 
mena  à  bien  en  six  mois. 

Là-dessus,  fatigué  de  tout,  il  écrivit  au  directeur  de  la 
Compagnie  du  P.-L.-M.  : 

«  Monsieur, 
«  Je  suis  l'inventeur  de  l'art  des  contacts.  Je  voudrais 
bien  faire  un  petit  voyage,  mais  n'ayant  pas  d'argent,  je 
m'adresse  à  vous  dans  l'espoir  que  vous  voudrez  bien  me 
procurer  un  petit  déplacement  qui  me  sera  salutaire.  » 

La  réponse  ne  se  fit  pas  attendre.  Elle  contenait  un  billet 
d'aller  et  retour  pour  Genève  et  il  se  mit  en  route  aussitôt, 
laissant  sa  femme  toute  seule  à  Paris. 

Il  n'eut  pas  de  chance  comme  voyageur,  car  la  pluie 
tomba  durant  tout  le  voyage,  mais  en  revenant  à  Paris,  il 
imagina  un  roman  géologique  où  le  MontBlanc,  qu'il  n'avait 
pas  eu  la  chance  de  voir,  tombait  dans  le  lac  Léman,  si  bien 
qu'il  n'y  avait  plus  ni  mont,  ni  lac,  mais  une  plaine  parfai- 
tement unie  qui  pouvait  servir  de  vaste  champ  d'expé- 
rience pour  l'art  du  tact  que  l'on  pourrait  y  pratiquer 
pédestrement,  en  talonnant,  pour  ainsi  dire,  les  pieds  nus, 
les  symphonies  tactiles  que  mon  cher  Ludovic  combinait 
merveilleusement . 

Pendant  son  absence,  sa  femme,  qui  s'ennuyait  toute 
seule,  avait  écrit  à  une  grande  danseuse  américaine  qui 
était  sur  le  point  de  s'exhiber  dans  un  grand  théâtre  : 

—  206  — 


«  Madame, 
«  Je  suis  la  femme  de  l'inventeur  de  l'art  des  contacts 
qui  est  allé  faire  un  petit  voyage  d'agrément.  En  l'absence 
de  mon  mari,  je  manque  de  distractions  et  je  voudrais  bien 
aller  vous  applaudir.  » 

La  réponse  contenait  deux  fauteuils  pour  la  première 
représentation  et  mon  cher  Ludo\dc,  étant  revenu  sur  ces 
entrefaites,  s'en  fut  voir  la  danseuse  en  compagnie  de  sa 
femme.  Il  eut  ainsi  l'occasion  de  constater  que  l'art  tactile 
s'allierait  fort  bien  à  la  chorégraphie  et  à  la  musique. 

Les  soirées  du  jeudi  continuèrent.  Mais  au  fur  et  à 
mesure  des  années,  les  invités  vinrent  en  moins  grand 
nombre,  parce  que,  sans  doute,  la  femme  de  mon  cher 
Ludovic  s 'alourdissant,  son  corps  devenait  moins  agréable 
à  voir. 

Toutefois,  c'est  encore  aujourd'hui,  malgré  la  guerre,  une 
fraîche  matrone  qui  vit  très  bien  de  «  l'allocation  »,  car 
mobilisé,  son  mari  est  chargé  de  fouiller  à  Bellegarde  les 
voyageurs  suspects.  C'est  une  fonction  où  il  faut  du  tact. 

Guillaume  Apollinaire. 


—  207 


DIEU 

CONTE 


Saint  Pierre  un  jour  se  promenait 

Dans  la  verte  campagne. 
Et  marmonnait  et  ruminait 

Des  châteaux  en  Espagne. 

«  Ah  !  que  j'aimerais  être  Dieu  ! 

—  Allait-il  jusqu'à  dire  — 
Pour  gouverner,  selon  mon  vœu, 

Tout  le  terrestre  empire. 

—  Soit,  lui  dit  Dieu  qui  tout  entend, 

Je  te  fais  cette  grâce. 
Je  me  reposerai  d'autant. 

Prends  pour  un  jour  ma  place.  » 

—  208  — 


Un  trône  alors  tomba  des  cieux 

Où  s'assit  sans  vergogne 
Notre  compère   ambitieux 

Qui,  d'abord,  se  renfrogne. 

Tôt  après  ce  bon  Dieu  nouveau, 

Affamé  de  panache. 
Vit  une  vieille  dans  un  pré 

Menant  paître  sa  vache. 

Puis  la  quitter  sans  s'attarder  : 

«  Qui   donc,   lui   dit   saint   Pierre, 

Va  cette  vache  ici  garder. 
Si  tu  t'en  vas,  sorcière  ? 

—  La  belle  demande  !  parbleu, 

Point  je  ne  m'en  martèle. 
Je  la  laisse  aux  soins  du  Bon  Dieu. 

Pour  moi,  répondit-elle, 


Je  dois  rentrer  à  la  maison 
Où  m'attend  la  marmaille. 

—  Elle  a  cent  mille  fois  raison. 
Dit  le  Seigneur  qui  raille. 

Et  puisque  c'est  toi  le  Bon  Dieu, 
Il  n'y  a  pas,  macache... 

Il  te  faut  rester  en  ce  lieu 
Et  lui  garder  sa  vache.  » 


H 


Il  faisait  un  atroce  temps 

D'orage,  de  tempête, 
Un  tas  de  mouches  et  de  taons 

Navraient  la  pau\Te  bête. 

Bientôt  soufflant  et  mugissant. 
N'y  pouvant  plus  suffire, 

Elle  partit  à  travers  champs 
En  proie  à  ce  martyre. 

Saint  Pierre  dut  courir  après 
Pendant  des  kilomètres, 

Franchir  des  buissons,  des  guérets 
Sous  l'œil  du  Divin  Maître. 


210 


Il  courut  ainsi  tout  le  jour 
Sans  la  pouvoir  rejoindre, 

Et  quand  la  nuit  vint  à  son  tour. 
Il  était  réduit,  moindre... 

«  Ainsi,  lui  dit  le  Seigneur,  tu 

Veux  régir,  ô  ganache  ! 
Le  monde  !  et  tu  n'es  pas  foutu 

De  garder  une  vache  !  » 


Raoul  Ponchon. 


—  •211. 


MEMOIRES  DE  CELLE  QUI  A  TROUVE  UN  MARI 


Samedi.  —  La  sœur  m'avait  bien  dit  qu'il  n'y  a  rien  à 
gagner  avec  ceux-là  !  J'ai  eu  beau  lui  dire  que  ce  n'était 
pas  vrai,  que  je  lui  avais  menti  quand  je  lui  avais  dit  que 
j'étais  enceinte,  Corentin  se  cache  dans  les  entrées  des  mai- 
sons quand  il  me  voit.  Ma  mère  ne  s'aperçoit  de  rien,  Dieu 
merci  ;  j'avais  peur  que  ma  sœur  de  Paris  qui  est  arrivée 
hier  ne  s'aperçoive,  m.ais  elle  ne  s'est  pas  aperçu. 

Lundi.  —  Hier  à  l'église,  Marie-Jeanne  Gloaguen,  l'épi- 
cière,  a  dit  tout  haut  :  «  Quand  on  a  des  hanches  comme 
ça,  on  ne  vient  pas  dans  les  églises  !  »  Mon  père  était  comme 
fou  hier  ;  j'ai  cru  qu'on  lui  avait  dit  quelque  chose  à  la 
Papeterie,  car  son  collègue  de  la  Chauffe  s'est  aperçu, 
Simon  !  mais  il  était  furieux  parce  qu'il  avait  bu  ;  et  il  s'est 
emballé  parce  que  ma  mère  et  moi  nous  sommes  allées  au 
Bal  public  sur  la  place. 

Jeudi.  — Ça  y  est  !  Ce  matin  à  quatre  heures  !  Mon  Dieu  ! 
que  j'ai  souffert  !  j'avais  pensé  d'abord  à  accoucher  sur  le 

-^  2ZZ  — 


fumier  de  la  cour,  mais  il  y  a  la  maison  des  Gloaguen,  et  on 
veille  là  pour  faire  le  pain  et  les  Gloaguen  ne  m'aiment  pas 
parce  que  j'ai  mauvais  caractère.  Quand  j'étais  à  l'ccole,  je 
jetais  des  pierres  dans  leurs  carreaux  !  Alors  je  suis  sortie 
du  bourg,  j'ai  été  dans  le  Puits  sec.  J'avais  pens3  le  laisser 
là  !  Mon  Dieu,  il  ne  faut  pas  priver  le  pauvre  petit  de  sa 
part  de  Paradis  ;  alors  je  l'ai  mis  dans  mon  tablier,  je  l'ai 
habillé  dans  mon  tablier  et  j'ai  creusé  la  tombe  de  mon 
grand-père  ;  personne  n'ira  le  chercher  là.  J'ai  tout  avoué 
à  Corentin  !  Il  n'a  rien  répondu.  Ah  !  la  sceur  m'avait  bien 
dit  autrefois  qu'il  n'y  a  rien  à  gagner  avec  les  hommes. 

i^r  novembre.  —  Mon  Dieu  !  Ayez  pitié  de  moi  !  Je  ne 
suis  qu'une  pauvre  fille  !  Je  ne  croyais  pas  faire  tant  de 
mal.  Me  voilà  en  prison  !  Une  fille  de  chauffeur  en  prison  ! 
Mon  père  est  venu  me  voir,  ma  mère  me  dit  :  «  Pourquoi 
n'avoir  pas  dit  !  » 

Il  paraît  que  c'est  le  sacristain  et  le  cordonnier  qui  ont 
vu  des  mouches  autour  d'une  tombe.  Tiens  !  il  y  a  quelque 
chose  par  là,  et  ils  ont  trouvé  le  pauvre  enfant  ;  on  a  reconnu 
mon  tablier  !  c'est  alors  que  les  gendarmes  sont  venus  à  la 
maison  et  que  je  me  suis  sauvée.  Cinq  jours  !  que  je  suis 
restée  à  rôder  dans  la  campagne  en  mangeant  des  carottes  des 
champs.  Mon  père  et  ma  mère  ne  cessent  pas  de  pleurer  ici. 
Corentin  n'est  pas  venu.  Ma  mère  m'apporte  des  œufs  et 
du  beurre.  Quel  chagrin  par  ma  faute  ! 

2  novembre.  — Le  geôlier  m'a  connue  autrefois  parce  que 
ma  mère  a  été  placée  ici  avant  que  mon  père  soit  chauffeur 
à  la  Papeterie  ;  mon  père  était  alors  mécanicien  chez  Leduc. 
II  trouve  que  j'ai  bien  grandi  et  embelli. 

—  213  — 


10  novembre.  — Corentin  Leborgne  est  venu:  «  Si  vous 
êtes  condamnée,  ce  sera  ma  faute,  j'irai  le  dire  au  tribunal.  » 
«  Pourquoi  ?  lui  ai-je  répondu,  c'est  assez  d'un  à  souffrir  ; 
restez  à  Saint-Oa  ;  mariez- vous  !  «  —  «  Si  vous  n'êtes  pas 
condamnée,  c'est  avec  vous  que  je  me  marierai,  Louise», 
me  dit-il.  L'avocat  dit  que  je  ne  serai  pas  condamnée  à 
cause  de  mes  bons  certificats  :  il  y  a  ime  loi  pour  ne  pas 
faire  sa  prison  quand  on  a  de  bons  certificats.  La  sœur  du 
couvent  de  Saint-Oa  est  venue  me  voir;  elle  m'a  donné  un 
crucifix,  elle  m'a  dit  que  je  ne  serais  pas  condamnée  et  que 
je  devais  aller  dans  un  couvent.  Voilà  deux  mois  que  je  suis 
ici  dans  leur  sale  prison,  où  il  n'y  a  que  des  hommes  en 
sabots  et  des  femmes  sans  coiffe. 

Décembre.  —  Ça  y  est  !  J'ai  passé  aux  Assises  comme  une 
malhemreuse  que  je  suis.  Mon  avocat  est  bien  bon  !  C'est 
un  jeune  homme;  il  est  très  joli  garçon.  J'aimais  mieux 
que  ça  finisse,  quitte  à  aller  aux  travaux  forcés  !  Si  j'étais 
inculpée  d'infanticide  il  aurait  fallu  aller  aux  travaux  forcés. 
J'aime  mieux  ça  que  d'aller  tous  les  jours  chez  le  juge 
d'instruction  :  traverser  la  ville  !  oh  !  quelle  honte,  moi  !  Mon 
avocat  —  ce  n'est  pas  celui-là  qui  m'aurait  abandonnée 
si  j'avais  fauté  avec  lui  — mon  avocat  m'a  dit  qu'il  plaide- 
rait que  l'enfant  est  mort  naturellement.  Il  a  plaidé  qu'il 
n'y  avait  pas  de  ma  faute  dans  tout  ça.  Je  crois  que  le 
président  a  été  bien  bon  aussi,  car  me  voilà  à  la  maison.  Je 
ne  savais  pas  ce  que  je  disais  :  mon  père  était  dans  la  salle, 
il  me  faisait  signe  de  me  lever  quand  le  président  me  par- 
lait et  de  m'asseoir  après.  Il  a  voulu  quitter  sa  place  de 
chauffeur,  mais  on  a  voulu  le  garder.  Il  s'est  battu  avec 

—  214  — 


Gloaguen  parce  que  Gloaguen  m'a  insultée  à  l'usine. 
—  Corentin  est  venu.  La  sœur  dit  qu'il  faut  que  j'aille 
dans  un  couvent,  mais  Corentin  dit  qu'il  veut  se  marier 
avec  moi,  car  il  m'aime  toujours  :  «  Ah  !  Corentin,  que  lui 
dit  ma  mère,  si  vous  aviez  parlé  plus  tôt  vous  auriez  évité 
un  grand  malheur.  »  —  «  J'avais  honte,  dit  Corentin.  Nous 
irons  nous  marier  à  Paris  tous  les  deux.  »  La  sœur  me  dit  : 
«  Tâchez  de  bien  vous  conduire  !  vous  voyez  où  mène  la 
faute.  »  —  «  Mon  Dieu  !  ma  sœur,  que  je  lui  réponds,  si  je 
n'avais  pas  tué  le  pauvre  petit,  Corentin  ne  se  serait  pas 
marié  avec  moi  et  j'aurais  eu  du  mal  à  l'élever.  Le  bon  Dieu 
n'est  pas  juste.  »  La  sœur  a  répondu  que  j'étais  une  fille 
perverse  pour  toujours.  Perverse  !  je  ne  dis  pas,  mais  mariée, 
c'est  sûr  maintenant. 

Max  Jacob. 


Extrait  du  «  Cinéma  Thomas  »  (i  volume  inédit). 
—  215  — 


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—   217 


QUELQUES  APERÇUS  SUR  L'ÉTAT  PRESENT 
DE  LA  MUSIQUE  EN  FRANCE 


Il  est,  bien  entendu,  impossible  de  présenter,  en  un  cadre 
aussi  restreint,  une  étude  un  peu  complète  sur  la  musique 
en  France  à  notre  époque.  En  outre,  pour  bien  apprécier 
l'ensemble  de  la  production  artistique  d'une  période  de 
l'histoire,  il  faut  un  certain  recul  ;  d'autre  part,  les  temps 
que  nous  traversons  sont  trop  troublés  pour  qu'il  soit  per- 
mis de  donner  des  conclusions  précises,  et  de  démêler,  dans 
le  présent,  ce  que  peut  nous  réserver  l'avenir. 

L'auteur  de  ces  lignes  se  propose  donc  simplement  d'ex- 
poser quelques  idées  propres  à  faire  connaître  et  aimer  la 
musique  française,  et  de  tâcher  de  déterminer  ses  tendances 
générales.  Il  aura  le  regret  de  ne  pouvoir  citer  que  quelques 
noms  et  quelques  œuvres,  devant  s'en  tenir  seulement  à  ce 
que  le  succès  a  consacré  dans  une  mesure  suffisamment 
large. 

*   *   * 

La  première  des  choses  qui  frappe  dans  la  production 
musicale  contemporaine  de  notre  pays,  c'est  la  diversité 

—  218  — 


extrême  des  tendances.  Diversité,  croyons-nous,  plus  appa- 
rente que  réelle, car  on  peut  toujours  opérer  un  classement; 
et  d'ailleurs,  quelle  que  soit  sa  tendance,  une  œuvre  qui 
remplit  pleinement  son  but  n'est-elle  point  à  coup  sûr  la 
meilleure  ? 

Mais  quel  est  le  but  particulier  de  la  musique  ?  Ceci 
nous  amènerait  à  chercher  une  définition  de  cet  art.  Sans 
entrer  dans  le  détail  de  celles,  très  nombreuses,  qui  ont  pu 
être  proposées,  il  est  vraisemblable  qu'aucune  d'elles  ne 
nous  donnerait  satisfaction.  Tout  art,  en  effet,  est  composé 
d'une  foule  d'éléments  complexes.  Il  n'est  pas  plus  juste  de 
dire  que  la  musique  est  un  heureux  arrangement  de  sons, 
que  de  dire  de  la  peinture  qu'elle  est  une  agréable  combi- 
naison de  couleurs.  Ni  l'une,  ni  l'autre  ne  sont  que  cela. 
Dans  toutes  deux  il  y  a  place  pour  la  représentation  des 
sentiments,  et  les  moyens  employés  dans  ce  but  ne  laissent 
pas  que  d'être  fort  différents  cependant.  Il  est  plus  simple, 
sans  rechercher  une  définition  précise  de  ce  qui  ne  saurait 
être  précisé,  de  procéder  par  comparaison,  et  de  considérer 
la  musique  comme  une  sorte  de  langage  d'une  essence  par- 
ticuhère,  et  dont  le  caractère  émotif  est  d'une  nature  telle 
que  la  cause  de  cette  émotion  demeure  toujours  pour  nous 
cachée  et  mystérieuse.  La  musique  est  une  véritable  ampli- 
fication du  langage  parlé  :  ce  dernier,  en  effet,  ne  possède-t- 
11  pas  l'intonation  et  le  rythme,  les  deux  éléments  premiers 
de  toute  musique  ?  Si  l'on  ne  retient  du  langage  que  ces 
éléments  seuls,  sans  tenir  compte  de  la  signification  des 
mots  dont  il  est  formé,  la  musique  se  trouvera  créée,  à 
l'état  rudimentaire  il  est  vrai,  mais  susceptible  désormais 
de  se  perfectionner  à  l'infini.  La  musique  se  trouve  ainsi 

—  219  — 


parfaitement  assimilable  à  l'art  oratoire  dont  elle  est  une 
manière  d'abstraction.  Elle  emploiera  des  moyens  analo- 
gues :  répétitions,  assonances,  r^lhmes  plus  ou  moins 
serrés,  grandes  divisions  facilement  saisissables  à  l'auditeur. 

De  ces  observations  découle  nécessairement  cette  vérité  : 
la  musique,  langage  aux  locutions  innombrables,  aura 
cependant  des  expressions  particulières,  des  tournures 
favorites  — et  cela,  c'est  le  style  — s'adaptant  aux  mœurs 
et  aux  goûts  des  peuples  chez  qui  elle  est  née  et  pour  les- 
quels elle  est  faite.  Il  existe  donc,  en  musique,  un  style 
français. 

Ce  style  est  fait  en  premier  lieu  des  apports  de  la  tradition 
nationale.  Cette  expression,  en  lui  donnant  le  sens  large 
qu'elle  comporte,  comprend  l'ensemble  de  l'œuvre  musicale 
antérieure  dans  notre  pays. 

En  second  lieu,  des  éléments  étrangers  viennent  s'ajouter 
à  cette  tradition.  Chaque  auteur,  aux  différentes  époques, 
se  les  est  assimilés,  les  a  fait  siens  pour  en  former  un  style 
nouveau  qui  vient  enrichir  cette  tradition. 

Comme  dans  tous  les  autres  arts,  il  y  a  en  musique  diffé- 
rents genres,  plus  ou  moins  déterminés.  Pour  simplifier, 
nous  les  ramènerons  à  deux  principaux  :  le  genre  dramatique 
et  le  genre  symphonique. 

Dans  le  genre  dramatique  nous  classerons  tout  ce  qui  a 
trait  à  la  représentation  d'une  action  :  opéra,  opéra-comique, 
oratorio,  ballet.  Toute  autre  espèce  de  musique,  instrumen- 
tale ou  vocale,  sera  classée  dans  le  genre  symphonique.  La 
différence  essentielle  entre  ces  deux  genres  réside  en  ce  que 
la  musique  symphonique  ne  met  point  en  rehef  des  person- 
nages, comme  la  musique  dramatique,  mais,  bien  qu'elle 

—  220  — 


se  propose  souvent  la  peinture  de  sentiments  ou  d'actions 
détermines,  elle  n'emploie  dans  ce  but  que  des  moyens 
purement  empruntés  à  l'art  musical. 

*   *   * 

En  jetant  un  rapide  coup  d'œil  sur  l'évolution  de  la 
musique  dramatique  en  France,  nous  constatons  que  nos 
vieux  mystères  associaient  déjà  souvent  la  musique  à  une 
action.  Mais  dans  les  mystères  la  musique  ne  jouait  qu'un 
rôle  intermittent  :  ils  semblent  donc  avoir  donné  naissance 
plutôt  à  la  forme  appelée  depuis  opéra-comique.  L'idée  d'une 
pièce  de  théâtre  soutenue  du  commencement  à  la  fin  par  la 
musique  revient  aux  Italiens,  qui  crurent  en  cela  ressusciter 
la  tragédie  grecque  antique.  Uopéra  était  créé.  Importé 
en  France  par  Cambert,  de  qui  l'on  ne  connaît  malheureu- 
sement que  quelques  beaux  fragments  de  Pomone,  ce  genre 
atteint  immédiatement  sa  forme  classique  avec  Lully,  vrai 
créateur  du  drame  lyrique  français,  spectacle  somptueux, 
voire  voluptueux,  sur  lequel  Boileau  exerce  sa  critique 
sévère,  et  peut-être  aussi  un  peu  injuste.  Voici  venir 
Rameau  et  enfin  Gluck,  pour  ne  citer  que  les  plus  célèbres. 
Chacun  de  ces  deux  auteurs  fait  siennes  les  formes  ita- 
liennes —  comme  l'Italien  Lully  avait  fait  siennes  les 
formes  françaises  de  Cambert  —  tout  en  continuant  la 
tradition  de  Lully. 

Après  la  Révolution,  l'opéra  français  ne  brille  guère. 
Aucun  chef-d'œuvre  digne  de  ce  nom  n'apparaît  sur  notre 
scène.  Rossini  et  Donizetti,  un  peu  plus  tard,  créent  le 
dilettantisme,    cependant    qu'Halévy,    Meyerbeer,  Berlioz 

—  321  — 


tâchent  de  suivre,  en  la  perfectionnant,  la  manière  fran- 
çaise, mais  sans  égaler  les  grands  génies  de  l'époque  précé- 
dente. Gounod  et  Ambroise  Thomas  suivent  leurs  traces, 
mais,  chez  eux,  le  mélange  des  styles  allemand  et  itahen 
avec  une  forme  pseudo-traditionnelle  crée  parfois  une 
disparate  fâcheuse.  Ils  ne  semblent  point  s'être  assimilé 
ces  styles  alors  nouveaux  et  en  apparence  contradictoires. 
Le  public,  lassé  de  ces  essais  infructueux,  accueille  alors 
avec  enthousiasme  l'opéra  wagnérien. 

Le  succès  de  Wagner,  chez  nous,  si  l'on  y  réfléchit,  est 
cependant  assez  fait  pour  étonner.  Dans  l'œuvre  énorme 
du  grand  musicien  allemand  il  y  a  certes  des  beautés,  mais 
nous  sommes  bien  forcés  de  reconnaître  qu'elles  sont  enve- 
loppées de  beaucoup  de  fatras,  de  prétentions  à  la  philoso- 
phie et  à  la  prêchaillerie  qui  ne  sont  guère  dans  notre 
caractère.  A  quoi  donc  est  dû  un  pareil  engouement  ? 

D'abord  au  fait  que  l'Allemagne  a  produit  au  xix®  siècle, 
avant  Wagner,  de  grands  génies  musicaux  —  les  noms  en 
sont  dans  toutes  les  mémoires  —  et  que  par  suite  le  public 
s'est  tout  naturellement  intéressé  à  la  musique  allemande. 
Peut-être  aussi  notre  malheureuse  défaite  de  1870  nous 
a-t-elle  conduits  à  admirer  nos  adversaires,  même  en  beau- 
coup de  choses  où  ils  n'étaient  point  si  admirables.  N'ou- 
blions pas  non  plus  que  Wagner  a  trouvé  à  Paris  de  puis- 
santes protections  qui  lui  ont  permis  de  faire  représenter 
son  Tannhauser  à  l'Opéra,  alors  que  le  Français  Berlioz 
se  voyait  obHgé  de  lui  céder  la  place  et  de  donner  ses 
Troyens  sur  une  autre  scène.  Enfin,  l'on  était  las  du  vieil 
opéra,  et  l'on  a  pris  goût  à  ce  genre  où  la  musique  d'un  acte 
forme  une  entité  continue  développée  symphoniquement, 

—  22Z  .— 


où  les  personnages  sont  noyés  dans  le  flot  orchestral,  qui 
les  entraîne  comme  la  Fatalité  du  théâtre  antique,  parce 
que  vraisemblablement  l'on  était  plus  avide  de  sensations 
nouvelles  que  de  sentiments  exprimés  avec  clarté  et  sim- 
pHcité. 

Si  cependant  l'influence  de  Wagner  a  été  grande  sur  le 
public  et  sur  nos  auteurs  eux-mêmes,  elle  n'a  pas  étouffé 
entièrement  notre  manière  de  comprendre  l'opéra.  Parmi 
nos  grands  musiciens,  les  uns  se  sont  servis  très  accessoire- 
ment des  procédés  wagnériens,  et  n'ont  paru  que  fort  peu 
influencés  par  son  style,  les  autres  se  sont  assimilé  la 
manière  de  Wagner  de  façon  à  se  créer  un  style  personnel. 

En  premier  heu,  il  faut  citer  Massenet  et  M.  Saint-Saëns. 
L'un  et  l'autre  ont  compris  l'opéra  suivant  notre  vieille 
tradition  française.  Ils  ont  utilisé  parfois,  en  passant,  le 
système  sur  lequel  on  a  fait  plus  de  tapage  qu'il  ne  le 
mérite  d'ailleurs,  du  leit-motiv,  mais  il  n'en  ont  guère  lait 
autre  chose  qu'un  élégant  accessoire,  sans  le  destiner  le 
moins  du  monde  à  peindre  un  caractère.  Tout  au  plus  le 
thème  léger  et  déhcat  de  Manon  sert-il  à  créer  autour  du 
personnage  une  gracieuse  atmosphère  qui  complète  pour 
nous  sa  physionomie.  C'est  trop  souvent,  par  contre,  le 
défaut  de  Wagner  que  de  confier  la  partie  importante  à 
l'orchestre  alors  que  le  personnage  en  scène  semble  faire 
sa  partie  dans  cet  orchestre  ni  plus  ni  moins  qu'un  instru- 
ment quelconque.  Il  y  a  là  un  évident  illogisme  (i).  Masse- 
net  possédait  un  sens  admirable  du  théâtre.  Il  excelle  dans 

(i)  Accordons  cependant,  pour  être  justes,  que  la  traduction  en  français 
fausse  à  la  fois  l'accent  et  le  sentiment  de  la  déclamsticn  qui,  dès  lors,  doi- 
vent nous  échapper  en  partie. 

—   223   — 


la  peinture  musicale  de  la  passion.  Trop  souvent,  cependant, 
il  nous  la  représente  dans  ce  qu'elle  a  de  moins  élevé,  parfois 
même  de  plus  grossièrement  sensuel.  De  plus,  l'extrême 
facilité  de  ce  compositeur,  son  désir  constant  de  plaire 
malgré  tout,  l'ont  conduit  à  des  platitudes  qu'il  eût  pu 
certainement  éviter.  Mais  il  a  eu  de  délicieuses  inventions 
mélodiques  et  des  trouvailles  orchestrales  dont  profitent 
encore  les  plus  modernes  de  nos  musiciens.  Il  possède  par- 
dessus tout  la  clarté,  la  simplicité  dans  l'expression,  le 
sens  juste  des  situations  dramatiques.  Rendons  à  Manon 
et  à  Werther  la  justice  qui  leur  est  due,  et  n'oublions  pas 
que  ces  deux  opéras  très  français  ont  porté  au  loin  le  renom 
artistique  de  notre  pays. 

M.  Saint-Saëns  a  abordé  le  drame  l3^que,  comme  il  a 
fait  de  toutes  choses,  en  homme  universel.  Il  y  a  réussi  de 
la  manière  que  l'on  sait,  et  s'est  échappé  avec  adresse  des 
serres  du  maître  de  Bayreuth,  en  excellent  connaisseur 
de  notre  opéra  classique.  Cette  tendance  vers  le  classique 
s'affirme  jusque  dans  le  choix  de  ses  sujets.  Mais  malgré 
les  mérites  incontestés  de  la  partition  de  Samson,  pour 
prendre  l'une  des  plus  connues,  M.  Saint-Saëns  ne  possède 
point  au  degré  de  Massenet  l'art  de  peindre  musicalement 
un  caractère.  Ce  n'est  point  vraiment  un  homme  de  théâtre. 
Son  style  est  varié  et  agréable,  mais  fait  de  trop  d'éléments 
divers.  On  sent  que  l'auteur  pense  trop  constamment  à 
ses  grands  modèles. 

Chez  d'autres  compositeurs,  l'influence  de  Wagner  s'fest 
affirmée  davantage,  parfois  m.ême  jusqu'à  l'excès.  Nous 
la  sentons  vraiment  trop  dominatrice  dans  des  ouvrages 
tels  que  le  Roi  Artusàe.  Chausson  ouïes  opéras,  plus  récents, 

—  224  — 


de  M.d'Indy  :  Fervaal  et  l'Etranger.  Ce  ne  sont  guère  là  que 
de  bizarres  copies  de  leur  idole  par  des  enthousiastes  de  la 
première  heure.  D'autres,  doués  d'un  talent  dramatique 
original,  comme  M.  Gustave  Charpentier,  sont  obsédés  par 
le  système  du  leit-motiv.  Louise  et  Julien  vivent  d'une  vraie 
vie  musicale,  mais  l'auteur  abuse  parfois  de  ses  thèmes 
jusqu'à  porter  sur  les  nerfs.  ' 

Aussi  m'arrêterai-je  un  peu  plus  longuement  sur 
M.  Debussy.  Bien  que  l'influence  de  Wagner  soit  encore 
manifeste  dans  Pelleas  et  Mélisandc  —  M.  Debussy  sans 
doute  s'en  défendrait  —  et  qu'elle  apparaisse  principale- 
ment dans  la  continuité  de  la  trame  orchestrale,  le  chant 
et  la  déclamation  sont  traités  d'une  façon  très  neuve  et 
ressortent  sur  cette  trame  bien  mieux  que  chez  Wagner. 
Le  leit-motiv  est  presque  délaissé.  Ce  n'est  plus  qu'un 
rythme,  un  court  fragment  mélodique  qui  interviennent 
sans  excéder  la  mesure  et  pour  se  présenter  à  nous  presque 
toujours  modifiés  au  gré  de  l'imagination  du  compositeur 
et  surtout  de  Y  expression  que  comporte  la  situation  dra- 
matique. Par  là  M.  Debussy  se  rapproche  de  nos  vieux 
auteurs  qui  excellaient  dans  le  développement  expressif, 
tant  différent  du  développement  scol astique  wagnérien.  Du 
reste  M.  Debussy  ne  développe  jamais  inutilement.  Chez 
lui  le  trait  est  bref,  juste  et  sobre,  bien  en  place.  Son  style 
est  bien  à  lui,  extrêmement  simple  et  clair  quoique  toujours 
recherché  et  élégant,  et  bien  que  ce  style  emprunte  sa  nou- 
'  veauté  de  l'harmonie  allemande,  de  la  mélodie  et  des 
rythmes  orientaux  et  slaves,  il  puise  son  fonds  et  sa  solidité 
à  nos  bonnes  sources  françaises.  M.  Debussy  possède  un 
excellent  sens  dramatique  soit  pour  les  situations,  soit  pour 

—  225  — 


les  caractères.   On  peut  regretter  seulement  qu'il  n'ait 
abordé  qu'une  fois  le  théâtre. 

L'opéra  a  été  de  tout  temps  fort  goûté  en  France.  On 
comprendra  donc  que  nous  nous  y  soyons  arrêtés  un  peu 
longuement.  Ce  n'est  guère  avant  le  xix^  siècle  que  nous 
voyons  apparaître  chez  nous  l'oratorio.  Auparavant  on 
lui  préférait  la  cantate,  aujourd'hui  à  peu  près  délaissée, 
sauf  par  les  candidats  au  prix  de  Rome.  BerUoz,  le  premier, 
écrivit  de  véritables  oratorios  qu'il  appelait  symphonies 
dramatiques.  Puis  Félicien  David  dans  le  Désert,  Ch.  Gou- 
nod  qui  revint  à  l'oratorio  d'inspiration  reUgieuse  avec  des 
œuvres  remarquables  telles  que  La  Rédemption,  enfin 
César  Franck  avec  Ruth,  Psyché,  Rédemption  et  les  Béati- 
tudes, portèrent  l'oratorio  à  un  haut  degré  de  perfection. 
De  nos  jours  M.  Saint-Saëns,  dans  le  Déluge,  a  su  faire 
sonner  les  masses  chorales  avec  une  puissance  presque 
égale  à  celle  du  vieil  Hsendel. 

L' opéra-comique,  où  la  France  brilla  toujours,  et  qui 
atteint  l'apogée  de  sa  grandeur  à  la  fin  du  xviii^  siècle,  a  été 
un  peu  écrasé  ces  derniers  temps  par  la  concurrence  absolu- 
ment déloyale  de  la  stupide  opérette  viennoise.  Mais 
M.  Ch.  Lecoq  est  là  pour  prouver  que  l' opéra-comique  n'est 
point  mort,  et  ses  œuvres  délicates  et  spirituelles  vivront 
plus  que  toutes  les  Veuves  joyeuses  du  monde. 

Le  ballet,  accessoire  échappé  du  vieil  opéra,  recommence 
à  jouir  d'une  certaine  faveur.  MM.  Dukas,  Debussy,  Ravel, 
Schmitt,  Roussel,  de  Severac,  d'autres  encore,  ont  écrit, 
en  ce  genre  assez  facile,  des  œuvres  piquantes  et  gracieuses 
qui  s'écartent  franchement  du  vieux  moule  italien,  déci- 
dément tout  à  fait  désuet  aujourd'hui. 

—  226  — 


Telle  que  nous  l'avons  définie  déjà,  la  musique  sympho- 
nique  se  présente  sous  un  double  aspect  :  musique  vocale 
et  musique  instrumentale  d'une  part,  musique  pure  et 
musique  à  programme  d'autre  part. 

La  musique  vocale,  née  de  l'art  de  nos  vieux  trouvères 
et  troubadours,  engendra  par  son  perfectionnement  la 
diaphonie  ou  déchant,  du  ix^  au  xiii^  siècle,  et  atteignit  à  la 
Renaissance  à  cette  polyphonie  si  merveilleusement  traitée 
par  notre  école  française.  Au  xvii^  siècle  les  voix,  sous 
l'influence  de  l'opéra,  cessent  d'être  employées  seules  pour 
être  désormais  presque  toujours  accompagnées  par  des 
instruments.  La  chanson  proprement  dite  continue  encore 
à  cette  époque  à  être  très  répandue  en  France.  Toutefois 
ce  genre  est  quelque  peu  méprisé  par  les  compositeurs,  et 
les  auteurs  de  chansons  adaptent  généralement  leurs 
poèmes  sur  des  airs  connus.  La  chanson  devient  de  nouveau 
très  en  vogue  après  la  Révolution.  La  plupart  des  musiciens 
écrivent  alors  des  romances.  En  Allemagne,  parallèlement, 
se  développe  le  lied.  De  nos  jours,  chansons  et  romances, 
dont  on  avait  abusé,  sont  reléguées  aux  carrefours  et 
déconsidérées.  L'un  de  nos  plus  remarquables  mélodistes, 
M.  Gabriel  Fauré,  après  avoir  écrit  de  véritables  chansons 
à  couplets,  a  peu  à  peu  abandonné  cette  forme  trop  vulgaire 
pour  se  rapprocher,  sous  l'influence  du  style  dramatique, 
d'une  manière  qui  rappellerait  plutôt  celle  de  la  cantate, 
et  où  la  musique  s'applique  à  serrer  de  plus  près  le  senti- 
ment du  texte,  variant  son  expression  suivant  celle  de  ce 
texte  même.  Nos  auteurs  modernes  suivent  cette  dernière 

—  227  — 


voie  et  nombre  de  musiciens  étrangers,  après  eux,  s'y 
engagent.  Ce  souci  de  la  vérité  de  l'expression  est  tout  à 
l'honneur  de  notre  école  française.  L'avenir  nous  dira  ce 
qu'il  faut  retenir  de  l'immense  production  de  musique 
vocale  actuelle  :  dès  à  présent  des  chemins  nouveaux  sont 
ouverts  et  c'est  déjà  beaucoup. 

Si  MM.  Saint-Saëns.Widor,  Gabriel  Fauré.d'Indy,  Dukas, 
et  bien  d'autres,  ont  écrit  de  remarquables  œuvres  de 
musique  pure,  la  tendance  de  la  jeune  école  est  plutôt  vers 
la  musique  à  programme.  Le  vieux  maître  Couperin  faisait 
déjà  de  la  musique  à  programme.  Presque  toutes  ses  pièces 
de  clavecin  portent  des  titres.  Quelques-unes  même,  ainsi 
que  nous  l'apprend  l'auteur,  sont  de  véritables  portraits 
de  personnages  connus  de  son  temps,  Couperin  a  suivi, 
dans  ce  genre  de  musique,  les  formes  usitées  à  son  époque, 
et  empruntées  à  la  musique  de  danse.  La  plupart  des 
auteurs  qui  l'ont  suivi  ont  fait  comme  lui.  La  raison  en  est 
probablement  qu'ils  ne  concevaient  pas  d'autres  formes 
que  celles-là.  Au  xix®  siècle,  Beethoven  agrandit  le  cadre 
de  la  symphonie,  créa  des  formes  plus  larges,  mais  l'on 
retrouve  encore  dans  ces  formes  l'influence  de  la  musique 
de  danse.  Chez  nous,  BerUoz  donna  plus  libre  cours  à  son 
génie.  Tout  en  utilisant  les  formes  que  lui  avcdent  léguées 
Beethoven  et  ses  prédécesseurs,  il  ne  s'y  astreint  plus 
rigoureusement  :  il  cherche  principalement  à  adapter  la 
forme  de  sa  musique  à  l'idée  qui  l'a  fait  jaillir.  De  nos  jours 
enfin,  deux  tendances  se  dessinent.  Les  uns,  comme 
yL.  d'Indy  et  son  école,  restent  attachés  à  la  forme  créée 
par  Beethoven.  Ils  revendiquent  la  nécessité  absolue  de 
cette  forme,  même  dans  le  poème  symphonique  ou  le  morceau 

—  228  — 


de  genre,  affirmant  que  la  musique  doit  posséder  son  ordon- 
nance propre  qui  ne  peut  être  détruite  par  des  considéra- 
tions d'essence  sentimentale  ou  littéraire.  S'ils  ont  certai- 
nement raison  quant  au  principe  sur  ce  dernier  point,  ils 
ont  tort  quant  à  l'application  de  ce  principe.  Rien  ne  nous 
dit,  d'abord,  que  la  forme  de  Beethoven  soit  la  meilleure 
possible.  En  outre,  et  d'une  façon  générale,  les  formes 
musicales  ne  sauraient  être,  et  n'ont  jamais  été,  immuables. 
Ce  que  Corelli  appelait  Sonate  n'a  qu'un  rapport  lointain 
avec  une  Sonate  de  Beethoven.  Les  règles  de  l'art  doivent 
être  prises  d'un  point  de  vue  plus  haut.  Assimilant,  comme 
nous  l'avons  fait  déjà,  la  musique  à  l'art  oratoire,  il  est 
évident  que  les  éléments  divers  employés  dans  une  même 
œuvre,  ou  dans  une  partie  de  cette  œuvre,  doivent  présenter 
entre  eux  une  certaine  corrélation,  que  les  grandes  divisions 
doivent  être  en  assez  petit  nombre  pour  se  graver  dans  la 
mémoire  de  l'auditeur,  que  les  proportions  de  ces  divisions 
doivent  être  en  rapport  les  unes  avec  les  autres,  que  l'intérêt 
doit  se  renouveler  d'un  bout  à  l'autre  de  l'ouvrage  sans 
cependant  que  l'unité  en  soit  rompue.  Mais  rien  de  plus. 
La  forme  classique  suffit-elle  à  communiquer  ces  qualités 
à  une  œuvre  ?  Est-elle  indispensable  pour  que  ces  qualités 
existent  ?  Nullement  :  elle  offre  même  un  grave  défaut, 
celui  de  la  fastidieuse  reprise  à  la  fin  d'un  morceau,  de 
motifs  déjà  entendus  au  commencement,  et  développés 
dans  le  corps  de  ce  même  morceau,  défaut  dont  Beethoven, 
malgré  son  génie,  ne  s'est  pas  toujours  défendu. 

L'autre  école,  au  contraire,  nous  a  débarrassés  du  préjugé 
de  la  forme  fixe.  Déjà  Berlioz,  comme  nous  l'avons  vu  plus 
haut,  varie  dans  la  symphonie  la  forme  des  parties  consti- 

—  229  — 


tuantes  sans  se  référer  absolument  à  des  types  connus  et 
classés.  César  Franck  et  son  école,  perfectionnant  une  idée 
qui  se  trouve  en  germe  dans  la  Symphonie  fantastique  et  qui 
consiste  à  faire  reposer  l'œuvre  entière  sur  un  thème 
principal,  et  empruntant  au  drame  wagnérien  ses  leit-motiv, 
crée  la  forme  qu'on  a  appelée  cyclique.  Mais  cette  forme, 
si  elle  va  bien  avec  le  style  de  Franck,  n'est  pas  une  néces- 
sité, et  c'est  avec  raison  que  nos  plus  modernes  musiciens 
déclarent  s'affranchir  de  toutes  règles  étroites,  autres  que 
celles  du  goût  qui  détermine  les  proportions  de  l'ouvrage 
entier  et  de  ses  parties  constituantes.  Ils  essayent  seulement 
de  donner  à  leur  œuvre  la  forme  qui  leur  paraît  le  plus  en 
rapport  avec  la  nature  de  l'idée  inspiratrice.  Et  c'est  en 
toute  liberté  que  M.  Charpentier  nous  chante  ses  Impres- 
sions d'Italie,  que  M.  Debussy  nous  décrit  l'Après-midi 
d'un  Faune  ou  nous  peint  les  Nuages  fugitifs,  que  M.  d'Indy 
même  nous  fait  passer  avec  lui  un  agréable  Jour  d'Eté  à  la 
Montagne.  MM.  Debussy  et  Ravel  dans  leurs  quatuors, 
œuvres  de  musique  pure,  ne  retiennent  plus  guère  de  la 
forme  de  Beethoven  que  la  grande  division  des  mouve- 
ments. Ce  sont  d'ailleurs  des  œuvres  de  jeunesse.  La 
symphonie  proprement  dite  a  laissé,  nous  l'avons  dit,  chez 
nous,  de  plus  en  plus,  la  place  à  la  musique  à  programme. 
Ce  fait  est  dû  évidemment  à  notre  attachement  à  la  musique 
dramatique,  et  aussi  principalement  au  besoin  de  préciser 
les  sentiments  et  sensations  que  la  musique  élève  en  nous. 
Le  «  Sonate  que  me  veux-tu  ?  »  de  Fontenelle  sera  toujours 
un  peu  vrai  en  France.  Nous  ne  voyons  pas  en  quoi  la 
musique  à  programme  serait  inférieure  à  la  musique  pure. 
En  tout  cas,  ce  genre  et  la  liberté  d'expression  qui  en 

—  230  — 


résulte  ont  déjà  fortement  influencé  beaucoup  de  compo- 
siteurs étrangers. 

*   *   * 

En  résumé,  si  le  drame  lyrique  français  a  été  quelque 
peu  dominé  par  l'influence  wagnérienne,  nous  croyons 
avoir  démontré  qu'il  a  su  profiter  de  cette  influence  et  la 
transformer  à  son  usage.  Les  résultats  acquis  jusqu'à  ce 
jour  dans  cette  branche  de  l'art  permettent  d'en  attendre 
de  beaux  fruits,  si  une  paix  bienfaisante  et  féconde  vient 
rendre  à  nos  artistes  la  possibilité  de  travailler.  La  musique 
symphonique,  de  son  côté,  s'est  développée  merveilleuse- 
ment et  a  affirmé  son  droit  à  s'exprimer  en  toute  liberté 
Aussi  notre  langue  musicale  s'est-elle  enrichie  d'une  foule 
de  tournures  nouvelles  que  les  écoles  étrangères  cherchent 
aujourd'hui  à  imiter  maladroitement. 

S'il  y  a  à  regretter  quelques  taches,  quelques  fautes 
de  goût  de-ci  de-là;  si  l'on  peut  désirer  qu'une  saine  raison 
ait  plus  de  part  à  l'élaboration  de  l'ensemble  ou  des  détails 
de  tel  ou  tel  ouvrage;  si  l'on  peut,  à  juste  titre,  se  plaindre 
d'une  accumulation  excessive  de  sonorités  trop  exquises, 
voire  trop  mièvres;  si  l'expansion  naturelle  des  rythmes 
est  parfois  écourtée  plus  ou  moins  volontairement,  on  doit 
cependant  reconnaître  que  l'on  trouve  chez  nos  bons 
auteurs  modernes  beaucoup  de  sincérité,  beaucoup  de  cette 
naïveté,  de  ce  désir  de  faire  bien  qui  est  la  véritable  probité 
de  l'art  et  la  marque  très  caractéristique  du  génie  de  notre 
race. 

Etienne  Royer. 
—  231  — 


LA  CURIOSITE 


AMATEURS  ET  ARTISTES 


Le  goût  varie  comme  toutes  choses  humaines,  et  la  forme  de 
beauté  qui  séduit  une  génération  est  rarement  la  même  que 
celle  qui  recueillit  les  suffrages  de  la  génération  précédente.  A 
ce  titre  l'amateur  est  un  miroir  des  mœurs  de  son  temps,  aussi 
fidèle  que  l'artiste,  et  l'étude  des  collections  n'est  qu'un  chapitre 
de  l'histoire  générale.  Le  chevalier  Lenoir  et  M.  du  Sommerard 
éclairent  le  romantisme,  le  Musée  Jacquemart-André  rappelle 
l'engouement  pour  la  Renaissance  italienne  qui  parraina  l'œuvre 
sans  vie  de  tant  de  médiocres  sculpteurs  ;  l'orientalisme  eut 
autant  de  fidèles  chez  les  amateurs  que  chez  les  peintres  et  si 
nous  ignorions  le  culte  qu'inspirèrent  le  xviii^  siècle  et  le  Japon, 
tout  l'essor  des  cinquante  dernières  années  resterait  plein 
d'obscurité. 

Le  mouvement  artistique  se  rattache  donc  à  tous  les  autres 
ou,  plus  exactement,  les  mêmes  tendances  influent  également 
sur  tous  aux  mêmes  époques.  Elles  se  marquent  profondément 
chez  certains  êtres  plus  sensibles,  alors  que  d'autres  n'en  subis- 
sent que  les  lointaines  réactions,  mais  il  existe  un  évident 
parallélisme  entre  les  recherches  d'un  collectionneur  et  les 
travaux  des  peintres  et  sculpteurs  autour  de  lui.  Ce  qu'aime  le 
premier  se  rattache  aux  mêmes  courants  d'idées  que  ce  que 
recherchent  les  seconds,  ceux  qui,  du  moins,  ne  sont  pas  des 

—  232  — 


Braole 


Peinture. 


o 


'^ 


André  Lhote 


Colleciion    Hahvo.scu.  R.    DE    LA    FkESNANE 


Laurens 


Odii-ON  Redon 


Dessin. 


suiveurs  attardés  aux   fomiules  plus  ou  moins  surannées  et 
déformées  par  l'usage. 

A  ce  titre,  le  mouvement  qui  prit  naissance  dans  les  dernières 
années  précédant  la  guerre  a  marque  dans  la  curiosité  d'une 
manière  très  nette.  Il  n'est  peut-être  pas  inutile  d'en  noter  les 
traits  principaux,  puisque  ces  mêmes  tendances  persistent  et 
iront  en  s'amplifiant  jusqu'au  jour  où  une  prochaine  génération 
recherchera  dans  un  autre  idéal  des  sensations  nouvelles.  Ce 
mouvement  se  caractérise  en  quelques  mots  :  baisse  de  la  vogue 
sur  l'art  du  xviii«  siècle  et  sur  l'art  du  Japon  ;  attrait  du  clas- 
sicisme français  et  de  l'art  spiritualiste  des  hautes  époques 
asiatiques. 

La  vente  Doucet,  en  1912,  a  marqué  l'apogée  duxviii«  siècle. 
Dès  lors,  la  vogue  des  peintres  charmants  de  cette  époque  est 
en  décroissance,  qu'il  s'agisse  de  Lancret,  de  Boucher  ou  de 
Fragonard.  Chardin  mettra  plus  de  temps  à  les  suivre,  pour  des 
raisons  qui  tiennent  à  la  gravité  de  sa  pensée,  mais  déjà  il  appa- 
raît d'un  bourgeoisisme  suranné.  Watteau  échajjpepour  l'instant 
à  cette  réaction  ;  il  y  a  en  lui  toute  l'âme  française,  il  est  de  tout 
les  temps,  comme  Rembrandt,  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que 
Raphaël  aussi  fut  une  idole  du  goût  et  que  cette  idole  nous 
paraît  aujourd'hui  avoir  usurpé  la  première  place  qu'elle  occupa 
si  longtemps. 

Concurremment  avec  les  œuvres  de  notre  xviii^  siècle,  l'art 
japonais  avait  conquis  la  faveur  des  délicats  et  des  artistes.  Qui 
oserait  soutenir  que  cette  grande  vogue  persiste  toujours  ? 
Gauguin  et  Van  Gogh,  s'ils  revenaient  parmi  nous,  retrouve- 
raient-ils dans  l'âme  des  jeunes  artistes  l'écho  de  leurs  préoccu- 
pations, les  verraient-ils  s'enthousiasmer  au  même  degré  pour 
les  étoffes  et  les  bibelots  qu'ils  recherchaient  avec  frénésie  ?  Par 
contre,  Gauguin  qui  contemple  avec  tant  d'amour  les  figures 
sculptées  par  des  peuples  dont  l'histoire  n'est  qu'une  esquisse 

—  233  — 


sans  consistance,  verrait  avec  joie  le  fétiche  d'un  artisan 
nègre  avoir  des  admirateurs  parmi  les  plus  raffinés  de  nos 
contemporains. 

Mais,  par-dessus  tout,  c'est  la  gravité  de  la  Chine  archaïque, 
l'émotion  intérieure  des  calmes  figures  de  l'art  asiatique  à  ses 
hautes  époques  qui  préoccupent  les  amateurs.  Les  terres  cuites 
des  Han,  ces  statuettes  funéraires  qui  atteignent  parfois  à  la 
grâce  tanagréenne  tout  en  se  rapprochant  de  la  rudesse  de 
Mycènes,  ont  des  admirateurs  fanatiques.  Les  savants  explo- 
rateurs de  l'Asie,  les  Chavanne,  les  Aurai  Stein,  les  Pelliot, 
Sylvain  Lévi,  Foucher,  Goloubew,  Petrucchi  ou  Bacot,  dans  leurs 
études  désintéressées  ont  donné  l'éveil  aux  marchands  et  les 
expositions  organisées  avant  la  guerre  par  Victor  Goloubew 
et  d'Ardenne  de  Tizac  ont  montré  mainte  statue  et  maint 
tableau  d'une  intense  beauté  qui  révélèrent  la  grandeur  de 
manifestations  plastiques  presque  ignorées  jusqu'à  ces  derniers 
temps. 

Les  raisons  de  cette  vogue  sont  les  plus  simples.  Elles  sont 
les  mêmes  que  celles  qui  inspirent  les  recherches  des  artistes 
contemporains.  Tous  ces  arts  lointains,  créés  sous  la  préoccu- 
pation d'idées  religieuses,  gardent,  dans  la  liberté  de  leur  expres- 
sion et  la  profondeur  de  leur  pensée,  l'empreinte  d'un  canon 
spirituel.  Nos  artistes,  eux  aussi,  ressentent  le  besoin  d'un 
«  canon  »,  d'une  règle.  Ils  veulent  opposer  la  force  d'une  disci- 
pUne  consentie  à  la  fantaisie  de  leurs  devanciers.  Par  là,  ama- 
teurs et  artistes  affirment  le  parallélisme  de  leur  pensée  ;  collec- 
tions et  peintures  reflètent  la  gravité  des  temps  alors  que  c'est 
peut-être  dans  l'éparpillement  et  les  reflets  colorés  de  l'im- 
pressionnisme sous  toutes  ses  formes  que  les  historiens  futurs 
chercheront  l'empreinte  de  la  douceur  de  vivre  des  premières 
années  du  xx«  siècle. 

René  Jean. 

—  234  — 


LES  TAPIS  DE  MARTINE 


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iiiiiiiiiiiifiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiliiiiiiiiiiiiM 


Ce  lapis  a  été  refusé  par  le  jury  permanent  du  Mu»ée  Galliera. 
—   235   — 


LA  ROSE  DE  ROSINE 


Ni  rouge,  ni  jaune,  moins  encore  blanche.  Je  la 
vois  rose,  toute  rose,  d'un  rose  égal,  tendre,  écla- 
tant, si  fraîche  et  si  parfaite  que  je  n'ai  d'yeux 
que  pour  elle,  intacte  et  pure,  d'une  éblouissante 
virginité. 

Le  soir  tombe.  Les  jets  d'eau  égrènent  leurs 
notes  d'argent.  Un  souffle  passe  au  ras  du  sol  et, 
tandis  que  naissent  et  grandissent  les  bruits  du 
crépuscule,  tout  le  peuple  des  fleurs  entre  en  émoi. 
C'est  d'abord  une  agitation  confuse,  un  frémisse- 
ment d'inquiétude.  Puis,  une  à  ime,  on  les  voit 
pencher  la  tête  et  doucement  refermer  leurs 
pétales.  Elle  seule  reste  immuable,  garde  son 
épanouissement  lumineux.  Et  voilà  qu'im  parfum 
s'élève,  le  plus  riche,  le  plus  pénétrant,  le  plus 
voluptueux  des  parfums.  Il  monte,  se  répand  dans 
la  nuit,  gagne  les  profondeurs  du  parc.  C'est  la 
rose  elle-même,  la  rose  tout  entière  qui  se  donne 
et  la  rose  deux  fois,  puisqu'elle  est  la  rose  de 
Rosine. 

Roger  Boutet  de  Monvel. 


236  — 


Dessin  d'Iribe 


^37 


LA  POUDRE 


Les  violons  exhalent  leurs  sanglots.  Les  nappes 
jonchées  de  fleurs  resplendissent.  Les  flacons  étin- 
cellent  ;  et  tandis  que  les  hommes  prennent  des  airs 
excédés,  leurs  compagnes  s'accoudent  avec  la  plus 
exquise  insouciance.  Tout  ce  beau  monde  est  d'une 
distinction  suprême,  nonchalant,  froid,  impeccable. 
Mais,  soudain,  j'aperçois  ime  dame  qui  sur  la  table 
pose  un  petit  sac,  sort  du  sac  une  petite  glace  et 
s'examine  avec  angoisse  le  bout  du  nez.  Qu'est-ce 
à  dire?...  La  voilà  qui  s'empare  d'une  houppe  et 
publiquement,  délibérément,  qui  refait  sa  toilette, 
s'enduit  le  visage  de  poudre,  se  lisse  les  sourcils,  se 
refait  des  cils.  L'opération  dure,  se  prolonge.  Ce 
n'est  plus  une  femme  qui  s'observe  dans  un 
miroir,  c'est  un  peintre  en  train  de  faire  des  rac- 
cords, un  maçon  qui  ravale  un  pan  de  mur. 

Mon  Dieu  !  Si  j'étais  femme  et  jolie,  comme 
j'aimerais  mieux  faire  ma  toilette  chez  moi  et 
comme  je  saurais  trouver  une  poudre,  une  vraie, 
qui  d'une  part  sentît  bon  et  de  l'autre  me  tînt  sur 
le  visage  une  fois  pour  toutes. 

R.  B.  DE  M. 


Les  parfums  de  Rosine. 

-   238 


..••*.  .' 


K. 


Dessin  de  GirarJcloi 


239 


Dessin  de  Boussingault 


240   — 


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ck. 


—  241  — 

16 


MADAME  ET  MONSIEUR 

Parfum  de  Rosine. 


Ils  sont  faits  l'un  pour  l'autre  et,  néanmoins, 
séparément  chacun  a  bien  son  charme.  De  même 
un  excellent  ménage  dont  les  conjoints  auraient 
des  brouilles  furtives  et  qui  mettraient  parfois  im 
intermède  à  leurs  transports  communs.  Evidem- 
ment l'indépendance  a  de  quoi  séduire.  A  ses 
heures,  Monsieur  ne  laisse  pas  d'y  songer  en 
cachette  et,  seule  dans  son  boudoir.  Madame  rêve 
aux  délices  d'une  aventure  imprévue.  Sans  Mon- 
sieur, Madame,  à  l'occasion,  redevient  tant  soit  peu 
légère  et  coquette,  et.  Madame  absente,  U  arrive 
que  Monsieur  reprenne  ses  allures  conquérantes  de 
jouvenceau.  Vains  désirs,  égarements  passagers. 
D'instinct,  bien  vite,  ils  reviennent  l'un  vers 
l'autre,  trop  heureux  de  n'être  plus  qu'un  seul.  Et 
rien  n'est  bon  ni  beau  comme  un  couple  tendre- 
ment imi,  si  ce  n'est  l'heureux  mélange  de  deux 
parfums  jumeaux. 

R.  B.  DE  M. 


—  242  — 


Dessin  de  Boussingault 


243 


16 


MAM'ZELLE    VICTOIRE 


Je  me  plais  à  penser  que  jadis  les  cantinières  en 
jupe  courte  en  versaient  un  peu  sur  leur  mouchoir 
et  je  jurerais  que  ce  fut  le  parfum  d'Amanda  au 
temps  où  celle-ci  aimait  la  friture  et  les  prome- 
nades en  bateau.  Car  il  porte  en  lui,  ce  parfum 
charmant,  toute  la  gaieté  champêtre,  le  souvenir 
des  déjeuners  sur  l'herbe  et  des  ébats  du  dimanche, 
l'allégresse  du  départ  et  l'air  vif  du  matin.  Joyeux, 
franc,  primesautier  comme  des  rires  sous  ime  ton- 
nelle ou  comme  un  refrain  de  soldats  qu'on  chante 
le  long  des  routes,  c'est  lui  qu'il  faut  choisir  lors- 
qu'on s'en  va-t-en  guerre  ou  qu'on  part  à  la  chasse . 

R.  B.  DE  M. 


Les  parfums  de  Rosine. 

—   244  — 


Dessin  de  Girardclo» 


245 


Mam'zelle  Victoire,  parfum  </•  Rosine. 

—  246  — 


Dessin  de  Laboureur 


—   247 


LE  MOUCHOIR  DE  ROSINE 

C'est  Rosine  qui  l'a  dit.  Comme  les  fleurs  répon- 
dent aux  couleurs,  les  couleurs  répondent  aux 
parfiuns.  Nuances  délicates,  raffinements  subtils, 
chers  aux  natures  curieuses  et  sensibles.  Avoir  des 
mouchoirs,  cela  va  de  soi.  En  avoir  de  soyeux  et 
fins,  en  avoir  de  tous  les  tons,  rien  encore  jusque- 
là  de  spécialement  rare.  Le  mérite  consiste  à  marier 
savamment  chaque  parfum  avec  chaque  ton  et  à  ce 
que  les  deux  ensemble  s'accordent  avec  l'humeur 
du  moment.  Science  ignorée  du  vulgaire.  A  chaque 
mouchoir  correspond  une  bague  de  même  nuance 
que  l'on  enfile  sur  son  gant,  emblème  d'ime  har- 
monie parfaite. 

Rosine  s'éveille-t-elle  incertaine  et  pensive, 
encore  sous  l'impression  de  rêves  confus?  elle 
n'admettra  qu'un  mouchoir  vert,  couleur  du  myrte 
et  symbole  du  mystère.  Eprouve-t-elle  une  inquié- 
tude secrète,  quelque  tourment  jaloux  ?  Elle  adop- 
tera l'orange  en  souvenir  de  la  capucine.  Se  sent- 
elle  en  humeur  de  trahir  ?  Alors  ce  sera  le  rouge,  la 
pivoine.  Mais  plus  souvent,  je  pense,  elle  choisira  le 
jaune,  autrement  dit  la  jonquille,  le  désir,  ou  mieux 
encore  le  bleu,  bleu  tendre  du  volubilis,  bleu  divin, 
pronostic  des  caresses,  parfois  même  enfin  le  rose, 
couleur  de  sa  fleur  préférée,  et  le  rose  cela  voudra 
presque  dire  consentement. 

Roger  Boutet  de  Mouvel. 

—  248  — 


Le  mouchoir  de  Rosine. 


Deêiin  de  Laboureur 


249  — 


LES  TAPIS  DE  MARTINE 


MluiiiiiiiiiiiiiiiDiiiiiiiiiiiiiiKiiiiiiiiiMiiimiiiillilMUllH 


lMMiiMMfl»niit»miimft»»MMn»Mft„M»«».M»M«HMM»»M 


250  — 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CALENDRIER-ANTHOLOGIE  pour    191 7-  Bois  gravés   originaux 

de  Raoul  Dufy 19 

Poésies  :  Le  Lion  s'en  allant  en  guerre  (Lz.  Fontaine) 21 

Rcnideau  (Jean  Meschinot) 25 

Ode  (Ronsard) 29 

La  jeune   Tarentine  (André  Chénier) 33 

Chant  de  May  et  de  Vertu  (Marot) ^7 

A    la   Rose   (Ronsard) 41 

Plainte  de  Céladon  (D'Urfé) 45 

Vers  gravés  sur  un  Oranger  (Pamy) 45 

Ballades  des  Menus  Propos  (Villon) 49 

Prière  à  la  Nuit  (Millevoye) 53 

Soupir   (Mallarmé) 57 

Le  Dormeur  du  Val  (Rimbaud) 57 

Stances  (Jean   Moréas) 61 

Sur  f Hiver  (Gentil-Bernard) 65 

Pensées  :  Bossuet  21  ;  Jean  Moréas  25;  Vauvenargues  29,  05  ;  Mozart  33  ; 

Gœthe  37;  Voltaire  41;  Sainte-Beuve  45  ;  Renan  49;  Montesquieu  53, 
61  ;  Chamfort,  Rivarol  57. 

Variétés  :    Les  Quatre  Complexions 20 

Le  Gras  et  le  Maigre 24 

Les  Vents  locaux 28,  32 

Physiognomonie 36 

Horloge  de  Flore 40 

Controverses    médicales 44 

Pronostics  de  pluie  tirés  des  animaux 48 

La  diète  de  quelques  Grands  hommes 52 

Glossaire  du  veneur 56,  60 

Proverbes  culinaires 64 

—   251   — 


Le  Jardin  Potager,  le  Jardin  d'Agrément,  la  Cave,  22,  26,  30,  34, 
38,  42,  46,  50,  54,  58,  62,  66. 

Recettes  de  Cuisine  :  Potée  à  l'oie  22  :  Risotto  au  poisson  26;  Tourne- 
brides  Jenay  30;  Quiche  lorraine  34;  Meurette  beauaoise  34;  Poulet 
au  paprika  38;  Vinaigre  aromatisé  42;  Gras-double  frit  46;  Pudding 
Pèlerin  50;  Poulet  à  la  Belvocelle  54;  Endives  monégasques  58;  Pistou 
62  ;  Cheveux  d'Ange  66. 


RECUEIL  DE  PIÈCES  NOUVELLES 

Méditation,  par  Paul    Bourdin 69 

Le  Doctrinal  des  Preux,  poème  par  André  Mary jj 

Les  Masqxies  de  la  guerre,  essai  par  Emile  Godefroy 83 

L'homme  ne  vit  pas  seulement  de  pain,  essai  par  Raymond  dk    la 

Tailhède 99 

Le  Buveur  et  la  guerre,  ode  allégorique  pair  Maurice  du  Plessys   .  107 

Sur  les  Routes  de  la  Mer,  par  Maxime  Girieud 113 

Chœur  des  Océanides,  poème  par  Raymond  de  La  Tailhède    ...  120 

De  l'Art  Moderne,  essai  par  un  Amateur. 123 

Fragment  de  Falourdin,  satire  par  Fernand  Fleuret 135 

La  Dramaturgie  d'Auzias,  essai  par  Emile  Godefroy 139 

La  Sainte  promenade  de  Bruno,  sonnet  par  Maurice  du  Plessys.    .  171 

Comment  je  fis  la  œnnaissance  de  Renoir,  par  Ambroise  Vollard.  172 

Narcisse,  poème  par  Léon  Guillot 178 

Bout-de-Canard,  conte  populaire  champenois 188 

Poésies,  par  Vincent  Muselli 196 

Les  Trompes  de  la  Bise,  sonnet  par  Annibal  de  Monchanut    ...  198 

Secteur  133,  conte  par  André  Salmon 199 

Mon  cher  Ludovic,  conte  par  Guillaume  Apollinaire 204 

Dieu,  conte  en  vers  par  Raoul  Ponchon,  illustré  par  J.  Dépaquit.  208 

Mémoires  de  celle  qui  a  trouvé  un  mari,  par  Max  Jacob 212 

Quelques  aperçus  sur  l'état  présent  de  la  musique,  par  Etienne  Royer.  218 

La  curiosité,  par  René  Jean 232 


Imp.  de  Vaugirard,  H.-L.  Moin,  directeur,  12-13,  impasse  Roasin    Paris. 

^1  /  ^      ^       (    WSLIOTHECA 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Echéonce 


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Dote  due 


tl 


a390dj  0008976026 


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CE  /^Y   0  9  36 

.M27  1916 

CGC 

ACC#  10G7354 


AL^^AMACH  DES